A la fois drogue et médicament prometteur : qu’est-ce que la kétamine ?

Dangereuse ou miraculeuse ? Cette molécule synthétisée dans les années 60 s’est révélée utile en médecine humaine et vétérinaire, et connaît un regain d’attention dans le soin des dépressions résistantes. Mais elle continue également à émarger du côté des drogues à usage récréatif.

Devinette ! Je suis un médicament détourné qui s’est invité en discothèque, même si après m’avoir inhalée, on aura toutes les peines du monde à se trémousser sur la piste de danse… Je suis capable d’endormir un cheval… Je me rends utile en médecine humanitaire ou de guerre… Je mets en sourdine la douleur et comme d’autres psychédéliques, je vous envoie en voyage… immobile ! Qui suis-je ?

Qu’est-ce que la kétamine ?
Cette molécule aux usages versatiles et aux effets étonnants, c’est la kétamine. Le grand public l’associe cette drogue hallucinogène illicite au milieu des raves et des discothèques, à de la polyconsommation. Mais il faut garder en mémoire que la kétamine est également un agent anesthésique et analgésique utilisé en médecine humaine et encore plus en médecine vétérinaire.

Le dernier « fait d’arme » en date de la kétamine est en train d’être écrit par la recherche : la molécule s’avère efficace dans les cas de dépressions résistantes aux antidépresseurs classiques.

Le chlorhydrate de kétamine est une molécule synthétique utilisée en anesthésie humaine mais surtout vétérinaire. C’est un analgésique à faible dose et un anesthésiant qui permet au patient de conserver ses réflexes respiratoires. Le produit est cependant moins utilisé en anesthésie et médecine humaine, car il peut provoquer au réveil, chez beaucoup de patients, des cauchemars ou des hallucinations.

Une histoire de la kétamine
La substance a été synthétisé en 1962 par un chimiste américain, Calvin Stevens. Les premiers essais cliniques ont été effectué en 1964, sur des prisonniers volontaires aux Etats-Unis. L’état particulier dans lequel se trouvaient les cobayes est difficile à décrire pour les scientifiques : ils parlent d’une impression de flotter hors du corps, avec un esprit néanmoins conscient et dissocié du corps, dans un état de rêve.

Dans l’étude, ils proposent le terme d’ »anesthésique dissociatif » qui qualifiera par la suite la kétamine.

La molécule est approuvée aux Etats-Unis comme anesthésiant en médecine humaine et vétérinaire à partir de 1966. Le produit est administré aux soldats américains pendant la guerre du Vietnam, pour son côté pratique et sûr. Contrairement à d’autres types de molécules utilisées en anesthésie, la kétamine ne requiert pas d’assistance cardio-respiratoires.

Elle n’annule pas le phénomène réflexe de la respiration et de la circulation. Or, c’est précisément ce que surveille un médecin-anesthésiste pendant une opération chirurgicale avec d’autres produits anesthésiants : le bon fonctionnement des fonctions vitales.

L’anesthésiant détourné en drogue récréative
L’usage détourné de la kétamine en France est devenu flagrant à la fin des années 1990, selon l’OFDT. Elle est consommée au même titre que la MDMA, les pilules d’ecstasy, ou le LSD. Les usagers décrivent une « sortie de la réalité impressionnante », avec une sensation de décorporation, de flottement hors du corps, des hallucinations lumineuses ou formelles.

Dans certains cas, les témoignages ont énormément de points communs avec la description d’une expérience de mort imminente ! Ce sont cette sortie de soi, cette dissociation et cet effet hallucinogène que recherchent ceux qui ont détourné la kétamine de son usage premier. A plus faibles doses, on ressent une « ivresse cotonneuse » et de l’euphorie.

D’autres anesthésiants détournés
Plusieurs substances sont liées par leur structure chimique voisine à la kétamine. Elles ont été synthétisées dans le but de concevoir l’anesthésiant idéal. C’est le cas de la phénylciclidine et de l’eticyclidine.

Phénylciclidine, PCP ou « Angel Dust »: la « poudre d’ange » est une drogue hallucinogène détournée. La PCP est un anesthésiant testée dans les années 50. Lors des tests sur animaux, ceux-ci étaient insensibles lors des opérations chirurgicales, dans un état cataleptique, les yeux ouverts, et la conscience non altérée.

Sur des humains, le produit a été commercialisé sous le nom de Sernyl, et s’avère également un excellent analgésique mais produit des résultats différents d’un individu à l’autre, dont quelquefois une excitation persistante incompatible avec l’opération chirurgicale. La PCP finit par être abandonnée pour l’anesthésie.

Eticyclidine ou CPE : la molécule, conçue à la fin des années 50, plongeait le patient dans un état catatonique, avec le même effet dissociatif entre une conscience intacte et le corps, en provoquant des hallucinations

Comment agit la kétamine sur le cerveau d’un dépressif
La kétamine agit au niveau du néocortex, du thalamus et de l’hippocampe en se fixant sur les récepteurs NMDA. Sous les effets du produit, la personne se trouve déconnectée au niveau sensoriel, tandis que sa conscience et sa mémoire restent intactes.

En 2020, des chercheurs ont mis en lumière l’action de la molécule sur le cortex cingulaire antérieur subgénual. Chez une personne atteinte de trouble dépressif majeur, on constate une hyperactivité des neurones de cette zone, laquelle joue un rôle important dans les réponses émotionnelles : la régulation des émotions, l’anticipation de la récompense et dans le cas de la dépression, l’incapacité à ressentir du plaisir. Cette anhédonie semble justement traitée par la kétamine.

On ne dispose pas de données sur le long terme. Une méta-analyse publiée dans la très sérieuse revue médicale The Lancet en 2022 note que l’utilisation de kétamine dans ces traitements réguliers de la dépression sévère semble prometteuse. Pour les auteurs de l’étude, le médicament semble ne pas induire sur une période longue de troubles cognitifs ni d’addiction. Les problèmes rénaux et urinaires graves semblent peu fréquents.

Quels effets en situation d’usage récréatif répété et excessif ?
Du côté des usages chroniques récréatifs, où les dosages n’ont plus rien à voir avec un traitement médical de suivi, le tableau est plus sombre. Le cerveau est touché sur le plan anatomique mais aussi fonctionnel. Là encore, il s’agit d’une méta-analyse, parue également en 2022, mais dans la revue Frontiers in Neuroanatomy.

De toutes les études passées au crible, il ressort que les consommateurs (et souvent polyconsommateurs) voient le volume de leur néocortex ou matière grise s’amenuiser et leur substance blanche relativement altérée. Les connexions à l’intérieur du cortex ainsi qu’entre les couches supérieures et inférieures du cerveau sont impactées.

A terme, ces personnes rencontrent des problèmes au niveau de la mémoire, de l’apprentissage, ainsi que des symptômes amotivationnels (caractérisés par un manque de motivation pour tout). En cas de surdosage, interviennent des complications urinaires et rénales qui peuvent être très graves et irréversibles.

La kétamine rejoint la pharmacopée psychiatrique
En mars 2019, les autorités sanitaires américaines autorisent la kétamine pour traiter des patients atteints de dépression résistante aux antidépresseurs, ou encore d’anxiété, ou de douleurs chroniques. Pour les 30 % de dépressifs qui ne répondent pas aux traitements classiques, ce dérivé de la kétamine, l’eskétamine, vendu sous le nom commercial de Spravato est un soulagement. Certains de ces malades étaient en danger permanent de se donner la mort.

Les injections ont lieu à l’hôpital. Les études conduites sur plusieurs centaines de patients indiquent que la kétamine serait efficace dans environ 70% des cas sévères.

L’atout de la kétamine est d’améliorer les symptômes en quelques heures, là où les traitements classiques mettent plusieurs semaines à faire effet. Pour les autres, la drogue peut avoir un impact très limité dans le temps, constat fait par un psychiatre américain qui en en a administré sans attendre les autorisations officielles, dès 2010. Certains patients peuvent retomber dans leur état dépressif quelques heures seulement après la prise.

En France, le Spravato, n’a décroché qu’un SMR insuffisant (SMR pour service médical rendu) et n’est donc pas remboursé par la Sécurité sociale. La molécule reste cependant une « innovation de rupture » dans la dépression résistante. Aux Etats-Unis, depuis son autorisation, et avec les contraintes des confinements successifs dictés par les vagues épidémiques, les patients dépressifs peuvent recevoir à domicile de la kétamine en auto-administration.

ASTRID

You may like