Sahel : Emmanuel Macron acte la fin prochaine de l’opération Barkhane

Le président français a annoncé ce jeudi 10 juin la transformation du dispositif actuel après huit ans de présence française au Mali.

L’heure du retrait des troupes françaises au Sahel a-t-elle sonné ? Lors d’une conférence de presse consacrée aux sujets internationaux organisée ce jeudi après-midi à l’Élysée, le président français a annoncé « la fin de l’opération Barkhane en tant qu’opération extérieure », et mise sur la force spéciale internationale antidjihadiste, nommée Takuba, dans la région. Ces annonces s’inscrivent dans la volonté politique déjà esquissée par le chef de l’État de réduire à moyen terme la présence militaire française dans la zone, cinq fois plus vaste que l’Europe. Il faut souligner que Barkhane est l’opération française la plus longue et la plus coûteuse depuis la Seconde Guerre mondiale. « Je ne pense pas qu’on puisse se substituer à un peuple souverain pour construire son bien à la place de lui-même », a déclaré Emmanuel Macron.

Quelles sont les raisons qui ont conduit le président français à prendre une telle décision ? Où en est l’opération Barkhane ? Quels ont été ses succès et ses objectifs à court terme ? Comment la France dessine-t-elle sa future présence là-bas et quels sont les défis pour les États africains concernés ? Quelques éléments de réponses.

Des civils toujours pris pour cible

Concrètement, aujourd’hui, Paris déploie quelque 5 100 soldats sur onze bases militaires dont six au Mali, contre les djihadistes affiliés au groupe État islamique (EI) et à Al-Qaïda, un soutien de taille aux armées des États du Sahel qui peinent à les combattre seules. Mais, entre les débuts de l’opération Serval initiée à la demande du président de la Transition malienne d’alors Dioncounda Traoré, en 2013, afin de repousser les groupes armés venus du Nord, et aujourd’hui, le contexte sécuritaire s’est dégradé, les massacres de civils se poursuivent au Mali, au Niger et au Burkina Faso.

Pas plus tard que début juin, le nord du Burkina Faso a été le théâtre d’un des massacres de civils les plus meurtriers que le Sahel ait connus depuis le début des violences multiformes en 2012. Entre 132 (selon les autorités) et 160 personnes (selon des sources locales) ont été tuées en une nuit dans le village de Solhan. Ce massacre s’ajoute à des dizaines d’autres. Les ONG, les experts, les spécialistes ne cessent de tirer la sonnette d’alerte, appelant de leurs v?ux à un changement de paradigme et la fin de l’approche sécuritaire de la crise sahélienne. En janvier, 105 civils ont été tués dans deux villages de l’ouest du Niger par des djihadistes affiliés à l’organisation État islamique. En mars 2019, 160 civils étaient tués par de présumés membres d’une milice communautaire à Ogossagou, au Mali. Sur les cinq premiers mois de 2021, plus de 1 000 civils ont été tués dans cette partie du Sahel, selon l’ONG Acled. 2 248 l’avaient été en 2020. Le seuil des deux millions de déplacés a déjà été dépassé cette année. « Nous ne pouvons pas sécuriser des zones qui retombent dans l’anomie parce que les États décident de ne pas prendre leurs responsabilités, c’est impossible, ou alors c’est un travail sans fin », a amèrement constaté Emmanuel Macron.

L’expansion djihadiste toujours plus pressante

Les attaques sont le fait de groupes djihadistes ? affiliés à Al-Qaïda et à l’organisation l’État islamique ?, mais également de plus en plus aussi de locaux : des armées nationales et autres acteurs armés, milices d’autodéfense ou bandes de malfaiteurs. « Davantage de civils ont été tués par des soldats censés les protéger que par des groupes armés non étatiques », disait en avril une coalition d’ONG sahéliennes et internationales. D’autant plus que l’absence de l’État s’est confirmée dans plusieurs zones d’un seul et même pays. C’était déjà le cas au Mali en 2013, mais le constat est identique au Niger ou au Burkina Faso, où la tentation de rejoindre les groupes djihadistes est grande pour des populations démunies, sans emploi, sans écoles.

D’abord implantés dans le nord du Mali en 2012, puis dans les zones frontalières avec le Burkina Faso et le Niger, les groupes djihadistes ont étendu leur champ d’action depuis : vers le centre et le sud du Mali, sur une majorité du territoire burkinabè? La contagion vers les pays du golfe de Guinée s’est déjà concrétisée à travers des attaques depuis un an dans le nord de la Côte d’Ivoire : la plus meurtrière en juin 2020, quand 14 soldats ont été tués dans l’attaque d’un poste de contrôle, similaire aux actions djihadistes sahéliennes. Les pays côtiers, pour beaucoup présents au sein de la mission de l’ONU au Mali, tentent de prévenir une expansion djihadiste vers les pays de la côte du Togo, au Bénin en passant par le Ghana ou le Sénégal.

La conséquence, Jean-Hervé Jézéquel, chef de projet Sahel à l’International Crisis Group (ICG), l’observe de près, c’est une « militarisation des sociétés dans l’espace sahélien » qui sera « très dure » à freiner. Au Burkina Faso ont été créés en novembre 2019 les Volontaires pour la défense de la patrie (VDP), supplétifs civils des forces armées et devenus des cibles de choix des djihadistes. Dans le centre du Mali, la milice Dan Nan Ambassagou, bien qu’officiellement dissoute, contrôle un territoire d’où l’État est absent. La majorité des territoires échappe à l’autorité centrale. Seuls 9 % des administrateurs civils sont actuellement déployés dans le Nord et le centre du Mali, « le chiffre le plus bas depuis au moins septembre 2015 », selon l’ONU. « La crise sécuritaire n’est que l’expression d’une crise plus profonde de la gouvernance des États », argue M. Jézéquel.

Le sursaut des armées africaines est plus lent que prévu

Et les armées ? Bien qu’elles n’aient plus subi d’attaque d’envergure chaque jour ou presque, des positions sont attaquées : cette semaine, lundi soir dans le nord-est de la Côte d’Ivoire, un soldat a été tué. Dans la nuit de mercredi à jeudi dans le nord-ouest du Niger, trois policiers et un gendarme ont été tués. Les partenaires, dont Paris, ont longtemps affirmé que ces armées « montent en puissance », mais les résultats sur le terrain peinent à convaincre.

La perte de l’allié tchadien et les coups d’État au Mali

Surtout, politiquement, deux des cinq États de l’organisation régionale G5 Sahel ont connu un changement de pouvoir ces derniers mois : le Tchad, avec la mort subite du maréchal Idriss Déby Itno, et le Mali qui a connu en mai son second coup d’État en neuf mois. Le dernier remonte au 24 mai dernier, il a mis fin à la transition qui était en cours. Le colonel Assimi Goïta qui a mené ces deux coups d’État a beau promettre de mener la transition à son terme avec des civils d’ici la fin février 2022, cela n’a rien changé dans le cheminement de la réflexion autour de la présence française au Sahel. Les soubresauts politiques au Mali soulèvent d’autant plus la question de la présence française qu’une partie des dirigeants maliens souhaitent entamer un processus de négociation avec certains groupes djihadistes, une démarche à laquelle Paris est opposée.

Après ce double coup de force, la France s’est retrouvée face à un dilemme. « On ne peut pas souffrir l’ambiguïté. On ne peut pas mener des opérations conjointes avec des pouvoirs qui décident de discuter avec des groupes qui, à côté de cela, tirent sur nos enfants. Pas de dialogue et de compromission », a martelé Emmanuel Macron. Début juin, la France a gelé ses opérations conjointes avec l’armée malienne pour condamner le coup d’État.

Dans un premier temps, le président Macron a apporté son soutien aux pressions internationales exercées par la Cedeao (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest) et l’Union africaine pour pousser les autorités maliennes à organiser une transition vers un pouvoir civil et des élections en 2022, mais ce jeudi, il a déploré une « mauvaise jurisprudence pour les Africains eux-mêmes » de la Cedeao qui a reconnu le colonel Assimi Goïta comme président de la transition au Mali. Qualifiant cette décision d’« erreur » et craignant un « précédent », il a désigné le colonel Goïta comme « un putschiste militaire ».

Pourtant, depuis des semaines, il a lui-même été critiqué pour avoir soutenu la transition militaire instaurée au Tchad après la mort d’Idriss Déby qui, de l’avis de nombreux analystes, a créé un précédent aux yeux des putschistes maliens. Dans tous les cas, la mission des États ouest-africains dépêchée au Mali après le deuxième coup d’État militaire s’est dite « rassurée » par les engagements pris par le nouveau président, et son Premier ministre, Chogel Kokalla Maïga, un civil.

Une transformation inévitable

En réalité, une réflexion était menée depuis au moins trois ans sur la perspective du retrait des militaires français présents au Mali depuis 2013, au travers de l’opération Serval devenue Barkhane, pour contrer le djihadisme. Mi-février, lors d’un sommet à N’Djamena avec les partenaires du G5 Sahel (Tchad, Mali, Burkina Faso, Niger, Mauritanie), le président français avait repoussé la décision attendue d’entamer le retrait de Barkhane, tout en confirmant une évolution « au-delà de l’été ». Il avait alors promis « une action renforcée » pour « essayer d’aller décapiter les organisations » liées à Al-Qaïda et à l’EI. Plus loin dans le temps, le Sommet de Pau en 2018 devait déjà créer les conditions d’un sursaut des armées africaines, condition sine qua non d’un début de retrait français. Trois ans plus tard, Barkhane s’est enlisée, non sans avoir engrangé des succès tangibles contre l’État islamique au Grand Sahara (EIGS) et les organisations affiliées à Al-Qaïda regroupées au sein du GSIM (Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans). À l’approche de l’élection présidentielle de 2022, cet effort militaire de longue haleine suscite aussi des interrogations croissantes en France, alors que 50 soldats ont été tués au combat depuis 2013.

À l’annonce de ce projet de retrait, de nombreuses questions se bousculent. Des militaires vont-ils être rapatriés ? Combien ? Des bases vont-elles être fermées ? Comment les partenaires vont-ils réagir ? En tout cas, Barkhane semble s’être fixé comme objectif prioritaire de faire tomber le chef du GSIM, Iyad Ag Ghaly, responsable de très nombreuses attaques au Burkina, au Mali et au Niger. « Clairement, aujourd’hui, c’est Iyad Ag Ghali qui est la priorité numéro une [?]. Pour nous, c’est la personne qu’il faut absolument réussir à capturer, voire neutraliser, si ce n’est pas possible de le capturer, dans les prochains mois », soulignait le commandant des opérations spéciales, le général Éric Vidaud, le 3 juin sur la chaîne France 24. Paris compte sur l « internationalisation » de l’effort d’accompagnement au combat des forces locales.

La France mise tout particulièrement sur la montée en puissance du groupement de forces spéciales européennes Takuba, qu’elle a lancé et qui rassemble aujourd’hui au Mali 600 hommes dont une moitié de Français, ainsi que quelques dizaines d’Estoniens et de Tchèques et près de 140 Suédois. L’Italie a promis jusqu’à 200 soldats, le Danemark une centaine et plusieurs autres pays, dont la Grèce, la Hongrie ou encore la Serbie, ont exprimé leur intérêt. Mais après le second coup d’État en mai au Mali, la France a pour l’heure gelé cette mission d’accompagnement au combat des forces armées maliennes. La réaction du partenaire américain sera aussi scrutée alors que Joe Biden est en Europe. En attendant, le président français n’a pas donné de date, ni détaillé les réductions d’effectifs, expliquant qu’il communiquera de nouveau sur le sujet à la fin du mois.

Source: msn.com

2 Commentaires

Laisser un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.

You may like