Environnement : vers un traité mondial sur le plastique ?

D’après les projections actuelles, la pollution plastique dans les océans devrait tripler d’ici 2040. La création d’un cadre légal international sur les déchets plastiques permettrait de lever les incohérences actuelles.

Si le problème croissant de la pollution plastique à travers le monde devait avoir un symbole, ce serait sans aucun doute le sac plastique. Pourtant, de part et d’autre de la planète, il existe sept définitions de ce qui est considéré comme un sac plastique, ce qui ne facilite pas les efforts visant à réduire leur prolifération.

L’interdiction de ces sacs et d’autres emballages en plastique est la stratégie la plus fréquemment utilisée pour freiner l’avalanche de déchets plastiques. À ce jour, 115 pays ont adopté cette approche, mais de différentes façons. En France, les sacs en plastique d’épaisseur inférieure à 50 micromètres sont interdits depuis le 1er juillet 2016. En Tunisie, le seuil a été fixé à 40 micromètres.

Ce type de divergences donne lieu à des vides juridiques qui permettent aux sacs illégaux d’être distribués par des vendeurs ambulants ou sur les étals de nos marchés. Au Kena par exemple, où l’interdiction promulguée en 2017 est la plus stricte au monde, les autorités ont dû lutter contre les sacs plastiques passés en contrebande depuis l’Ouganda et la Somalie. Le Rwanda a connu une situation similaire.

De la même façon, plusieurs millions de moustiquaires importées des États-Unis par le Rwanda sont arrivées dans un emballage plastique dont la composition chimique n’était pas détaillée, même après la demande d’une société rwandaise de recyclage, ce qui rendait impossible leur recyclage.

Pour les multinationales comme Nestlé, dont l’activité agroalimentaire est menée dans 187 pays, cela signifie entrer en conformité avec 187 ensembles différents de règles nationales relatives aux emballages plastiques.

Ce ne sont là que trois exemples parmi les centaines de politiques contradictoires, les incohérences et le manque de transparence qui font partie intégrante du commerce mondial des plastiques et rendent difficile le contrôle de l’accumulation des déchets plastiques. Non seulement les définitions diffèrent d’un pays à l’autre, mais il n’existe également aucune règle internationale concernant par exemple les plastiques qui peuvent être mélangés pour fabriquer un produit : un véritable cauchemar pour le recyclage. Il n’existe pas non plus de méthodes internationales pour mesurer le déversement de déchets plastiques dans l’environnement. En l’absence de normes uniformisées ou de données spécifiques, il est tout bonnement impossible de s’attaquer au problème.

Cela dit, tout espoir n’est pas perdu. Les appels à un traité mondial sur le traitement des déchets plastiques se multiplient. Pas moins de 100 pays ont déjà exprimé leur soutien à ce traité et à en croire l’optimisme des nations investies dans les pourparlers préliminaires, il pourrait être approuvé suffisamment tôt pour faire une différence, tout comme le protocole de Montréal qui a su empêcher l’amincissement de la couche d’ozone stratosphérique après sa ratification en 1987.

« Les gouvernements ne seront tout simplement pas en mesure de faire ce qu’ils sont supposés faire en l’absence d’un partenariat international et d’un cadre législatif international. Ça ne fonctionnerait pas, » déclare Hugo-Maria Schally, chef de l’unité de Coopération Environnementale Multilatérale au sein de la Commission européenne. « C’est un problème concret qui demande une solution concrète et elle viendra d’un accord mondial. »

Le message de Schally aux industriels est sans détour : « Vous pouvez travailler avec la politique publique vers un plastique durable et cela signifie que vous ferez partie de la solution, ou vous pouvez rester sur la défensive et dans ce cas vous ferez partie du problème. »

UNE CROISSANCE EFFRÉNÉE

Le principal argument contre la négociation d’un traité au sein des Nations Unies et ses 193 États-membres est que le processus pourrait prendre une décennie ou plus. Or en ce qui concerne les plastiques, il n’y a pas de temps à perdre.

Chaque année, 275 millions de tonnes de nouveaux déchets plastiques sont créées. À ce jour, 75 % de l’ensemble des plastiques produits sont devenus des déchets et la production devrait tripler d’ici 2050. Une étude parue cette année suggère que l’accumulation des déchets plastiques dans les océans devrait également tripler à l’horizon 2040 pour atteindre en moyenne 29 millions de tonnes par an.

Avec de tels chiffres, il n’est pas surprenant de voir qu’aucun des pays qui contribuent le plus à la pollution plastique n’a pu reprendre le contrôle de ces déchets mal gérés. Bien que les traités internationaux prennent du temps, aucun problème environnemental de cette ampleur n’a pu être significativement taclé sans traité.

La pollution plastique est dans la ligne de mire des Nations unies depuis 2019. En 2019, lors de la dernièe réunion du Programme des Nations unies pour l’environnement à Nairobi, les débats autour de la pollution plastique se sont heurtés à un obstacle de taille : les États-Unis alors opposés à un traité contraignant. Le seul accord qui a émergé de cette assemblée était celui de poursuivre les débats.

Ces dix dernières années, le paysage international a radicalement changé. « En 2015, aucun pays n’exprimait d’intérêt dans l’adoption d’un traité global, » indique Erik Lindebjerg, à la tête depuis Oslo de la campagne du Fonds mondial pour la nature (WWF) contre la pollution plastique. Il a notamment supervisé la publication du rapport intitulé The Business Case for a UN Treaty on Plastic Pollution, en partenariat avec la Fondation Ellen MacArthur, qui explique comment le traité viendrait résoudre divers problèmes auxquels se heurtent les entreprises. « Dans un sens, nous avons atteint un point de saturation, et les conséquences sont visibles partout. »

L’industrie a également révisé son opposition.

« Nous avons revu notre position, car la situation a évolué, » déclare Stewart Harris, membre de la haute direction de l’American Chemistry Council qui s’exprime au nom de l’International Council of Chemical Associations, l’association mondiale des entreprises de l’industrie chimique dont fait partie l’ACC.

« Nous étions inquiets face au caractère contraignant d’un traité mondial. Nous pensions ne pas être prêts » dit-il. « Nous avons changé d’avis. Désormais, nous sommes convaincus de l’importance d’un instrument mondial pour nous aider à éradiquer les déchets de l’environnement et aider les entreprises à honorer leurs engagements volontaires. »

ENJEUX DES NÉGOCIATIONS 

Des pourparlers préliminaires sont déjà menés à l’heure actuelle, en prévision de la prochaine assemblée physique à Nairobi, où il y a bon espoir d’atteindre un accord ouvrant la voie aux débats sur un éventuel traité.

Les nations scandinaves ont pour habitude de mener le débat autour des déchets plastiques avec la Norvège en tête, actuelle présidente de l’Assemblée des Nations unies pour l’environnement. Cependant, d’autres groupes de nations se sont également réunis et ont fait avancer les échanges. L’Équateur, l’Allemagne et le Vietnam ont tenu plusieurs séances et la prochaine est prévue pour septembre. Des pourparlers ont également été conduits par de petites nations insulaires, inondées par les déchets plastiques à la dérive, qui ont beaucoup à perdre dans le changement climatique.

L’objectif premier de ces pourparlers a été de fixer une date précise pour l’élimination du déversement de plastique dans les océans. Le reste du programme se concentre sur quatre axes : un ensemble uniformisé de définitions et de normes qui supprimerait les incohérences comme la définition du sac plastique ; la coordination des objectifs nationaux et des stratégies ; un accord sur les méthodologies et les normes des rapports d’évaluation ; et la création d’un fonds pour la construction d’infrastructures de traitement des déchets dans les pays les moins développés où les besoins sont les plus urgents.

Pour Christina Dixon, spécialiste des océans pour l’Environmental Investigation Agency, une organisation environnementale à but non lucratif basée à Londres et Washington, les méthodes existantes pour la gestion du marché des plastiques ne sont pas durables. « Nous devons trouver un moyen de considérer le plastique à travers le prisme mondial. Nous sommes face à un matériau qui pollue tout au long de son cycle de vie sans distinction de frontières. Aucun pays ne peut relever seul le défi. »

OPINION PUBLIQUE ET DIALOGUE

L’opinion publique appelle également au changement. D’après un sondage figurant dans le rapport Business Case for a UN Treaty, la pollution plastique est l’une des trois premières préoccupations environnementales, aux côtés du changement climatique et de la pollution de l’eau. Les jeunes activistes qui ont envahi les rues en 2019 pour protester contre le manque d’actions face au changement climatique ont également attiré l’attention sur les déchets plastiques. Diverses études montrent que la génération Z et les Millenials poussent les fabricants de produits de consommation vers des pratiques plus durables.

Autre point positif, depuis quelques années les parties opposées se sont ouvertes au débat.

En 2019, Dave Ford, ancien cadre dans la publicité dont l’entreprise organisait pour la direction des voyages au coût exorbitant vers l’Antarctique, l’Afrique et autres destinations du genre, a décidé d’inviter au débat 165 personnes travaillant sur la pollution plastique dans le cadre d’une croisière de quatre jours entre les Bermudes et la mer des Sargasses. La liste des passagers faisait le grand écart entre les dirigeants de Dow Chemicals et Greenpeace. Afin de marquer les esprits, un activiste de Greenpeace est même allé jusqu’à faire chambre commune avec un représentant de Nestlé, un moment qui n’a pas été sans rappeler à bord le film Les Nuits avec mon ennemi.

Et le stratagème a payé. Bon nombre des participants à la croisière se parlent encore aujourd’hui et les tensions qui existaient se sont apaisées.

« Ce que nous essayons de faire, c’est d’amener toutes les parties en opposition à comprendre la position de l’autre, » explique Ford. « Souvent, ils ne sont pas aussi éloignés qu’ils le pensent. »

Source:nationalgeographic

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