Canicules : la climatisation souffle le froid et le chaud sur la planète

Alors que les canicules s’enchaînent, le recours à l’air conditionné explose dans le monde. Salvatrice face à la chaleur, la climatisation s’avère néanmoins polluante et médiocre sur le plan énergétique. Est-il possible d’imaginer une clim’ propre ?

Un nouveau record battu. La canicule tardive qui s’est abattue sur la France a constitué la plus chaude série de journées jamais enregistrée après un 15 août. Cette succession de pics de chaleur est en voie de devenir la norme des étés au niveau mondial. Et à mesure que le mercure grimpe, une autre courbe explose : celle des ventes de climatiseurs.

Selon l’Agence européenne pour l’environnement, 20 % des ménages de l’Union européenne sont pourvus d’air conditionné. À l’échelle mondiale, le nombre de climatiseurs installés a atteint 1,5 milliard en 2021. Un chiffre qui devrait tripler d’ici à 2050, d’après l’Agence internationale de l’énergie (AIE).

Même en France, le dédain historique pour la clim’ commence à s’émousser : si seuls 14 % des ménages français possédaient des climatiseurs en 2016, quatre ans plus tard, un quart d’entre eux s’étaient équipés, selon l’Agence de la transition écologique.

Autour de cette source de fraîcheur, les débats s’avèrent brûlants. Entre certains écologistes, qui fustigent les effets pervers de cet outil polluant, et celles et ceux qui défendent son usage, le clivage est profond.

Qu’en est-il vraiment ? Les experts interrogés par France 24 prônent une approche nuancée. « Il y a un juste milieu à trouver, estime Kako Naït Ali, docteure et ingénieure en chimie dans le secteur de l’énergie. La climatisation est une solution de dépannage, qui permet de mieux vivre en période de forte chaleur. Certaines personnes en France la qualifient de confort inutile : résultat, les gens culpabilisent de la mettre ! C’est dommage, on pourrait avoir un débat serein sur cet outil. »

Déjà, il y a le constat de l’urgence : la chaleur tue. En Europe, plus de 62 000 personnes sont décédées à cause de la hausse des températures en 2022, selon une étude publiée en juillet dans la revue Nature. Santé publique France attribue 32 658 décès aux fortes chaleurs entre 2014 et 2022, dont près d’un tiers chez les moins de 75 ans.

Pour les plus fragiles, la climatisation constitue un rempart efficace. D’après une étude publiée dans The Lancet, 195 000 vies auraient été sauvées dans le monde en 2019 grâce à l’air conditionné, un triplement en 20 ans.

Un effet boule de neige
Derrière des bénéfices indéniables, un paradoxe. La climatisation contribue directement au problème qu’elle est censée régler : la chaleur. « Localement quand vous avez un climatiseur, ça fonctionne comme un frigo, l’air froid arrive chez vous, vous rejetez de l’air chaud, éclaire Didier Coulomb, directeur de l’Institut du Froid, un organisme intergouvernemental vieux de plus d’un siècle, qui diffuse de l’information scientifique et technique sur le froid. Cela suscite un îlot de chaleur dans les villes, au niveau local. « D’où cette sensation suffocante lorsqu’on marche au milieu d’une rue parsemée de climatiseurs. Leurs émanations ajoutent du chaud au chaud. Si la saison s’y prêtait, on pourrait parler d’effet boule de neige.

À une échelle plus vaste, utiliser des climatiseurs signifie puiser dans les ressources déjà bien éprouvées de la planète. Les experts parlent de « maladaptation » au défi climatique. « La climatisation consomme de l’énergie, reconnaît Didier Coulomb. Même si elle est décarbonée en France, ce n’est pas le cas dans le reste du monde. Elle pèse sur les infrastructures électriques, ce qui va poser le même défi que le chauffage en hiver. »

L’un des problèmes majeurs posé par les climatiseurs : ils tournent pour la plupart aux gaz fluorés, hautement responsables de gaz à effets de serre, et qui font l’objet d’un trafic illégal en Europe. « Il y a beaucoup d’efforts à réaliser sur l’efficacité énergétique des climatiseurs, souligne Kako Naït Ali. Il faudrait que des standards internationaux s’appliquent aux modèles de climatiseurs, et que ceux qui ne rencontrent pas ces standards ne soient plus disponibles à la vente. »

Gaz carbonique et IA
Au niveau européen, une labellisation est en cours, sur le même modèle que les frigos, selon Didier Coulomb, de l’Institut du Froid. Il précise que les gaz fluorés, ces fameux gaz contenus dans la plupart des climatiseurs, dont la production est déjà fortement limitée, font l’objet d’un processus « avancé au niveau européen » qui pourrait mener à leur interdiction.

Une clim « propre » est-elle possible ? Les alternatives existent, mais elles sont plus coûteuses, et surtout, seraient moins fiables. « Il existe des clims’ qui utilisent des hydrocarbures, ou du gaz carbonique, qui ont de bonnes performances, mais elles posent des problèmes de sécurité, fait valoir Didier Coulomb. Pour climatiser un grand appartement ou une maison, le propane peut être dangereux, c’est inflammable. Mais des progrès se font dans ce domaine. »

De nombreux organismes planchent aujourd’hui sur des manières de se rafraîchir à moindre coût environnemental et énergétique. Parmi l’éventail des perspectives, on trouve l’intelligence artificielle. Une publication de l’Agence internationale de l’énergie évoque un programme pilote lancé en 2022 par la Corée du Sud, qui leur aurait permis d’économiser 24 % de consommation d’énergie : un appareil intelligent qui adapte automatiquement la dose d’énergie fournie aux besoins du moment.

Doit-on, en attendant que les dispositifs s’améliorent, se résigner à s’éventer mollement par 42 degrés ? Sans culpabilité excessive, un recours responsable est possible, estiment les experts. Dans le cadre de son plan de sobriété, le gouvernement français a rappelé aux entreprises l’interdiction de climatiser les locaux en dessous de 26 degrés, et incité les particuliers à s’aligner sur cette pratique.

Mais à terme, c’est l’offre qui doit évoluer, si l’on veut espérer des effets durables. Et la clim’ individuelle, recours imparfait et polluant, doit reculer au profit de stratégies plus globales. Comme celle du réseau de froid, décrite par Didier Coulomb : « Ç a consiste à centraliser le système de froid et utiliser des systèmes naturels d’alimentation utilisant l’eau de la Seine. Paris a été une ville pionnière en ce domaine »

« Le mieux, ce sont les climatisations collectives, cadrées techniquement et mieux maîtrisées, abonde Kako Naït Ali. On doit placer les curseurs au bon endroit, et prévoir de quoi soutenir nos nouveaux besoins énergétiques en été. Dans ce défi, il faut anticiper sur l’avenir. »

france24

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