Rencontre avec Reed Timmer, chasseur de tornades

Comment devient-on chasseur de tornades ? Par goût, par courage, par passion. Passionné est le mot qui reste suspendu dans les airs, comme un astronaute en apesanteur, une fois que Reed Timmer a répondu aux nombreuses questions qui nous brûlaient les lèvres. Son débit semble s’être calé sur l’urgence de ses missions d’observation. Sa vie semble être une course contre la montre permanente.

Une course à laquelle on peut assister dans À la poursuite des tornades, série inédite diffusée tous les mercredis à 21.00 sur la chaîne National Geographic. Un marathon qui emmène les téléspectateurs au cœur des tempêtes les plus violentes, dans l’espoir de collecter les données auxquelles les scientifiques n’auraient sinon jamais accès. Une course qui se fait ballet avec la nature, dans ses élans les plus terrifiants et les plus dévastateurs.

S’il est difficile d’établir un lien entre les tempêtes de plus en plus fréquentes et le changement climatique, la tendance au réchauffement inquiète les scientifiques. Lorsque l’on considère le nombre croissant de violentes tempêtes ayant dévasté les côtes américaines et asiatiques ces cinq dernières années, on comprend mieux la nécessité de la course effrenée dans laquelle s’est lancée Reed Timmer.

Commençons par une question volontairement générale. Pourquoi les tornades vous fascinent-elles ?

Je suis littéralement obsédé, passionné par les tornades. Cela fait maintenant 25 ans que je chasse des tornades, des ouragans, des orages supercellulaires. Toute ma vie y est dédiée. Les orages supercellulaires et les tornades sont les phénomènes atmosphériques les plus extrêmes que l’on puisse observer, les plus beaux aussi. Et puis, au-delà de l’aspect sinistre de ces phénomènes, des dégâts qu’ils causent, des morts et des pertes qu’ils engendrent, c’est la formation même des tempêtes que nous cherchons à mieux comprendre pour anticiper leurs conséquences et sauver des vies. D’un point de vue scientifique, j’essaie de collecter un maximum de données grâce à des technologies de pointe. Nous avons notre propre scientifique fou, Mark Simpson, un ingénieur basé au Canada, qui construit des capteurs, des récepteurs et même des logiciels à partir de rien pour nous aider à mieux appréhender ces phénomènes très violents.

Au-delà de la météo, quelles sont les différentes étapes de préparation d’une chasse aux tornades ?

Eh bien la préparation est très lourde et minutieuse. On commence par évaluer quand et où les tornades pourraient se former. On utilise des modèles de prévisions numérisés qui comprennent les données des tornades et ouragans passés et on essaie de modéliser les conditions nécessaires à la formation des futures tempêtes. Pendant la saison des tornades, on repère les signes d’instabilité qui peuvent conduire à la formation d’une ou plusieurs tornades, et pour ça les modélisations par ordinateur sont évidemment essentielles. Une grosse partie de la préparation passe aussi par la préparation technique de nos véhicules et de nos équipements. L’un de nos véhicules de recherche, le « hurricane eye wall », a été conçu pour pouvoir s’approcher au plus près, pour pouvoir traverser les plus puissants ouragans en toute sécurité.

Il faut aussi rester très vigilant tout au long de la « chasse » en gardant toujours à l’esprit notre position exacte, notamment par rapport au niveau de la mer. Si on se rapproche trop du niveau de la mer, on peut vraiment se mettre en danger. Donc on se prépare du mieux qu’on peut et on analyse en temps réel les données que nous enregistrons pour tenter de prévoir l’imprévisible.

Ce que beaucoup de gens ignorent, c’est qu’au-delà de l’aspect spectaculaire et parfois même dramatique de votre métier, il permet de collecter des données scientifiques très précieuses.

C’est vrai ! Même si notre mission est très excitante et très intense, elle est de nature scientifique. Notre but est de collecter un maximum de données à l’intérieur de ces tempêtes, ce que beaucoup de scientifiques ne peuvent pas faire de manière sécurisée. Grâce à Mark, nous nous sommes d’ailleurs fixé pour but de réaliser des radiographies 3D des phénomènes météorologiques dont nous sommes témoins.

Il n’y a encore pas si longtemps, le cœur d’une tornade était aussi inaccessible que l’espace. À quoi ressemble le cœur d’une tornade ?

Oui, le cœur d’une tornade est longtemps resté un grand mystère, un peu comme l’espace, vous avez raison. Il y a environ dix ans, nous avons construit le Dominator, un véhicule SRV blindé et aérodynamique qui assure notre sécurité quand nous chassons des tornades. Nous sommes aujourd’hui capables de capter ce qu’il se passe dans ces puissants vortex depuis notre véhicule. Et je peux vous dire que ça ne ressemble pas du tout à ce que l’on voit dans le film Twister ! On ne voit pas d’œil massif laissant passer la lumière du soleil. Non… il n’y a pas de lumière dans une tornade, il n’y a que le chaos. Des turbulences, des vents extrêmement violents, pouvant atteindre 70 à 160 km/h. Tous les éléments emportés par la tornade forment un ballet mortel autour de vous. La pression exercée sur votre corps est elle aussi extrême, tout particulièrement pour vos oreilles… ça peut vraiment être une expérience terrifiante.

Les scientifiques prédisent que les océans vont continuer de se réchauffer, ce qui induit que de plus en plus de tempêtes particulièrement violentes vont se former dans les prochaines années. Est-ce un phénomène que vous observez déjà sur le terrain ?

Oui, tout à fait. Je suis pour ainsi dire en première ligne du changement climatique depuis 25 ans. Les cinq dernières années ont été marquées par des tempêtes de plus en plus violentes, et des ouragans de plus en plus mortels notamment aux États-Unis. En 2017, il y a eu l’ouragan Harvey au Texas puis l’année suivante l’ouragan Michael en Floride qui ont tout dévasté sur leur passage… On observe des tornades, des ouragans et des cyclones de plus en plus tôt chaque année. Et ils sont de plus en plus violents. À tel point que les modélisations avec lesquelles nous travaillons semblent quelque peu dépassées désormais. On observe des phénomènes d’une violence similaire de l’autre côté de la planète, en Asie et aux Philippines en particulier. Notre mission est de sensibiliser au réchauffement des océans et à la formation de tempêtes de plus en plus violentes et dévastatrices [les tempêtes tropicales peuvent se former lorsque la température de surface des océans est supérieure à 26 °C. Leur puissance dépend ensuite de la force de convection entre la surface chaude et la haute atmosphère froide, ndlr]

 

Vous faites de toute évidence un métier très dangereux. Ce qui peut interpeler le spectateur, c’est que dans la série À la poursuite des tornades, on sent chez vous plus d’excitation que de peur.

De l’excitation, ça c’est sûr. Vous savez, je fais ce métier depuis longtemps et j’ai le sentiment que mes connaissances sont suffisamment étendues pour comprendre comment une tempête va se comporter et quels pourront être ses effets. Et puis j’ai toute confiance en nos véhicules de recherche pour assurer notre sécurité au cœur des tornades, et en notre capacité à réagir en temps réel si le danger devenait trop grand. Donc c’est vrai, la peur n’a pas vraiment de place dans notre démarche. Parce que nous comprenons les tempêtes et pouvons généralement prédire comment elles vont évoluer.

bannière desktop tornades

 

Pensez-vous parfois que cette quête pourrait vous coûter la vie, comme El Reno a tué Tim Samaras, son fils Paul et Carl Young en 2013, ou est-ce que la chasse est plus forte que tout ?

La chasse passe vraiment avant tout. Je ne me pose pas vraiment la question de savoir si je pourrais mourir ou non. Je suis un incorrigible optimiste, je compte sur mon expérience pour traverser toutes les tempêtes. Pas seulement pour les localiser et les immortaliser, mais aussi pour collecter un maximum de données pour les scientifiques ne pouvant s’approcher en toute sécurité de tels phénomènes.

Et puis vous savez, j’ai dédié ma vie à cette quête. Je ne suis pas marié, je n’ai pas d’enfant. Il n’y a que moi dans la nature, en train de chasser des tornades. Donc j’avoue ne pas accorder beaucoup de temps à cette réflexion-là. Je me concentre sur la meilleure manière d’appréhender ces puissantes tempêtes, pour que l’on puisse mieux anticiper les dégâts qu’elles peuvent faire et sauver un maximum de vies.

Source: nationalgeographic

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