Un sursis de quatre ans: la Bulgarie, premier producteur mondial d’huile de lavande, peut respirer. L’application du vilipendé projet de l’UE de revoir les textes restreignant les substances chimiques nocives va probablement être mise en suspens.
Pourtant Nikolay Nenkov broie du noir. A la tête de la distillerie Galen-N, parmi les plus importantes de la région, il imagine déjà devoir apposer sur ses flacons sortis du laboratoire des étiquettes avertissant du danger en cas d’ingestion du produit ou du risque d’allergies.
« Nous craignons que de telles mesures rebutent le consommateur et entraînent à terme une disparition de la culture dans certaines régions », où la tradition remonte souvent à l’ère communiste, dit-il à l’AFP.
De quoi « malmener davantage » un secteur déjà miné par le réchauffement climatique, les parasites, des prix en berne ou encore le manque de main-d’oeuvre.
– « Grand pas en avant » –
Le combat dure depuis des années, de la vallée bulgare à la Provence française, où les photogéniques champs séduisent touristes et internautes. Parmi les autres gros producteurs mondiaux, figurent la Chine, la Moldavie et la Grèce.
En cause, la révision prévue des règlementations européennes en matière de chimie, dites REACH et CLP, pour mieux informer les consommateurs de l’éventuelle existence de perturbateurs endocriniens, d’agents cancérigènes ou d’allergènes.
Si le premier dossier a été repoussé au quatrième trimestre 2023, la refonte du second texte est elle bien avancée.
La proposition de la Commission visant à clarifier la classification et l’étiquetage des substances, en particulier pour les ventes en ligne, a ainsi été discutée par les 27 membres de l’UE fin juin.
Des négociations sont désormais prévues avec le Parlement, qui doit examiner le sujet en petit comité le 11 septembre avant un vote en séance plénière en octobre.
Face aux réticences des producteurs, le Conseil de l’UE a proposé une exemption de quatre ans à compter de l’entrée en vigueur du texte.
« Le problème n’est pas résolu mais ce report est un grand pas en avant », se félicite M. Nenkov, fort du soutien du Premier ministre Nikolay Denkov, chimiste de profession.
– Surproduction –
En attendant, l’exécutif européen s’efforce de dissiper les inquiétudes. « Les huiles essentielles sont déjà définies comme des substances chimiques », a rappelé un porte-parole interrogé par l’AFP.
« La Commission n’a pas l’intention d’imposer l’analyse de chaque molécule » des huiles essentielles ou « de les interdire », mais « envisage d’élargir la nature des risques », souligne-t-il.
Tout en transvasant l’huile jaune pâle issue du processus de distillation, le technicien Vasil Andreev, 70 ans dont 45 ans dans l’univers de la lavande, insiste sur les vertus « naturelles » de la plante.
Il faut une centaine de kilos de fleurs, encore pressées au pied, pour fournir un kilo de ce produit noble destiné à la parfumerie, à l’aromathérapie et à la cosmétique.
Mais les affaires ne sont pas bonnes: il se négocie actuellement sur le marché national de 20 à 35 euros, loin des 140 euros atteints en 2018.
« Cela fait trois ans que le monde est en surproduction, avec une offre qui dépasse la demande et donc des prix qui chutent, une situation qui incite de plus en plus d’agriculteurs à jeter l’éponge », explique l’expert Nikolay Valkanov, du groupe de réflexion InteliAgro, appelant à « détruire des champs » pour rééquilibrer le marché.
Dans la distillerie, où flotte une puissante odeur de lavande, le patron Nikolay Nenkov évoque « un gros problème ». Aux tarifs actuels et avec les nouvelles étiquettes tant redoutées, « quel sens » y a-t-il à poursuivre la culture ?, souffle-t-il.
AFP