Au quatrième jour du procès du rappeur MHD et de huit autres jeunes de la ville des Chaufourniers (XIXe siècle) pour le meurtre à l’arme blanche de Loïc, qui habitait la ville rivale de la Grange-aux-Belles, un fantôme planait ce jeudi au-dessus les débats. Celui de Mehrez B., lui-même poignardé le 21 mars 2017 près de la Cité Rouge (surnom des Chaufourniers), où il vivait, par une bande de jeunes de la Grange-aux-Belles, venus combattre après une précédente agression.
Son petit frère Saber, aujourd’hui accusé d’avoir participé à l’expédition meurtrière contre Loïc, n’avait que 18 ans lorsqu’il a vu son aîné mourir sur le trottoir, dans les bras de son autre frère. « Il présente le comportement caractéristique du syndrome de stress post-traumatique », observe le psychologue qui l’a évalué à la barre. Toute sa famille, qui lui offrait jusque-là un environnement sécurisé et « chaleureux », a implosé. Son père, fou de chagrin, revient vivre en Tunisie.
“Après la mort de son frère, qui était son idole, il a vécu le départ de son père – un père poule – comme une seconde perte affective, un abandon”, résume l’expert. Sa mère, de son côté, a coulé. « Elle est en deuil permanent. Elle pleure tous les 21 du mois. Elle s’effondre dès qu’elle tombe sur quelque chose de son frère. »
« Mauvais endroit, mauvais moment »
Cette tragédie a secoué la Ville Rouge. Mehrez était très populaire dans le quartier, où il jouait un peu le rôle de « grand frère ». Il aurait aussi grandement soutenu MHD, le petit frère de son meilleur ami, dans son ascension. Et surtout, Mehrez n’était sans doute pas impliqué dans les rivalités historiques entre les deux villes voisines. “Mon frère était au mauvais endroit, au mauvais moment”, a rappelé Saber ce jeudi à la tribune, en jean noir et t-shirt noir. « Et pour Loïc K., diriez-vous la même chose ? », rebondit le président.
Selon l’accusation, le meurtre de Loïc serait le « retour » sanglant du meurtre de Mehrez. “Ce n’est pas vrai”, proteste Saber. Le jeune homme invoque cet énième épisode de violences entre les deux villes rivales, qui avait éclaté quelques heures avant l’attaque de Loïc.
Peu avant 21 heures, dans la soirée du 5 au 6 juillet 2018, une dizaine de jeunes de la Grange-aux-Belles, armés de bâtons et de gourdins, pénètrent au domicile de Binke K., à Chaufourniers. Probablement des représailles pour le passage à tabac, la veille après-midi, d’un jeune homme de La Grange-aux-Belles.
“C’est cette intrusion qui a amené les gars des Chaufourniers à commettre ce qui s’est passé”, raconte Saber. Me Juliette Chapelle, avocate des parties civiles, s’est levée d’un bond. Elle rappelle que l’un des jeunes qui sont entrés chez Binke a été poignardé, en représailles, juste après l’incident.
Saber aurait « contrôlé » son désir de « vengeance », selon l’une de ses sœurs. « Sa colère était étouffée par les convictions religieuses de son père, qui lui disait qu’il n’irait pas au paradis s’il vengeait son frère », explique la psychologue qui l’a évalué. Son avocate, Me Jennifer Gairaud, rappelle que son client “a même fait le jeu de la justice, en allant identifier les agresseurs devant le juge d’instruction et à l’audience, malgré les menaces qui pèsent sur lui”.
Mais en février 2019, neuf des douze jeunes de La Grange-aux-Belles jugés pour l’assassinat de Mehrez seront acquittés par la cour d’assises de Paris. Les trois autres seront condamnés à des peines de huit à treize ans de prison. Un choc pour la famille de Mehrez.
« L’accusé a contesté tous les faits. Vous étiez assis sur le banc des parties civiles. Pouvez-vous imaginer que ce que vous critiquiez à l’époque est précisément ce que critiquent aujourd’hui les parties civiles ? », insiste le magistrat. Saber ne se laisse pas décourager : « Je ne pourrais l’imaginer que si dans le dossier de mon frère, ils avaient nié leur présence. Dans le cas qui nous intéresse aujourd’hui, il n’y en a qu’un qui avoue qu’il était là. »
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