Thomas Pesquet décollera-t-il du Centre spatial guyanais en 2030 ?

Si l’ESA décidait de financer un système de transport habité opéré depuis le Centre spatial guyanais, une étude montre qu’il pourrait être réalisé dans des délais très courts et à un coût raisonnable. Les explications de Christophe Bonnal, expert senior à la direction des lanceurs du CNES et auteur principal de cette étude présentée lors de la conférence sur l’exploration spatiale et organisée par la Fédération internationale d’astronautique.

Lorsqu’en 2017, Thomas Pesquet rejoint la Station spatiale internationale pour sa mission Proxima, il le fait avec une capsule russe Soyouz. En 2021, il est de nouveau retour à bord du complexe orbital pour la mission Alpha et, changement d’époque, il vole à bord de la capsule privée de SpaceX. Une situation qui illustre la dépendance de l’Europe dans les vols habités. Une dépendance que les responsables de l’Agence spatiale européenne assument alors même que l’Europe maîtrise toutes les technologies nécessaires au développement d’un système de transport spatial habité ! Depuis l’arrêt au début des années 90 du programme Hermes, qui aurait permis à l’Europe d’être autonome dans les vols habités, l’SA a fait le choix de la coopération internationale plutôt que de développer sa propre infrastructure de transport spatial habité.

Mais, depuis quelques années, le contexte en orbite basse a considérablement changé et s’assurer d’y avoir accès devient un enjeu économique et géopolitique majeur. À l’ère du New Space et de l’émergence de nouvelles puissances spatiales qui s’est traduite par une réduction des coûts de l’accès à l’espace et par une augmentation de la capacité des systèmes spatiaux, ses nouveaux acteurs ont jeté les bases du développement économique de l’orbite basse, aussi appelé le LEO Hub. Cette privatisation de l’accès à l’espace et l’utilisation de l’orbite basse offre aujourd’hui des débouchés commerciaux et de nouvelles activités sont possibles de sorte que l’ESA et l’Europe ne peuvent plus se permettre de ne pas y être.

L’Europe prend le risque d’être marginalisée lorsqu’il s’agira de négocier de grands partenariats internationaux

Demain, l’essentiel des activités spatiales vont se dérouler en orbite basse et sans cet accès au LEO Hub, l’Europe ne pourra pas discuter d’égal à égal avec ses partenaires dans le cadre de grands programmes de coopération, notamment ceux liés à l’explortion humaine de Mars et au-delà par exemple. Une situation qui doit pousser l’ESA et l’Union européenne à réfléchir à l’opportunité de disposer d’une autonomie d’accès à l’espace pour ses astronautes, mais aussi ses scientifiques et ses entrepreneurs. Sans quoi, l’Europe prend le risque d’être marginalisée lorsqu’il s’agira de négocier de grands partenariats internationaux.

Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que ce futur LEO Hub comprendra un bon nombre de nouvelles activités et débouchés commerciaux comme :

  • Service en orbite (maintenance, assemblage, avitaillement, transfert orbital, inspections) ;
  • Assemblage de structures spatiales ou de satellites ;
  • Départ pour des missions d’exploration lunaires, martiennes ou encore plus lointaines, ainsi que du retour d’échantillons ;
  • Assemblage de stations solaires qui seront installées en orbite géostationnaire, préparation à l’élimination des déchets nucléaires ;
  • Point de départ pour des missions de protection planétaire ;
  • À plus lointaine échéance, s’envisagent des activités minières dans le Système solaire avec le retour de matériaux sur Terre.
Lancer les astronautes européens depuis le Centre spatial guyanais

Lors de la conférence sur l’exploration spatiale organisée par la Fédération internationale d’astronautique, qui se tient actuellement à Saint-Petersburg, un groupe de travail mené par la direction des lanceurs du CNES* a fait une présentation remarquée qui explique que l’Europe pourrait se doter d’un véhicule habité dans des délais très courts et à un coût raisonnable. Il n’existe aujourd’hui aucune barrière technologique pour empêcher le développement d’un véhicule habité et l’Europe maîtrise toutes les technologies nécessaires à sa réalisation

Cette « annonce n’est pas une proposition de programme » tient à préciser Christophe Bonnal, expert senior à la direction des lanceurs du CNES et auteur principal de l’étude. Il s’agit d’un « exercice de style, qui vise à faire le point sur l’état de notre aptitude à réaliser un système de transport spatial habité et dans quels délais ». Si la décision est prise, la conclusion est sans appel : « Pour peu que l’ESA ou la Commission européenne décident de financer un tel programme, nous serons capables de le réaliser en moins de 8 ans, voire moins ».

Il n’existe aujourd’hui aucune barrière technologique pour empêcher son développement dans ces délais raisonnables et l’Europe maîtrise toutes les technologies nécessaires à sa réalisation. Mieux encore, quelle que soit la technologie concernée, le système de mesure utilisé pour évaluer le niveau de maturité d’une technologie, le TRL (Technology Readiness Level) est très élevé et supérieur à 6 sur une échelle qui compte 9 niveaux. Au travers des différents programmes européens d’acquisition de compétences, « on a prouvé le fonctionnement de chaque technologie, sous sa forme finale et dans les conditions d’emploi attendues ».

Comme le rappelle Christophe Bonnal, de « nombreuses études ont été réalisées dans le passé et tous ces acquis signifient que le développement d’un système de transport spatial habité ne constitue plus un saut technologique important pour l’Europe ». Autrement dit, d’Hermes à l’IXV et du X-38 à l’ARD, sans oublier l’ATV dont cinq exemplaires ont été lancés, et les études CTV (Crew Transfer Vehicle) et ARV (Advanced Reusable Vehicle), de ces expériences et ces développements, « nous pouvons dire que toutes les technologies clés sont disponibles, et généralement démontrées, en Europe ».

Études et concepts exploratoires de capsules habitées dérivées de l'ATV, de tours d'extraction et d'une Ariane 5 adaptée au vol habité. © Airbus

Les auteurs de cette idée proposent un système de transport spatial qui s’appuie sur une capsule simple et robuste. Mais, tient à rappeler Christophe Bonnal, « il est important de noter ici que ce n’est bien sûr pas LE choix final qui nécessitera des études de pré-développement sérieuses et des arbitrages et, qu’en lieu et place de la capsule, d’autres véhicules sont possibles, dont un pourrait s’inspirer par exemple du Space Rider dont l’architecture semble prometteuse ». Cependant, l’idée d’un véhicule ailé, de type Hermes, « ne parait pas le mieux adapté notamment parce que cela nécessiterait un atterrissage sur une longue piste d’atterrissage ».

Cette idée d’une capsule habitable n’est pas nouvelle et a déjà été envisagée dans le passé. Ce véhicule consisterait en « une capsule récupérable dotée d’un module de service et de propulsion ». Il y aurait deux versions d’un véhicule de même taille, une « version cargo d’abord, qui serait transformée en véhicule habité dans un second temps », comme cela avait été proposé dans l’étude ARV d’Astrium — aujourd’hui Airbus Defence & Space — en 2012, et bien sûr comme l’a fait récemment Space X avec sa capsule Dragon qui a évolué vers le Crew Dragon. Le « module de service et de propulsion serait étroitement dérivé de l’ATV et du module de propulsion européen ESM d’Orion (Nasa». Si la décision est prise de financer ce programme lors de la Conférence de l’Agence spatiale européenne au niveau ministériel, « le véhicule dans sa version cargo pourrait voler dès 2028 et la version habitée en 2030 » !

Une Ariane 6, dans sa version habitée avec, à son bord, une capsule de transport d'équipage. Notez, à gauche de l'image, le toboggan d'évacuation d'urgence. © CNES
Ariane 6, un lanceur capable de lancer un équipage

Quant au lanceur, « Ariane 6 semble parfaite pour cette mission avec très peu d’adaptations ». Si ce lanceur n’est pas spécifiquement conçu pour le vol habité, il faut savoir que le Vulcain 2.1, qui propulsera l’étage principal d’Ariane 6, et le moteur Vinci de l’étage supérieur ont été développés pour Ariane 5ME. Or, les  études de développement amorcée pour Ariane 5ME, « tendent à montrer qu’Ariane 6 sera un lanceur aussi fiable qu’Ariane 5, voire mieux ».  Dans le but de conforter l’aptitude d’Ariane 6 à lancer un véhicule habité, des études ont été réalisées afin de considérer l’utilisation potentielle d’Ariane 5 ME pour lancer Orion, en tant que back-up potentiel pour les missions LEO et plus récemment, le lancement éventuel du Dream Chaser de Sierra Nevada sur Ariane 6.Le véhicule dans sa version cargo pourrait voler dès 2028 et la version habitée en 2030

Quant aux échecs en vol d’Ariane 5, une « seule anomalie aurait pu être problématique pour un vol habité ». Tous les autres problèmes rencontrés en vol sont dus à « une extinction prématurée des moteurs de sorte que l’équipage aurait eu le temps de s’extraire ». Il suffit de dimensionner le système d’extraction de la capsule du lanceur, le LAS (Launch Abort System) pour couvrir toutes les anomalies rencontrées avec Ariane 5. Un dimensionnement détaillé complet d’un tel système a été réalisé sur Ariane 5 en 2009 et « n’a montré aucune criticité significative ».

Reste à savoir si cette étude sera bien accueillie par les responsables des différentes agences spatiales européennes et la Nasa.

*Ce groupe de travail, sous la direction de Christophe. Bonnal, rassemblait des membres de la direction des vols habités à l’ESA, d’Airbus, du centre technique de l’ESA aux Pays-Bas (Estec), des représentants du CSG et d’ArianeGroup ainsi que l’astronaute Jean-François Clervoy et Pierre Marx (ancien directeur de la prospective au CNES).

Source; futura-sciences

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