Festivals de batuco à Praia : La troupe Strella Cadenti fait danser le Cap-Vert

De jour comme de nuit, à Praia ou dans les différentes communes de l’intérieur de l’île de Santiago, au Cap-Vert, la troupe Strella Cadenti, formée par des femmes d’origine capverdienne au Sénégal, drainent des foules. Le secret ? Les chansons héritées de leurs grands-parents continuent à faire fureur dans ces contrées, faisant partie du riche répertoire qui capte les mélomanes.

Ainsi, la plus grande île du pays a été transformée en une véritable salle de rencontres et d’échanges entre les artistes des deux pays. Depuis la fin du mois de juillet, le groupe est «l’invité spécial» de Ribeira Grande de Santiago (Cidade Velha). Et c’est précisément dans le berceau de ce genre musical que les invitées du promoteur culturel Bob Mascarenhas, du groupe Batuku Nos Alma, et la mairie ont partagé la scène de la 2ème édition du Festival national de batuco, avec leurs collègues capverdiens. Clémentine «Coucounett» Mendes, fondatrice de Strella Cadenti, Romina Lopes, du groupe Fortaleza (Cidade Velha), et Ivone Martins, de Mondon (Eugénio Lima, Praia), sont aujourd’hui des «amies inséparables».

«Nos é família», disent-elles en souriant. Dans cette interview avec Le Quotidien, le trio de femmes a préféré expliquer, en créole, cette «union» qui rapproche les Sénégalais et les Cap-Verdiens. Elles ont partagé également leur rêve d’enregistrer un Cd/Dvd et espèrent pouvoir compter sur «l’engagement total» des gouvernements des deux pays. L’année prochaine, il y aura plus de batuco car les «étoiles filantes» sont «confirmées» à la troisième édition du Festival national de batuco.

Clémentine Mendes, tout d’abord, présentez-nous la troupe Strella Cadenti ?
Il s’agit d’un groupe créé en 2006 et composé de 18 femmes, descendantes de Cap­verdiens au Sénégal. Dans mon cas, par exemple, les grands-parents sont originaires de la commune de Santa Catarina, à l’intérieur de Santiago. Mon frère vit ici à Praia. Les autres femmes ont des parents à Santa Cruz, à Santa Catarina de Santiago, à Tarrafal, ainsi que sur les îles de Boavista et Maio.

Outre le batuco, nous sommes également unies par la langue créole. Nous sommes aussi en train de former actuellement un groupe de batuco, composé de douze enfants âgés de 6 à 12 ans.

Comment et où le groupe mène-t-il ses activités ?
CM : Nos activités se déroulent au Sénégal. Nous sommes souvent invitées à animer des fêtes de mariage, des baptêmes et, de nos jours, nous participons même à des funérailles, de personnes liées au batuco. Batuco, c’est l’âme, et c’est un plaisir apporté aux gens, les chansons qui nous ont été léguées par nos grands-parents et qui dépeignent les expériences sociales et les bonnes relations d’amitié entre les peuples du Sénégal et du Cap-Vert en particulier.

En fait, la seule chanson dont nous sommes les auteurs, Nos é fidjus di cabo-verdianus, dépeint exactement cette union. Comme vous pouvez le constater, nous avons de bonnes raisons de continuer à porter au-delà des frontières le drapeau du batuco, l’un des genres musicaux traditionnels les plus anciens du Cap-Vert, né à Cidade Velha.

C’est précisément à cet endroit que s’est déroulée cette année la deuxième édition du Festival national de batuco. Parlez-nous de l’invitation pour participer pour la deuxième fois à cet événement.
CM : C’est la deuxième fois que nous participons à ce festival. Nous avons été invitées par l’artiste Bob Mascarenhas, organisateur du festival et partenaire de la mairie de Ribeira Grande de Santiago (Cidade Velha), dans ce projet.

Nous sommes heureuses car nous avons trouvé un festival bien organisé, et quand j’en parle, mon corps frissonne car nous revivons les bons moments de nos grands-parents, quand ils allaient à Dakar, chantaient et organisaient des rencontres de batuco. Mais ce n’est pas tout. Nous avons été très bien accueillies par nos collègues du Cap-Vert, et par les Cap-Verdiens en général. Nous ne connaissions même pas certains d’entre eux.

Et c’est là la véritable essence du genre. Le batuco est plus qu’une musique, il promeut l’union des familles et des cultures. Et le Peuple capverdien nous a donné le courage de continuer à valoriser cette tradition qui a toujours uni le Sénégal et le Cap-Vert, quel que soit l’endroit où nous sommes nés.

A ce propos, cela fait plusieurs jours que vous êtes à Praia, dans une course effrénée pour remplir votre emploi du temps. Où est passée votre «étoile filante» ?
CM : (Rires). Je vous avoue que cette année, nous avons été surprises positivement. Nous avons découvert des groupes de batuco que nous ne connaissions pas. Nous avons donc rejoint les groupes du projet Batuku Nos Alma (Santa Catarina), Herança di nos Tera (São Domingos), Mondon (Eugénio Lima, Praia), Fortaleza (Cidade Velha) avec lesquels nous sommes montés sur scène lors de la deuxième édition du Festival national de batuco, qui a eu lieu à Cidade Velha le 29 juillet et qui a réuni 17 groupes des îles de Santiago et de Boavista.

A partir de là, nous n’avons plus arrêté. En plus de participer à diverses rencontres de batuco à Praia, y compris à la présidence de la République du Cap-Vert, nous nous sommes rendues dans divers endroits de l’intérieur de Santiago, à São Domingos, São Lourenço dos Órgãos, Santa Catarina et Tarrafal. Nous avons été très bien accueillies. Nous avons été heureuses de voir autant de monde aux festivals.

Y’a-t-il d’autres spectacles avant votre retour à Dakar ?
CM : Ce dimanche 13, avant de partir sur Dakar, nous ferons un autre spectacle à Chã de Tanque, dans le cadre de la fête de Nossa Senhora da Graça, patronne de ce village de Santa Catarina de Santiago. Et ce n’est pas fini ! On est heureuses d’être invitées à participer à la troisième édition du Festival national de batuco, en 2024. Et ce serait également merveilleux si nous pouvions emmener notre musique dans les autres îles du pays.

Quels sont les projets et les rêves du groupe à l’avenir ?
CM : Nous souhaitons que tous les artistes du Sénégal et du Cap-Vert soient plus unis. Comme vous le savez, les groupes sont nombreux et les coûts de déplacement, de transport et d’hébergement sont très élevés, donc, malheureusement, nous ne sommes pas en mesure de donner un spectacle avec tous les membres du groupe. De plus, notre association de batuco à Dakar est la seule à organiser la Fête de l’indépendance du Cap-Vert à Dakar depuis 2007, sans aucun soutien.

Nous avons envoyé plusieurs demandes d’aide, mais sans réponse. Mais, parlant d’un autre rêve, nous souhaitions également pouvoir enregistrer notre Cd/Dvd, avec la participation d’autres groupes de batuco capverdiens, et d’autres artistes comme Cesa Branca.

Dans ces projets, nous espérons pouvoir compter sur le soutien des gouvernements de nos deux pays, afin qu’ensemble nous puissions contribuer à maintenir vivante cette tradition qui attire de plus en plus les foules partout où elle passe et qui, surtout, est une source de revenus pour de nombreuses femmes cheffes de famille.

Ivone Martins, Mondon de Praia est l’un des groupes qui ont accompagné Strella Cadenti dans sa tournée des différentes municipalités de l’île de Santiago et vous avez tenu à être ensemble dans cette interview. Vos collègues de Dakar seront-ils présentes lors des prochains festivals ?
Ivone Martins- Comme vous le savez, le Festival national du batuco se déroulera chaque année dans une commune différente. C’est pourquoi, après le festival de Cidade Velha, le groupe Mondon, le projet Batuku Nos Alma et le projet Herança di Nos Tera ont décidé d’organiser un mini-festival à Praia, en partenariat avec la mairie de Praia et le ministère des Finances, en la personne du ministre Olavo Correia.

Le concert devait avoir lieu le 30 juillet, avec comme invitées les «sœurs» du groupe Strella Cadenti. Malheu­reuse­ment, les conditions météorologiques nous ont amenées à reporter l’événement à une date ultérieure, et il a été reprogrammé pour le 20 août au parc 5 de Julho.

Cette date est spéciale car, en plus de célébrer notre dix-septième anniversaire, nous rendrons hommage à «Nha Minininha», considérée comme l’une des fondatrices du batuco et de la tabanca à Praia. Nous regrettons que cette fois-ci, Strella Cadenti ne puisse pas assister à l’événement, car elle rentre à Dakar dimanche en raison d’engagements de groupe.

Décrivez-nous comment se sont déroulées vos rencontres ?
IM- Super ! C’est un groupe important car notre amitié remonte à de nombreuses années, à travers divers échanges musicaux à Dakar, dans le cadre des festivités de l’indépendance du Cap-Vert. Notre groupe et ceux de Herança di nos Tera (Lagoa, São Domingos), Fortaleza (Cidade Velha) et l’Associação Nos Cultura Figueira de l’île de Maio ont pu participer. Nous avons été bien accueillies. On parle d’une fraternité très authentique entre les Capverdiens et les Sénégalais.

Nous avons vu qu’ils vivent le batuco de manière très intense, avec diverses activités, et avec la participation de nos ambassadeurs et de plusieurs personnes illustres. Et c’est là que nous nous sommes inspirées pour mieux organiser nos fesivals de batuco.

Romina Lopes – Votre groupe Fortaleza est également monté sur scène avec les femmes de Dakar. Comment le batuco a-t-il rapproché Dakar et la Cidade Velha ?
Notre amitié avec Strella Cadenti remonte à 2008. Nous avons déjà fait plusieurs échanges culturels avec le groupe, composé de nombreuses femmes, mais seules cinq d’entre elles ont pu venir à Praia. Dans ce sens-là, nous tenons à féliciter donc Bob Mascarenhas et la mairie pour l’organisation de ce festival à Cidade Velha, berceau du batuco. Nous sommes montées sur scène ensemble, nous avons chanté, dansé et le public a fêté avec nous.

C’était tout simplement un événement exceptionnel ! Le batuco nous a déjà tellement rapprochées que nous sommes aujourd’hui une seule et grande famille, et chaque fois que nous nous sommes rencontrées, notre lien s’est renforcé.

Cela explique votre volonté d’être ensemble à chaque concert ?
RL – Absolument ! Nous avons passé de bons moments, mais surtout nous avons rencontré beaucoup de gens. Dans ce sens-là, je pense que ces festivals devraient avoir lieu au moins deux fois par an pour que nous puissions rencontrer d’autres groupes au Cap-Vert, mais aussi de la diaspora. Nous sommes nombreux !

Je voudrais donc profiter de cette occasion pour lancer un appel à notre ministère de la Culture afin qu’il puisse participe à nos activités et qu’il essaie d’inclure le batuco dans son budget annuel, en faveur du développement de la culture capverdienne.

lequotidien

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