La majorité a dévoilé des amendements visant à pouvoir retrouver les internautes qui commettent des infractions sur les réseaux sociaux sous pseudonymes.
Faudra-t-il associer son compte sur les réseaux sociaux à un document d’identité à l’avenir ? Dans le cadre de l’examen en commission du projet de loi sur la sécurisation et la régulation de l’espace numérique, des députés Renaissance ont déposé plusieurs amendements visant à mettre fin à l’anonymat sur les réseaux sociaux, un sujet qui polarise le débat public depuis des années entre les partisans d’un encadrement d’Internet pour lutter contre la haine en ligne et les défenseurs des libertés sur Internet.
Mis à jour à 18h le 19 septembre 2023 : lors de l’examen du texte en commission, le ministre de la Transition numérique Jean-Noël Barrot a clarifié la position du gouvernement sur le sujet en indiquant qu’il ne défendra pas l’amendement du rapporteur Paul Midy. « Le gouvernement ne peut pas donner d’avis favorable sur une telle disposition en droit français pour des raisons d’inconventionnalité européenne », a-t-il affirmé. Le ministre entend toutefois porter au niveau européen le sujet de l’identité numérique et pousser pour une obligation pour les plateforme de proposer une certification d’identité, rapporte BFMTV.
Pour le député Renaissance de l’Essonne et rapporteur spécial du projet de loi, Paul Midy, invité de RTL ce mardi 19 septembre, des mesures sont nécessaires pour endiguer les violences observées sur Internet. « La moitié des jeunes se sont déjà faits cyberharcelés sur les réseaux sociaux. Tous les utilisateurs sont confrontés à du racisme, de la mysoginie ou de la LGBT-phobie à tous les étages. Il y a un sentiment d’anonymat sur les réseaux sociaux qui génère un sentiment d’impunité qui font qu’il n’y a plus de limite », a-t-il résumé.
Pour en finir avec « ce sentiment d’impunité », une série de mesures seront soumises à l’Assemblée dans les prochains jours. L’objectif poursuivi par le député est de pouvoir lever le voile sur une personne physique utilisant un pseudonyme sur les réseaux sociaux en cas d’infraction afin qu’elle puisse rendre des comptes pour son activité.
Dans cette perspective, un amendement prévoit de s’assurer que derrière chaque compte sur une plateforme, même sous pseudonyme, il se trouve une personne physique et non un bot informatique. Le rapporteur du projet de loi propose de mettre en place une certification « personne physique » sur les réseaux sociaux pour que chaque compte en ligne soit relié à un individu identifié.
Pour éviter que les entreprises fournissant les réseaux sociaux aient accès aux pièces d’identité des utilisateurs, le député préconise la mise en place d’une sorte de plaque d’immatriculation numérique, une donnée indéchiffrable par la plateforme, à laquelle seules les autorités pourraient accéder en cas d’enquête.
Le député de 40 ans a déjà une idée bien précise des outils qui pourraient être mis à contribution pour cette mesure : l’application France Identité pourra être utilisée comme un tiers de confiance à la création d’un compte sur les réseaux sociaux. Cette application déployée auprès du public début septembre permet de stocker les informations de la carte d’identité biométrique pour prouver son identité en ligne. A terme, elle doit aussi permettre de dématérialiser la carte d’identité et le permis de conduire ou de se créer une identité numérique La Poste.
Aussi, d’après l’énoncé des amendements consultés par Le Parisien, Paul Midy propose de fixer un objectif de 80% de Français détenteurs d’une identité numérique à 2027 et près de 100% en 2030 mais aussi d’obliger la mise à disposition par les plateformes d’un outil de certification physique des comptes en 2025, puis de rendre obligatoire cette procédure en 2027.
Cette proposition fait écho à une envie exprimée à plusieurs reprises par Emmanuel Macron. Lors du grand débat national de janvier 2019, le Président avait évoqué sa volonté d’aller « vers une levée progressive de toute forme d’anonymat ». Trois ans plus tard, dans la dernière ligne droite de la présidentielle, le président-candidat avait réaffirmé cette position en expliquant dans un entretien au Point que « dans une société une société démocratique, il ne devrait pas y avoir d’anonymat ».
Personne n’est anonyme en ligne, mais les plateformes ne jouent pas toujours le jeu
La question de l’anonymat en ligne n’en est pas vraiment une sur le papier. En réalité, personne n’est totalement anonyme sur Internet. Tous les internautes sous pseudonyme peuvent être théoriquement retrouvés grâce à leur adresse IP, que les fournisseurs d’accès peuvent associer à une identité. Depuis 2004, les plateformes ont l’obligation de conserver des données de connexion des internautes permettant de les identifier en cas de requête des autorités judiciaires.
Des condamnations judiciaires après des menaces de mort et du cyberharcèlement prouvent régulièrement que l’anonymat total n’existe pas. Mais les géants du Web ne jouent pas toujours le jeu pour livrer ces données et les enquêtes s’avèrent souvent longues et pénibles pour la police, dont les moyens sont limités, empêchant les autorités de pouvoir identifier massivement des internautes sous pseudo dans un délai raisonnable. « Techniquement, on peut identifier une personne sous pseudo dans 50% des cas », a résumé le député Paul Midy sur RTL mardi.
La mesure, vivement dénoncée par les défenseurs des libertés publiques ces dernières heures, est loin de faire l’unanimité dans les rangs de la majorité. Le député Renaissance Eric Bothorel, impliqué dans le programme numérique du candidat Macron, s’est publiquement opposé à ces amendements. « C’est un glissement risqué, dangereux, dans lequel je ne me retrouve pas, a-t-il indiqué sur Twitter (X) lundi. Le député Modem Philippe Latombe l’a soutenu dans sa démarche.
L’an passé, Mounir Mahjoubi et Cédric O, les deux secrétaires d’Etat au numérique du premier quinquennat de Macron, s’étaient déjà prononcés contre la levée du pseudonymat. Pour ses partisans, le pseudonymat est une garantie pour la démocratie, qui permet aux lanceurs d’alerte, aux minorités ou aux personnes soumises à un devoir de réserve de pouvoir s’exprimer librement.
RTL