En République démocratique du Congo, la course à l’extraction de cobalt et de cuivre, utilisés pour les batteries électriques, a conduit à l’expulsion de plusieurs centaines d’habitants, selon un nouveau rapport d’Amnesty international. L’ONG y dénonce des violations des droits humains commises au nom de la transition écologique. Entretien avec la chercheuse Candy Ofime, co-auteure de cette étude.
Des avenues entières ont été rayées de la carte. En République démocratique du Congo, l’extraction minière ne connaît pas de trêve, au détriment, bien souvent, des populations locales.
Selon l’ONG Amnesty International, l’expansion des mines industrielles de cobalt et de cuivre a conduit à l’éviction forcée de plusieurs centaines d’habitants dans la province de Lualaba, dans le sud du pays, et en particulier dans la ville minière de Kolwezi, où plusieurs milliers d’habitations sont menacées.
Ces métaux rares dont la demande a explosé ces dernières années sont essentiels à la production de batteries rechargeables. Celles-ci sont utilisées notamment pour les voitures électriques, considérées comme un pilier de la transition verte.
Mais les conditions d’extractions de ces matières premières en République démocratique du Congo suscitent de vives critiques de la part des ONG, qui dénoncent régulièrement la recrudescence du travail infantile dans les mines artisanales, ainsi que les dangers environnementaux liés à l’activité des grands groupes industriels.
« La justice climatique exige une transition juste », clame Amnesty International dans son nouveau rapport, rappelant que la décarbonation de l’économie mondiale « ne doit pas engendrer de nouvelles violations des droits humains ».
France 24 s’est entretenu avec la chercheuse Candy Ofime, qui a enquêté sur place et appelle l’État congolais de décréter un moratoire immédiat sur les expulsions liées à l’exploitation minière.
De nombreux rapports font écho de problèmes environnementaux et de l’exploitation salariale liés aux mines mais l’on entend beaucoup moins parler des expulsions liées à cette activité. Comment avez-vous documenté ce sujet ?
Candy Ofime : Nous travaillons toujours en partenariat avec la société civile et ce sont nos contacts sur le terrain qui nous ont orientés vers cette problématique. Les expulsions forcées sont à l’intersection de plusieurs droits humains fondamentaux que sont le droit au logement, l’accès à la santé ou bien encore le droit à des conditions de travail décentes, car on ne peut pas travailler sereinement lorsque l’on n’a pas de toit ou que l’on vit sous la menace de l’activité d’un groupe industriel.
Et c’est un phénomène systémique qui prend de l’ampleur. La RD Congo est la première réserve mondiale de cobalt et la septième en ce qui concerne le cuivre. Toute la province de Lualaba, dans le sud du pays, est découpée en carrés miniers, c’est-à-dire que l’extraction minière y est possible. La situation est particulièrement alarmante dans la ville de Kolwezi, où plusieurs avenues ont disparu au cours des dix dernières années.
Les mines s’agrandissent, sans réflexion en amont pour proposer des espaces de vie alternatifs aux populations avec des services et des infrastructures sociales équivalentes. Même lorsqu’elles sont relogées, les personnes contraintes de quitter leur maison restent bien souvent sous la menace d’une nouvelle expulsion car il n’y a pas de zone préservée ou interdite et l’intégralité de la région est riche en minerais.
Votre rapport se concentre sur quatre localités, où des habitants et parfois des cultivateurs ont été contraints d’abandonner leurs maisons et terrains. Pouvez-vous nous expliquer comment se déroulent ces expulsions ?
Notre étude porte sur quatre projets miniers, localisés à Kolwezi ou dans ses alentours. Dans trois de ces endroits, le processus observé correspond à des expulsions forcées, c’est-à-dire que les personnes ont été forcées à partir sans protection juridique adéquate.
C’est le cas à Kolwezi où la société Commus (Chine/ RDC) gère une gigantesque exploitation. Une première vague d’expulsions a eu lieu en 2016 sans négociation préalable et avec une indemnisation ne permettant pas aux habitants de se reloger dans les mêmes conditions. Depuis, le projet minier continue de progresser dans ce quartier où plusieurs milliers de personnes vivent dans la crainte d’être expulsées.
À cinq kilomètres au nord de la ville, un village informel situé à l’intérieur d’une concession minière a totalement disparu. D’anciens habitants affirment avoir été expulsés avec une extrême violence par des militaires avec la complicité de l’entreprise minière, la Chemaf, (Émirats Arabes Unis) et qui rejette toute responsabilité.
Au nord-ouest de Kolwezi, plusieurs centaines d’éleveurs et de cultivateurs ont perdu l’accès à leurs terres, du fait du projet Metalkol RTR (Kazakhstan). Plusieurs d’entre eux affirment avoir été forcés à signer en échange d’une compensation dérisoire.
Enfin, dans notre quatrième cas d’étude, celui de la mine de Kamoa-Kakula (Canada/Chine/RDC), il ne s’agit pas à proprement parler d’expulsions forcées car la population avait été concertée et un projet de réinstallation avait bien été proposé en amont. Mais lorsque nous l’avons visité nous avons vu que celui-ci ne correspondait pas aux standards légaux, ne bénéficiant ni d’eau courante ni d’électricité.
Certaines de ces mines sont gérées par des groupes étrangers, dont les pays sont parfois critiqués sur le plan des droits humains. Y a-t-il, selon vous, un lien entre la nationalité de ces grands groupes et les violations constatées ?
En République démocratique du Congo, l’activité minière progresse de manière spectaculaire et est amenée à s’accélérer de manière encore bien supérieure avec le développement des énergies renouvelables. Les entreprises viennent de partout et nous n’observons pas de différentiel en fonction des nationalités.
Le problème des expulsions forcées est bien plus large : l’extraction minière est perçue comme une industrie essentielle à l’essor économique du pays et bien souvent les populations locales sont traitées avec une extrême condescendance, que ce soit par l’État ou les industriels.
Les autorités attribuent les concessions minières sans réflexion régionale ni nationale permettant de compenser les habitants de manière adéquate.
Lorsque ceux-ci se plaignent, on les accuse parfois de vouloir profiter de la situation pour obtenir de meilleures conditions de vie, alors qu’elles sont clairement les victimes de ces grands projets industriels. La question de l’attachement qu’elles peuvent avoir à leur terre, qui est parfois celle de leurs ancêtres, est totalement occultée.
Certaines entreprises, quant à elles, se contentent de reloger les personnes de manière équivalente, sans parfois leur fournir ne serait-ce que le strict minimum, tel que l’accès à l’eau potable, alors que le droit congolais stipule que ces personnes doivent bénéficier de logements décents.
Face à cette situation catastrophique qui progresse, nous demandons à l’Etat congolais de décréter un moratoire immédiat sur les expulsions et la mise en place d’une commission d’enquête pour analyser ces dysfonctionnements récurrents. Il ne s’agit pas de créer de nouvelles normes mais de faire le point sur ce qui ne fonctionne pas car la législation existe.
Les populations locales doivent pouvoir faire valoir leurs droits. Or, on ne peut pas continuer à les considérer comme des parias qui freinent la croissance économique. L’État comme les entreprises doivent changer de regard et agir en conséquence.
france24