Cinquante-quatre cadavres d’exilés s’entassent depuis le mois de juin dans la morgue de l’hôpital de Gabès, dans le sud-est de la Tunisie. À l’origine de cette situation : le refus de certaines municipalités alentours d’enterrer les corps dans leurs cimetières.
Leurs corps n’ont toujours pas de sépultures. Depuis le mois de juin, les cadavres de 54 migrants subsahariens « d’identité inconnue pourrissent dans la morgue de l’hôpital régional Mohamed Ben Sassi de Gabès », sur la côte sud-est de la Tunisie, a indiqué lundi 4 septembre le député de la région Issam Al-Jabri à Tunisie Numérique.
En cause ? Le refus des municipalités alentours « de les faire inhumer dans leurs cimetières ». D’après le média tunisien, le député leur a demandé de « résoudre ce problème ». Le ministère de l’Intérieur et le président de la République Kaïs Saïed ont aussi été prévenus de la situation.
Gabès est un des points de départ, en Tunisie, des tentatives de traversée de la Méditerranée pour l’Europe. Mais le golfe, caractérisé par de forts courants marins, est dangereux pour les migrants et les naufrages d’embarcations y sont réguliers. Le 12 août, un jeune homme de 20 ans et un bébé, tous les deux Tunisiens, sont morts en mer, à 120 mètres de la plage. Cinq autres personnes sont portées disparues.
Outre les corps de migrants décédés au large de ses côtes, depuis 2020 et la signature d’un accord avec le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), la ville de Gabès reçoit aussi les cadavres d’exilés rejetés par la mer sur une partie de la côte sud-est.
En juillet 2019, la morgue de l’hôpital avaient reçu 84 corps, pour une capacité de 30 maximum. Ces derniers étaient entassés à même le sol, dans le sous-sol de l’hôpital. Après une expertise médico-légale et un prélèvement ADN à des fins d’identification, les corps ne quittaient la morgue qu’une fois un lieu d’inhumation trouvé.
« Une tâche compliquée », avait confié à l’AFP le gouverneur de Gabès, Mongi Thameur, des représentants locaux de la société civile ayant refusé que ces migrants soient enterrés dans les cimetières municipaux.
Une fois passés par la morgue de l’hôpital, une partie des cadavres sont tout de même conduits au cimetière municipal de Gabès. En février 2020, une dizaine de leurs tombes avaient été profanées. « Un acte criminel barbare » et « un viol des droits et des valeurs d’humanité », avaient déploré la Ligue tunisienne des droits de l’Homme (LTDH).
La morgue de Gabès n’est pas la seule dans cette situation. Celle de Sfax, un peu plus au sud, alerte régulièrement sur la saturation de ses locaux. En mars dernier, le site comptait 70 corps de migrants pour une capacité totale de 35 places. À quelques kilomètres de là, à Zarzis, ce sont les cimetières qui sont pleins. Les deux lieux de sépulture réservés aux exilés sont remplis de cadavres. Ils compte à eux deux environ 1 000 corps.
Près de 115 000 arrivées en Italie
Entre le 1er janvier et le 20 juillet 2023, 901 corps de migrants au total ont été retrouvés sur les côtes tunisiennes, a indiqué le ministre tunisien de l’Intérieur Kamel Feki le 26 juillet dernier. Parmi ces victimes se trouvaient 26 Tunisiens, 267 « étrangers » (des Africains subsahariens) et 608 corps non-identifiés. Ces chiffres illustre l’explosion du nombre de tentatives de traversées de la Méditerranée au départ de la Tunisie, en première place des pays de départs d’exilés de la région, devant la Libye.
Jusqu’ici cette année, près de 115 000 personnes ont débarqué en Italie, pour les deux tiers en provenance de Tunisie, selon les chiffres du Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). En plus des Tunisiens fuyant la crise socio-économique dans leur pays – qui représentent 8 % des arrivées en 2023 selon le HCR -, les départs de migrants subsahariens se sont accrus ces dernières semaines.
Début juillet, des vagues d’actes racistes, entretenues par les discours xénophobes du président Kaïs Saïed, ont mené à l’arrestation de milliers d’exilés dans le pays. Des centaines d’entre eux ont été expulsés aux frontières algérienne et libyenne, dans le désert, sans eau ni nourriture, pendant plusieurs semaines. Par peur des violences et des arrestations, beaucoup ont avancé leur départ pour l’Europe.
À l’instar de Salif*, Ivoirien de 39 ans installé à Sfax depuis 4 ans. « Je sais que la traversée de la Méditerranée est risquée mais je n’ai pas peur, a-t-il confié à InfoMigrants. Je préfère mourir en mer que d’être maltraité par mes propres frères africains ».
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