La Raiffeisen Bank ou les tribulations d’une banque autrichienne en Russie

Les pressions s’accentuent sur la Raiffeisen Bank, principale banque autrichienne et plus importante banque occidentale encore présente en Russie. Ses très lucratives affaires russes pourraient lui coûter très cher alors qu’elle avait été l’une des premières banques occidentales à miser sur la Russie dès les années 1990.

Pendant la guerre, les affaires continuent. C’est ce qui est reproché, avec de plus en plus d’insistance, à la Raiffeisen Bank International (RBI), la principale banque autrichienne, très présente en Russie.

La valeur de ses avoirs dans ce pays a ainsi augmenté de 40 % entre janvier 2022 et mars 2023 pour atteindre les 29 milliards de dollars, a constaté le quotidien britannique Financial Times dans un article publié dimanche 3 septembre.

Des profits russes en hausse
En outre, les bénéfices que la filiale de Raiffeisen Bank en Russie a enregistrés ont connu une forte hausse – de près de 10 % – durant les six premiers mois de 2023, précise le Financial Times. « Pourquoi cette banque autrichienne continue-t-elle à gagner autant d’argent en Russie ? », s’interroge ainsi la Süddeutsche Zeitung.

Les sanctions internationales et les pressions sur les grands groupes occidentaux présents en Russie ont poussé un certain nombre de ces acteurs à se retirer depuis le début de la grande offensive russe en Ukraine de février 2022. Des banques françaises, comme la Société Générale ou BNP Paribas, se sont ainsi délestées de leurs actifs russes, quitte à subir des milliards de pertes à cette occasion, rappelle le magazine Le Point.

La Raiffeisen Bank a, pour sa part, accru le nombre de ses employés en Russie, qui atteint dorénavant presque 10 000 personnes contre 9 000 avant le conflit, souligne le site The Banker. De quoi pousser les autorités ukrainiennes à placer plusieurs responsables de la RBI sur une liste des « personnes à sanctionner », y compris son PDG, Johann Strobl.

La présence en Russie de la RBI fait aussi des vagues dans le petit milieu feutré des banquiers. À l’occasion d’une conférence sur la finance internationale qui s’est déroulée au Tyrol, Johann Strobl s’est vertement fait interpeller par le public sur les affaires russes de la banque autrichienne, a raconté la Süddeutsche Zeitung.

Il faut dire que le dirigeant de la RBI avait annoncé en mars qu’il quitterait d’une manière ou d’une autre la Russie en septembre. Puis, durant l’été, des responsables de la banque ont reconnu qu’il faudrait encore attendre un peu, sans donner plus de précisions sur une éventuelle nouvelle échéance, note l’agence de presse Reuters.

De son côté, la Raiffeisen Bank affûte ses arguments pour contrer les critiques. Contactée par France 24, elle souligne qu’entre le second semestre de 2022 et celui de 2023, la valeur de ses actifs russes a baissé. Elle ajoute que le nombre de prêts à des clients russes à presque été divisé par deux. Le processus de désinvestissement serait donc bel et bien en cours.

Présence historique en Russie
Surtout, la banque autrichienne déplore être constamment citée en exemple des mauvais élèves occidentaux toujours présents en Russie. Il est vrai que d’autres sociétés sont dans le même cas, et il existe même une liste des entreprises occidentales encore actives en Russie, régulièrement mise à jour par l’université de Yale. « On a constaté qu’il y avait beaucoup d’entreprises qui promettaient de partir, mais que dans les faits, ce n’était pas toujours suivi d’effet.

Ou alors, ce n’étaient pas de vrais retraits, mais plutôt, par exemple, un gel des nouveaux investissements », explique Benjamin Hilgenstock, spécialiste des sanctions internationales contre la Russie à la Kyiv School of Economics.

Il n’empêche que la RBI ressort du lot. Parce qu’il y a « peu de banques occidentales qui avaient une présence conséquente en Russie avant la guerre et la Raiffeisen Bank était clairement la plus importante », souligne Kirill Shakhnov, spécialiste de finance internationale à l’université de Surrey ayant écrit sur l’impact des sanctions contre la Russie. Les deux autres principales banques occidentales à avoir misé gros sur la Russie sont les groupes italien UniCredit et hongrois OTB Bank… tous les deux également encore présents en Russie.

La filiale locale de la banque autrichienne fait même partie des dix banques les plus importantes en Russie et « est considérée comme un établissement systémique pour la finance en Russie », ajoute le spécialiste de finance Kirill Shakhnov. Ce n’est pas une mince réussite car « le secteur bancaire russe est très concentré et laisse peu de place à des acteurs étrangers », ajoute Kim Kaivanto, économiste à l’université de Lancastre.

En fait, la RBI fait un peu figure de première à être arrivée et dernière à vouloir partir. Elle a commencé à investir en Russie dès 1996 et a continué depuis à dépenser sans compter pour y gagner des parts de marché, résume le Financial Times. Résultat des courses : « Les opérations en Russie représentent aujourd’hui près de 60 % des profits réalisés par la banque au niveau mondial », souligne Kirill Shakhnov

La banque des transactions internationales entre la Russie et le monde ?
Difficile de se couper d’un tel marché. Et la guerre en Ukraine semble avoir encore amélioré les affaires de la banque. D’abord, « parce qu’elle a pu récupérer des clients des autres banques occidentales qui sont rapidement parties », souligne Tyler Kustra, spécialiste des sanctions économiques internationales à l’université de Nottingham.

Ensuite, « comme toutes les filiales russes des groupes occidentaux, la RBI n’est pas soumise au régime des sanctions. Elle a toujours accès aux réseaux bancaires internationaux où elle a pu emprunter de l’argent à des taux très bas l’an dernier pour ensuite accorder de lucratifs prêts en Russie où les taux avaient explosé à cause de la guerre », explique Kirill Shakhnov.

Enfin, la guerre semble avoir fait de la RBI un acteur clé de ce qu’il reste des transactions internationales entre la Russie et l’Occident. « Depuis que la plupart des banques russes sont sur les listes de sanctions, il faut bien trouver des intermédiaires financiers pour gérer le paiement des achats de gaz naturel russe par les pays européens, par exemple. Et à part la Raiffeisen Bank, il n’y a pas grand monde », détaille Kirill Shakhnov.

Le Financial Times assurait ainsi en mars que la RBI gérait dorénavant près de 50 % des transactions internationales russes. Ce qui en ferait un rouage essentiel pour faire entrer de l’argent en Russie et, par conséquent, pour financer l’effort de guerre russe.

Une estimation vigoureusement contestée par la Raiffeisen Bank qui soutient auprès de France 24 que la banque « ne gère certainement pas jusqu’à 50 % des transactions financières entre la Russie et le reste du monde ». Elle souligne, de surcroît, que cette part n’a fait que baisser depuis la publication de l’article du Financial Times.

Le prix à payer
Le fait d’être constamment mise sur la sellette et de devoir se défendre « représente le prix à payer pour une entreprise qui décide de faire des affaires dans des pays autoritaires », souligne Benjamin Hilgenstock. Il peut y avoir de sacrés couleuvres à avaler pour qui « lorgne sur les parts de marché de ceux qui partent », assure Alexander Mihailov, économiste à l’université de Reading ayant écrit sur le secteur monétaire russe.

Ainsi, la RBI s’est retrouvée en eaux médiatiques très troubles pour avoir accordé des délais de remboursement à ses clients russes endettés qui devaient se battre sur le front. La banque a beau avoir répondu qu’il s’agissait d’une obligation légale, « personne ne l’oblige à rester », note Benjamin Hilgenstock.

Mais partir n’est pas non plus facile. « La RBI se retrouve coincée », assure le quotidien autrichien Der Standard. Moscou a, en effet, édicté des mesures au cours de l’année 2022 pour « rendre aussi douloureux que possible tout retrait de Russie par une entreprise », souligne l’économiste Kim Kaivanto. Il faut obtenir l’accord des autorités russes, y compris du président Vladimir Poutine, en cas de vente des actifs. Autrement dit, pour obtenir le feu vert russe, il faut accepter les conditions du Kremlin.

Les candidats au départ doivent aussi payer une taxe supplémentaire. « La Russie espère que ces mesures poussent les entreprises occidentales à tenter de faire pression sur leurs gouvernements pour alléger les sanctions qui pèsent sur la Russie », poursuit Kim Kaivanto.

Dans le cas de la Raiffeisen Bank, plier bagage et faire une croix sur ses activités russes « reviendrait plus ou moins à un suicide financier », résume Kirill Shakhnov. C’est pourquoi les responsables de la banque semblent décidés à remettre ce retrait promis aux calendes grecques. « Ils espèrent que la guerre sera bientôt finie, ce qui leur permettrait de rester », note l’agence Reuters.

En attendant, les responsables de la banque autrichienne ont le regard rivé sur… Washington – les États-Unis ayant commencé à se pencher en février sur les activités russes de la RBI. Et si les Américains estiment que la banque viole le régime des sanctions contre la Russie, ils pourraient interdire à la banque de faire des transactions en dollars… De quoi signer l’arrêt de mort de cette banque.

france24

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