Russie : Après la mort d’Evgueni Prigojine, quel avenir pour la milice Wagner ?

A spontaneous memorial dedicated to the head of Wagner PMC Yevgeny Prigozhin, who died in a plane crash, on the site of the former office of Wagner PMC on Yadrintsevskaya Street in Novosibirsk. Men set up the Wagner PMC flag near the portraits of Wagner PMC head Yevgeny Prigozhin and Wagner PMC commander Dmitry Utkin. 24.08.2023 Russia, Novosibirsk Photo credit: Vlad Nekrasov/Kommersant/Sipa USA/47916478//2308241448

Très active dans la guerre en Ukraine pour le compte de la Russie, la milice Wagner fondée par Evguéni Prigojine se retrouve sans chef après l’explosion suspecte de son avion entre Moscou et Saint-Pétersbourg mercredi 23 août. Si rien n’est encore certains, des experts estiment que Wagner est voué à se substituer à d’autres sociétés de sécurité privée.

Après une journée de silence, Vladimir Poutine, le président russe, est apparu à la télévision ce jeudi pour saluer « la contribution » en Ukraine du patron de la milice privée Wagner, Evgueni Prigojine, décédé hier dans un crash d’avion. Le chef du Kremlin reconnaît ainsi la mort de son ancien cuisinier, car jusque-là, les informations officielles faisaient état de 10 morts, sans les nommer.

L’accident s’est produit dans la région de Tver et l’avion reliait Moscou à Saint-Pétersbourg, où Wagner à son siège. À bord, se trouvait également le bras droit d’Evgueni Prigojine, Dmitri Outkine et d’autres responsables de Wagner.

Lors de son allocution, le président russe a par ailleurs promis que l’enquête sur les causes de l’accident de l’avion serait menée en « intégralité » pour aboutir à « une conclusion » : « Nous verrons ce que les enquêteurs diront dans un avenir proche. L’expertise est en cours, une expertise technique et génétique. Cela prendra un certain temps », a expliqué Vladimir Poutine. A l’image des déclarations du ministère français des Affaires étrangères à l’Agence France Presse, des doutes subsistent sur l’origine de l’accident. Le Quai d’Orsay dit ne pas être en mesure de se prononcer « sur les conditions du crash qui sont d’ailleurs tout sauf claires ».

« La probabilité qu’il ait été tué par l’Etat russe est très élevée »
Plusieurs experts s’accordent à dire que l’accident pourrait être le fait de Vladimir Poutine qui était menacé il y a deux mois par la tentative de putsch du chef de Wagner. Selon Christian Makarian, éditorialiste spécialisé en politique internationale au Point et à Radio Classique, plusieurs éléments accréditent cette thèse : « Au soir du 24 juin, le soir même de la mutinerie lancée par Wagner, Vladimir Poutine a parlé à la télévision d’un châtiment ‘inévitable’. Il avait annoncé le sort qui serait réservé à Prigojine ».

« La probabilité que Prigojine ait été tué par l’Etat russe est très élevée, reconnaît Kélian Sanz Pascual, analyste géopolitique chez Cassini Conseil et chargé de recherches au centre Geode. Les éléments en ligne et les témoignages permettent de voir deux éléments. Les impacts sur la carcasse de l’avion pourraient avoir été causés par un projectile à sous-munition. Étant donné qu’une base militaire se trouve à cinquante kilomètres du lieu où l’avion s’est écrasé, beaucoup de choses laissent penser que c’est un assassinat. »

Le général Dominique Trinquand, ancien chef de la mission militaire française auprès de l’ONU estime que « rien ne peut se passer à ce niveau-là sans l’accord du président Poutine. La seule chose qui pourrait échapper à cela c’est un accident, mais au vu des éléments, ça paraît peu probable ».

Message pour les élites russes
La mort d’Evgueni Prigojine est aussi un message envoyé par Vladimir Poutine. « Son image dans certains cercles a été fragilisée », analyse Kélian Sanz Pascual. Le général Dominique Trinquand voit dans l’explosion de l’avion de Prigojine « un retour à l’ordre » : « Après la mutinerie de fin juin, le président russe avait déjà mis un coup d’arrêt à Wagner en arrêtant le général Sourovikine (le commandant des troupes russes en Ukraine de novembre à janvier dernier, ndlr) et qui était en lien avec Prigojine ».

La disparition du chef de Wagner montre que « le seul maître à bord, c’est Vladimir Poutine et qu’on lui doit la loyauté », explique Kélian Sanz Pascual pour qui c’est une manière de dissuader ceux qui pourraient penser à mener un coup d’Etat. Christian Makarian va même plus loin : « Vladimir Poutine souhaite qu’on lise l’élimination de Prigojine comme un acte d’État et pas un accident. Il envoie un message à toute l’élite Russie et tous les cercles décisionnaires, un message clair ».

Le futur de Wagner en Afrique
Evgueni Prigojine est apparu pour la dernière fois dans une vidéo deux jours avant l’explosion de son avion. Tournée en Afrique, sans que l’on puisse en confirmer la localisation exacte, il déclarait que Wagner « rend la Russie encore plus grande sur tous les continents, et l’Afrique encore plus libre ». Sa milice est présente dans plusieurs pays du continent comme la Libye, le Mali ou encore la Centrafrique. « Wagner est important pour la Russie parce que c’est en Afrique que le groupe travaille à la déstabilisation des Etats occidentaux », développe le général Dominique Trinquand.

Selon lui, ils vont « avoir le choix entre ceux qui les paient et ceux qui peuvent les assassiner ». Pour Kélian Sanz Pascual : « C’est le ministère russe de la Défense qui va se tailler la part du lion ». Le chargé de recherche au centre Geode indique que « depuis les évènements de juin, on a vu davantage d’initiatives du ministère de la Défense pour récupérer les activités d’Evgueni Prigojine », citant par exemple une délégation russe qui s’est rendue en Libye ou encore la loi selon laquelle les mercenaires de Wagner devaient s’enregistrer auprès du ministère et qui avait déclenché l’ire du chef du groupe paramilitaire.

D’après lui, la Russie ne peut pas se passer des soldats déployés en Afrique. « Les mercenaires signeront des contrats avec d’autres sociétés plus fidèles à Vladimir Poutine. Il est probable que le nom de Wagner disparaisse au profit de sociétés comme Redut et Convoy. Elles étaient en Ukraine avant Wagner, mais elles y ont obtenu de mauvais résultats ».

« Relativement improbable qu’il ne soit pas mort »
Le général Dominique Trinquand et Kélian Sanz Pascual affirment tout de même qu’il va falloir attendre avant de connaître les conséquences de la mort d’Evgueni Prigojine. Si les condoléances de Vladimir Poutine sonnent comme une officialisation de la mort du chef de Wagner, certains évoquent sa capacité à se dissimuler. Une perquisition avait révélé sa panoplie de perruques lui permettant de changer l’apparence de son visage.

« Ça me paraît relativement improbable qu’il ne soit pas mort, mais c’est le troisième accident d’avion dans lequel il décède, rappelle Kélian Sanz Pascual. Les deux fois précédentes, c’était en Afrique, mais les circonstances n’étaient pas les mêmes. Il n’était pas encore un personnage public avec la vidéo facile sur Telegram et il n’avait pas tenté de faire un coup d’Etat. »

publicsenat

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