On connaissait les récifs artificiels en béton pour offrir de nouveaux abris aux algues, coraux, crustacés et poissons. Cette fois-ci, des chercheurs ont opté pour une solution naturelle : les arbres ! Sciences et Avenir vous explique comment ça marche, en six questions avec Jon Dickson, premier auteur de l’étude.
Pour de nombreuses espèces aquatiques, les récifs sont synonymes d’abris et de sources de nourriture. Cependant, ils se font de plus en plus rares, menacés par l’activité humaine et l’exploitation des ressources des grands fonds. Pour tenter de relancer la biodiversité marine, des biologistes néerlandais ont créé des récifs artificiels en assemblant des poiriers abattus, et les ont immergés dans la mer des Wadden. Résultat ?
La fréquentation de ces récifs était cinq fois plus élevée que celle des sites sablonneux alentour. Alors, se pourrait-il que les arbres sauvent la biodiversité marine ? Sciences et Avenir a posé la question à Jon Dickson, chercheur à l’origine du projet.
Jon Dickson : le bois immergé est un récif naturel, tout comme les rochers, les coquillages, les os, les moules, les huîtres, les coraux, et bien d’autres encore. De nos jours, on trouve notamment de grandes quantités de bois flotté sur les plages du Canada, de la Russie, du nord de la Norvège et même du nord de l’Islande (où il n’y a pas d’arbres). Ces arbres ont dérivé depuis la Sibérie et la Norvège. Certains d’entre eux flottent pendant 6 à 17 mois (en fonction de l’espèce), puis coulent.
Cependant, depuis que l’Homme contrôle les rivières dans la plupart des régions du monde, et qu’il défriche les terres pour l’agriculture, les substrats durs tels que le bois ou les roches transportées par les rivières atteignent rarement la mer. Et même lorsqu’ils y parviennent, ils sont retirés car ils représentent un danger potentiel pour le chalutage.
Dans la mer des Wadden, une autre considération s’ajoute à ce problème anthropique : l’importation de sédiments est énorme – en fait, la mer des Wadden importe deux fois plus de sable qu’elle n’en a besoin pour rester en avance sur l’élévation du niveau de la mer. Les récifs qui subsistent encore sont donc lentement ensevelis.
« Il ne s’agit pas de couper des arbres pour créer des récifs ! »
Pourquoi avez-vous utilisé des arbres fruitiers ?
Nous avons utilisé des arbres fruitiers parce qu’ils constituent un déchet. En effet, il ne s’agit pas de couper des arbres pour créer des récifs ! Ce serait comme déshabiller Pierre pour habiller Paul. Cependant, de grandes quantités d’arbres sont coupées chaque année dans le seul but de défricher des terres.
Restons sur l’exemple des arbres fruitiers. Ceux-ci ont une durée de vie économique de 15 à 25 ans, après quoi ils ne produisent pas assez de fruits pour justifier l’espace qu’ils occupent dans le verger. C’est pourquoi les agriculteurs les coupent et plantent de nouveaux arbres. Ces déchets sont alors vendus comme bois de chauffage, ou simplement mis en décharge.
Et ce ne sont pas les seuls. Les villes élaguent aussi les arbres qui menacent de tomber et les pompiers déboisent souvent une partie de la forêt pour créer un coupe-feu. Des millions d’arbres (ou de grosses branches) sont ainsi coupés chaque année et peuvent être utilisés comme déchets.
Ces substrats pourraient-ils constituer des sites de nidification ?
Il s’avère que c’est le cas ! Bien que les résultats de notre article ne portent que sur les six premiers mois de surveillance (en 2022), nos visites sur les sites de récifs cette année ont révélé la présence d’œufs de poissons attachés aux arbres ainsi que d’un certain nombre de juvéniles, ce qui prouve bien que ces récifs fournissent un habitat, des frayères et des aires de croissance.
Ces résultats ne sont pas encore publiés, car nous n’avons obtenu ces données que la semaine dernière, mais nous savons désormais que ces récifs fournissent des sites de frai.
Avez-vous été surpris de trouver certaines espèces dans vos récifs ?
Trouver des œufs de seiche a été une bonne surprise car il y a très peu de sites de nidification pour les seiches dans la mer des Wadden. Et c’est sans compter aussi la découverte de grandes anguilles adultes (anguilla anguilla), une espèce en voie de disparition ! La taille des anguilles que nous trouvons varie, mais l’une d’entre elles mesurait 80 cm.
En d’autres termes, il s’agissait d’un poisson âgé de plusieurs années. Cela montre que les poissons adultes sont capables de trouver et d’utiliser les récifs, et qu’ils n’ont pas besoin d’y être nés pour les exploiter !
Peut-on imaginer l’introduction de tels récifs ailleurs dans le monde, ou encore en eau douce ?
C’est l’objet de mes prochaines recherches. Les poissons des lacs et des rivières ont également besoin d’une structure pour se reproduire, se cacher des prédateurs ou chasser. En outre, nous savons que les arbres fonctionnent bien dans la mer des Wadden, mais dans quelle mesure ces récifs seront-ils utilisés dans la mer du Nord, ou au large de la Nouvelle-Zélande, de la Chine ou du Canada ? Je m’attends à ce qu’ils fonctionnent tout aussi bien, abritant simplement des espèces et des comportements différents.
On pourrait également utiliser ces récifs arborescents à d’autres fins, peut-être en tant que défense côtière non durable, ou sous les fermes piscicoles, pour encourager la colonisation des coquillages, et ainsi contribuer à la biorestauration des effluents des fermes piscicoles.
« Nous espérons qu’un récif de coquillages pourra s’établir et se développer naturellement »
Y a-t-il des arbres susceptibles de résister plus longtemps que d’autres en pleine mer ?
Nous pensons que cela est lié à la densité. Ainsi, le poirier est assez durable, mais un bois encore plus dur et plus dense durerait plus longtemps. Toutefois, ce type de bois plus résistant est généralement tropical et vendu comme bois d’œuvre de haute qualité. Il ne s’agit donc pas d’un déchet, contrairement aux arbres fruitiers à bois dur (pommiers, cerisiers, poiriers).
Nous ne pouvons qu’estimer la durée de vie des récifs avant que le ver des bois ne les consomme entièrement. L’objectif final de notre projet est de créer un « squelette » auquel les moules et les huîtres pourront s’attacher et sur lequel elles pourront se développer. Les générations successives de coquillages continueront ainsi à se fixer les unes sur les autres, élargissant le récif et ses services écosystémiques pour les poissons et les organismes sessiles. Car les balanes, les anémones et les tuniciers se développent tout aussi bien sur des coquilles !
Mais lorsque le bois lui-même ne sera plus assez solide pour soutenir ses habitants parce qu’il aura été mangé, nous espérons que la quantité de coquillages qui pousse sur le récif sera suffisante pour créer un récif en lui-même. Les coquillages ont juste besoin d’un squelette auquel s’agréger : un rocher, un morceau de bois, etc. Nous espérons pouvoir restaurer les récifs naturels de coquillages en mer du Nord et ailleurs en fournissant ce squelette biodégradable.
Dans quelques années, le bois se décomposera et nous espérons qu’un récif de coquillages pourra alors s’établir et se développer naturellement, sans autre intervention humaine.
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