Aulas, victime du spoil system américain

Jean-Michel Aulas a porté plainte pour diffamation et engagé une procédure du gel de 14,5 millions d’euros sur les comptes de l’OL. Ce nouvel épisode de la guerre Aulas-Textor met en lumière la brutalité du spoil system américain. Explications.

Pour faire court, l’ex-président et propriétaire du club rhodanien réclame une somme d’argent liée aux conditions de son éviction en mai 2023. Une éviction brutale, comme il l’a rappelé dans son communiqué d’hier soir : « Le 8 mai, John Textor me révoque sans ménagement. » Sans entrer sur le fond judiciaire et financier du conflit, le cadre formel du clash persistant entre l’ancien propriétaire de l’OL et son successeur révèle globalement sur la forme une différence de deux cultures managériales, française d’un côté (JMA) et américaine de l’autre (Textor).

Les dépouillés du système
Très généralement, dans la vie politique américaine existe le spoil system, ou système des dépouilles : depuis le XIXe siècle, chaque nouveau président élu des États-Unis peut virer la quasi-totalité des membres de l’administration fédérale, fonctionnaires et hauts fonctionnaires de la précédente gouvernance, pour placer ses fidèles. Dans le monde du business, c’est un peu pareil : un nouveau propriétaire arrive dans une entreprise qu’il a rachetée et il peut dégager qui il veut, comme il le veut, quand il le veut.

Aux USA, les manières de virer les gens sont très expéditives. C’est dans les années 1980 avec les fameux raiders qui lançaient des OPA carnassières que les scénarios humiliants se sont généralisés. Vous l’avez souvent vu au cinéma : c’est le fameux cadre d’une grande boîte avec ancienneté qui se rend au boulot et qui découvre que ses affaires de bureau ont été jetées sur le trottoir : sacked ! Il doit rendre ses badges, les clés du parking et celles de son bureau.

Aux États-Unis, il arrive qu’on vire des milliers de salariés par SMS, par mail, ou en direct-live sur Twitch : Elon Musk a ainsi viré en direct des executives de Twitter, qu’il venait de racheter ! Et le droit social US est très peu protecteur…

Après le rachat de l’OL par Johan Textor (groupe Eagle Football) en décembre 2022, le vénérable JMA, 74 ans, a été brutalement débarqué dans la nuit du 7 au 8 mai dernier par un humiliant communiqué nocturne : « Monsieur Jean-Michel Aulas sera nommé président d’honneur ». Dans la foulée, le 16 mai, la nouvelle direction américaine a revendu la section féminine de l’OL, puis le 19 juin, Matthieu Louis-Jean a été nommé au poste de directeur du recrutement à la place de Bruno Cheyrou, placardisé, et un autre nouveau, Martin Buchheit, a été installé comme directeur de la performance.

Aujourd’hui subsistent encore quelques rescapés notables de l’ère Aulas : Vincent Ponsot (directeur général du football), Sonny Anderson (« conseiller sportif » d’OL Groupe) ou Laurent Blanc, actuel coach de l’équipe A. Mais jusqu’à quand resteront-ils en place ? Avec le dézingage de Jean-Michel Aulas, la brutalité du hard management de John Textor à l’OL a beaucoup étonné en France. Car nous sommes globalement plus dans « l’affect », le Droit du travail plus protecteur, dans la continuité managériale (continuité des contrats de travail en cours, indemnités de licenciement, recasages éventuels, etc.).

Les précédents Frank McCourt et Todd Boehly
À travers John Textor, la France découvre un peu mieux la réalité du management US et les effets de la mondialisation pas très heureuse. Au PSG, en 2011, les Qataris avaient plus mis les formes. Aulas et l’OL, c’est une histoire de près de 37 ans… rayée d’un communiqué en pleine nuit ! Malgré une indemnité de résiliation évaluée à 24 millions d’euros au moment de son départ, Jean-Michel Aulas, très français sur le coup, a été naïf. Il a cru pouvoir rester en tant que président honoraire un continuateur de l’OL d’avant, avec encore un petit pouvoir de décision… Erreur !

Les Américains ne plaisantent pas, ne partagent pas. C’est Santiago Cucci, actuel président exécutif de l’OL, qui met en musique la stratégie managériale de John Textor et d’Eagle Football (Eagle, comme l’aigle, oiseau de proie). Dans une interview à L’équipe et au Progrès mercredi, JMA a eu ce cri du cœur : « C’est mon club, je serai toujours derrière lui, bien qu’on ne veuille pas de moi en tribune présidentielle, alors que je suis administrateur du club. » Pauvre Jean-Michel ! Il aurait dû se pencher sur le passé et les méthodes brutales de Frank McCourt, l’actuel propriétaire de l’OM : McCourt avait « spoilé » le club des LA Dodgers lorsqu’il l’avait racheté en 2004.

Francky avait viré d’entrée le chief executive Dan Evans pour y installer Paul DePodesta, qu’il avait viré au bout d’un an. Idem pour le coach Jim Tarcy, viré aussi en 2005. Todd Boehly, lui, avait repris Chelsea en 2022 dans un climat mélangeant hystérie antirusse et gestion brutale désastreuse. Spoil system impitoyable là aussi, avec le limogeage immédiat de deux executives de grande valeur qu’étaient Bruce Buck et Marina Gravnoskaïa, puis du coach Thomas Tuchel, vainqueur de la C1, remplacé par l’incapable Frank Lampard. Chelsea avait fini 12e de PL en 2023…

Le bilan actuel de Boehly et de ses adjoints : un milliard dépensé dans le recrutement, 35 joueurs sous contrat, augmentation du prix des billets des matchs des féminines, suppression de la subvention de 250 000 livres pour les trajets en car des supporters pour les matchs à l’extérieur…

En guise de conclusion un peu hâtive, il serait utile que le football français en général et surtout les dirigeants de clubs français qui cèdent leur club à des repreneurs américains sachent bien ce qu’il leur en coûtera. Au RC Strasbourg, géré en multipropriété, BlueCo (groupe américain propriétaire aussi de Chelsea FC) n’a pas agi avec brutalité en reprenant le club alsacien. Pour l’instant.

sofoot

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