La Clovibactine, une nouvelle piste d’antibiotique qui pourrait signer la fin de l’antibiorésistance

L’antibiorésistance est depuis le début du siècle un enjeu majeur de santé publique. Pour y remédier, des chercheurs fouillent la matière noire bactérienne à la recherche d’une molécule inconnue des bactéries pathogènes. En découvrant la Clovibactine, ils ouvrent la voie au développement de nouveaux antibiotiques puissants.

Méli-mélo de médicaments
Méli-mélo de médicaments… Bientôt complété par de nouveaux antiobiotiques ? Pour les mettre au point, les chercheurs veulent scruter la « matière noire bactérienne » dont font partie 99% des bactéries.

Ils ne sont pas automatiques, et encore moins magiques : les antibiotiques peinent de plus en plus à lutter contre les bactéries qui deviennent résistantes aux molécules couramment utilisées. L’antibiorésistance est un problème de santé publique majeur, et les chercheurs du monde entier sont à la recherche de nouvelles solutions. Mais la découverte de nouvelles molécules est un réel défi !

Les rares nouveaux antibiotiques introduits en clinique ces dernières décennies ressemblent souvent à d’anciens médicaments déjà connus, et sont donc sujets au développement d’une résistance. La Clovibactine, un nouvel antibiotique découvert par un consortium d’universités européennes et américaines, sur l’initiative de la société NovoBiotic Pharmaceuticals (Cambridge, États-Unis), semble capable de combattre les « superbactéries » multirésistantes sur le long terme. Markus Weingarth, chercheur au département de chimie de l’université d’Utrecht, et ses collègues, font part de la découverte de la Clovibactine et de son mécanisme de destruction dans la revue scientifique Cell.

« Clovibactin est différent »
99% des bactéries font partie de ce que les chercheurs appellent la « matière noire bactérienne », une diversité génétique de microbes qui ne pouvait jusqu’à présent pas être cultivée en laboratoire, ni exploitée pour créer de nouveaux médicaments.

« Clovibactin est différent », déclare Weingarth : « Étant donné que Clovibactin a été isolé à partir de bactéries qui ne pouvaient pas être cultivées auparavant, les bactéries pathogènes n’ont jamais vu un tel antibiotique et n’ont pas eu le temps de développer une résistance ». Aujourd’hui, il existe certaines technologies permettant de détecter et cultiver une partie de cette matière noire.

En 2015, le dispositif iCHip, développé par NovoBiotic Pharmaceuticals, une société américaine de découverte d’antibiotiques en phase de démarrage, et le microbiologiste Kim Lewis de la Northeastern University de Boston permettait la découverte de l’antibiotique Teixobactine. « Teixobactine a été considéré comme le premier antibiotique véritablement nouveau découvert depuis des décennies », précise Markus Weingarth.

C’est le même dispositif qui a permis la découverte de la Clovibactine dans une bactérie isolée d’un sol sablonneux de Caroline du Nord. Les résultats de l’étude montrent que la Clovibactine a un mode opératoire très proche de la Teixobactine. Elle a été utilisée avec succès pour traiter des souris infectées par la superbactérie Staphylococcus aureus, pourtant résistante aux antibiotiques usuels.

Un mécanisme de destruction inhabituel
Les antibiotiques peuvent agir sur les bactéries pathogènes de différentes manières. La Clovibactine va bloquer la synthèse de la membrane entourant la bactérie, mais pour cela, elle cible trois molécules différentes composées de pyrophosphate, composé nécessaire à la construction de cette enveloppe.

« La clovibactine s’enroule autour du pyrophosphate comme un gant bien ajusté. Comme une cage qui enferme sa cible », explique M. Weingarth. « C’est ce qui a donné son nom à la clovibactine, dérivé du mot grec « Klouvi », qui signifie cage ».

Les antibiotiques classiques ciblent généralement une seule molécule, permettant à la bactérie de muter, modifier cette molécule pour échapper à l’action de l’antibiotique et devenir résistante plus facilement. Après avoir fixé les molécules cibles, la Clovibactine se prolonge sous forme de petites fibres à la surface des membranes bactériennes.

« Ces fibrilles garantissent ainsi que les molécules cibles restent séquestrées aussi longtemps que nécessaire pour tuer les bactéries », poursuit le chercheur : « Comme ces fibrilles ne se forment que sur les membranes bactériennes et non sur les membranes humaines, elles sont probablement aussi la raison pour laquelle la Clovibactine n’est pas toxique pour les cellules humaines ».

Une étape importante de la lutte contre l’antibiorésistance
L’aspect remarquable du mécanisme de la Clovibactine est qu’elle ne se lie qu’à la partie immuable (qui ne varie pas), de ses cibles, qui ne peuvent pas muter à cet endroit. « Les bactéries auront beaucoup plus de mal à développer une résistance à son encontre. En fait, nous n’avons pas observé de résistance à la Clovibactine dans nos études », se réjouit Weingarth. Habituellement, des résistances peuvent commencer à se développer en quelques jours en laboratoire.

Néanmoins, la Clovibactine semble être en particulier efficace sur un groupe de bactéries appelé « GRAM positif », qui ne serait pas le plus sensible au développement de résistance. Plus largement l’étude des bactéries non cultivables est une étape très importante dans le développement d’antibiotiques puissants pour l’avenir.

Mais le chemin est encore long, « entre la découverte d’un médicament, les essais sur la souris et la mise sur le marché, cela prend souvent plus de 10 ans et nécessite des investissements considérables », regrette le chercheur, avec l’espoir d’un développement rapide, à l’instar de l’urgence de lutter contre la résistance aux antibiotiques.

La coloration dite de Gram est une procédure complexe créée en 1884. Les bactéries dont la paroi est épaisse et imperméable sont dites « Gram positif » ; après le traitement de la méthode Gram, elles prennent une coloration violet. Les bactéries dont la paroi est riche en lipides et plus perméable sont elles colorées en rose, et appelées « bactéries à Gram négatif ». Cette distinction est toujours utilisée en infectiologie : certains antibiotiques n’agissent que sur un groupe de bactéries par exemple.

sciencesetavenir

You may like