Crise climatique : les assureurs, des pompiers pyromanes ?

Invoqué par les militants écologistes, le coût de « l’inaction climatique » pourrait inquiéter les milieux de la finance. Au premier semestre 2023, les catastrophes climatiques ont coûté plusieurs dizaines de milliards de dollars aux assureurs. Mais ces derniers continuent d’assurer les activités liées aux énergies fossiles, qui alimentent justement le dérèglement climatique.

L’environnement inquiète une des plus grandes sociétés de réassurance au monde, Swiss RE. Le montant des dégâts engendrés par les catastrophes naturelles au niveau mondial sur le premier semestre de 2023 s’est élevé à 120 milliards de dollars. Ces estimations ont été communiquées par le réassureur mardi 8 août.

Les désastres d’origine climatique représentent l’essentiel de la facture payée par les assureurs, avec par exemple, 35 milliards de dollars liés aux orages et phénomènes météorologiques.

En comparaison, les frais engendrés par le tremblement de terre en Turquie et en Syrie, sans lien avec le réchauffement climatique, s’élèvent à 5,3 milliards de dollars.

« Guérir au lieu de prévenir »
« Il est grand temps d’investir dans davantage d’adaptation au climat », réagissait le chef économiste de Swiss RE dans un communiqué.

« L’adaptation est le maître-mot du milieu », remarque Ariel Le Bourdonnec, chargé de campagne assurances pour Reclaim Finance, une ONG qui encourage les acteurs financiers à des pratiques durables, en mettant en lumière les liens entre finance et enjeux climatiques.

« Les assureurs assurent ou couvrent des solutions atténuant les effets du réchauffement climatique, comme les digues ou la surélévation des constructions face à la montée des eaux. Ce qui revient à “prendre le problème à l’envers, à tenter de guérir plutôt que de prévenir », constate Ariel Le Bourdonnec.

Pis : tout en monnayant des garanties contre le péril climatique, les assureurs continuent de l’alimenter, sécurisant les activités des mastodontes des hydrocarbures, comme Total. « Des pompiers pyromanes », résume le chargé de plaidoyer.

Un monde plus risqué, moins assuré
Les assureurs ont pourtant conscience des enjeux climatiques, estime Ariel Le Bourdonnec : ceux avec qui il échange sont même « les premiers à lire le rapport du GIEC et les conclusions de l’Agence Internationale de l’Énergie ».

Dans son dernier rapport, le français AXA a d’ailleurs placé le péril climatique comme risque n°1 dans le monde.

Mais sur le strict plan du profit, et à court terme, les compagnies d’assurance disposent de leviers leur permettant de s’adapter à un monde plus risqué.

Parmi eux, l’augmentation du coût de leurs couvertures, pour renouer avec une rentabilité financière. Axa a ainsi annoncé, le 3 août, une hausse de son chiffre d’affaires, portée notamment par l’augmentation de ses tarifs.

D’autres acteurs se désengagent tout bonnement des zones surexposées aux risques.

Comme en Californie, depuis juin : face à la multiplication des méga-feux, deux des leaders de l’assurance-habitation aux États-Unis ont annoncé refuser de prendre de nouveaux clients dans l’État, invoquant des coûts trop élevés pour leur équilibre financier.

Une solution intermédiaire consiste à abaisser la couverture – concrètement, continuer de garantir les dommages, mais pour un montant inférieur.

« Un autre français, le réassureur Scor, a ainsi fortement réduit sa couverture des risques dans les activités agricoles, milieu directement impacté par le dérèglement climatique », relève Ariel Le Bourdonnec.

À l’heure où les préoccupations climatiques s’intensifient, les engagements écologiques des acteurs financiers leur permettent d’améliorer leur image auprès du public.

En 2023, à l’instar de plusieurs assureurs, SCOR et AXA annonçaient mettre fin à leur couverture de nouveaux champs gaziers.

Les deux groupes français précisaient toutefois qu’une exception serait octroyée pour les nouveaux champs des clients démontrant une stratégie de transition climatique.

Un non-sens scientifique, tranche Ariel Le Bourdonnec : « Une entreprise impliquée dans le développement de nouveaux champs d’hydrocarbures ne peut pas être considérée comme étant en transition ».

“Dans les faits, cette clause permet aux assureurs de couvrir encore certains nouveaux champs malgré le signal positif envoyé par leurs nouveaux engagements, poursuit-il.

Les assureurs détiennent pourtant un rôle-clef dans la transition énergétique, estime le chargé de campagne, citant en exemple la crise de l’économie du charbon au Dakota du Nord.

Dans cet État du Midwest américain, le retrait d’assureurs du marché de l’industrie du charbon a eu un effet d’entraînement sur d’autres, provoquant une augmentation des coûts d’assurance. En fin de course, les mines et les centrales à charbon sont devenues très difficiles à assurer.

En devenant moins rentables, les énergies « sales » cèdent des parts de marché à celles moins carbonées, de façon graduelle.

Les acteurs financiers invoquent volontiers qu’il n’est pas possible d’arrêter les énergies fossiles du jour au lendemain, note Ariel Le Bourdonnec. « Mais nous les exhortons plutôt d’abord à cesser de soutenir l’expansion de ces énergies. »

Cet appel trouve un écho en Europe. Au début de l’année, une centaine d’élus a demandé à la Commission européenne d’interdire aux groupes énergétiques de l’Union européenne de lancer de nouveaux projets fossiles.

S’évertuant à réduire leur dépendance au gaz russe, les Vingt-Sept ont même donné un élan inédit aux énergies solaire et éolienne, qui représentent désormais 23 % de son mix énergétique.

« Un monde viable, à savoir en deçà du seuil de réchauffement de +1,5 degré, passera par le déploiement massif de ce type d’énergies », estime Ariel Le Bourdonnec.

Du point de vue des assureurs, les risques de ces sources sont en partie liés aux caprices de la météo.

Mais l’utilisation de technologies éprouvées, et l’amélioration constante des capacités prédictives de la météo, rendent ces énergies économiquement toujours plus sûres.

Une « immense opportunité », dont devraient s’emparer les assureurs, dit Ariel Le Bourdonnec : en se positionnant dès aujourd’hui sur ce marché, ils pourraient en tirer profit dans un avenir proche.

france24

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