Réduction des gaz à effet de serre : « il va falloir réaliser en sept ans un peu plus que ce que nous avons réalisé en 32 ans », estime François Gemenne

Élisabeth Borne avait dévoilé, le 18 septembre, les grandes lignes du plan de planification écologique du gouvernement. Emmanuel Macron doit d’ailleurs détailler ces annonces le 25 septembre, avec un objectif en tête : réduire de 55% les émissions de gaz à effet de serre de la France d’ici à 2030 par rapport à 1990.

franceinfo : L’objectif fixé par le gouvernement français vous semble ambitieux ?

François Gemenne : Quand on sait que jusqu’ici la France a réduit ses émissions de 25% par rapport à 1990, c’est clairement ambitieux parce qu’il va falloir réaliser en sept ans un peu plus que ce que nous avons réalisé jusqu’ici en l’espace de 32 ans. Ce n’est pas rien. Dans les années 90, on était beaucoup moins préoccupé par la situation. Mais à l’inverse, ce sont souvent les premières tonnes qui sont les plus faciles à couper. Et c’est après que ça devient beaucoup plus compliqué.

Cela signifie-t-il que cet objectif vous semble impossible à réaliser ?

Pas forcément, mais disons qu’il va falloir s’en donner les moyens. Et à cet égard, il faut dire que l’octroi de 10 milliards supplémentaires est une bonne nouvelle, même si on est évidemment encore loin du compte. Ce qui m’inquiète surtout, c’est de voir à quel point cette discussion sur la planification écologique est centrée exclusivement sur les objectifs.

Mais ça, c’est un peu normal. Si on veut planifier, on se met des objectifs ?

Évidemment, il faut des objectifs. Et les entreprises ont besoin de signaux clairs sur du long terme pour pouvoir investir. 

« Sans ligne politique claire les investissements nécessaires ne se feront pas. Regardez ce qu’il se passe au Royaume-Uni. »

Au moment même où on annonce en France le plan de transition écologique, le Premier ministre britannique, Rishi Sunak, annonce renoncer à des engagements qui avaient été pris deux ans plus tôt par son prédécesseur, Boris Johnson, à l’époque de la COP 26 à Glasgow, en 2021. Il y a deux ans à peine, le plan climat du Royaume-Uni apparaissait comme un des plus ambitieux au monde. Et aujourd’hui, le Royaume-Uni apparaît comme le pire élève de la classe européenne.

Alors, qu’est ce qui s’est passé entre-temps ? Les objectifs, étaient-ils trop ambitieux ? La couleur du politique du gouvernement n’a pourtant pas changé.

Le problème, c’est que quand on fixe des objectifs, très souvent, c’est pour les suivants. Aujourd’hui, tous les objectifs de planification, en France comme en Europe, sont calibrés sur 2030. Et quoi qu’il arrive en 2030, le gouvernement aura changé, la Commission européenne aussi. Est-ce que le gouvernement de 2030 se sentira comptable des engagements pris par le gouvernement de 2023 ? Est-ce que Donald Trump, s’il est réélu à la Maison Blanche l’an prochain, se sentira comptable des engagements pris par Joe Biden ?

Mais là, c’est une question rhétorique. Vous connaissez évidemment la réponse ?

Exactement, c’est encore pire pour la neutralité carbone. Beaucoup d’entreprises se sont fixé un objectif de neutralité carbone pour 2050. C’est bien, mais combien de ces entreprises existeront encore en 2050 ? Et c’est encore pire dans l’accord de Paris puisqu’on a fixé des objectifs de hausse de température à l’horizon 2100. 

« Tous les chefs d’État qui ont pris cet engagement à Paris, à la COP 21, savaient très bien qu’ils seraient tous morts en 2100. »

Est-ce qu’il faudrait fixer des objectifs plus proches de nous, plus rapprochés ?

C’est sûr que c’est toujours plus simple de prendre des engagements pour les suivants. Et je crois qu’on a aussi voulu calibrer les objectifs politiques sur les horizons temporels des modèles climatiques, puisque le modèle faisait des projections à 30 ou à 50 ans. On a fixé également des objectifs politiques qui correspondaient à cette échelle temporelle. Sauf que la politique et le climat, ce n’est pas du tout le même rapport au temps.

Est-ce qu’on ne ferait pas mieux de renoncer totalement à des objectifs et donc renoncer d’une certaine manière à planifier la transition ?

Ne jetons pas non plus le bébé avec l’eau du bain. Les entreprises ont besoin de signaux clairs. Elles ont besoin de politiques qu’on puisse tenir dans la durée. Et c’est clair que tout revirement politique va créer de l’incertitude. C’est catastrophique pour les investissements. Mais au-delà de ces objectifs, on a surtout besoin d’une trajectoire.

Je suis très inquiet d’une sorte de vague de défaitisme qui parfois peut gagner la société, que certains considèrent que les objectifs sont maintenant hors d’atteinte, que c’est fichu. Si ces objectifs apparaissent parfois hors d’atteinte, c’est parce qu’on a dessiné l’horizon, mais qu’on n’a pas tracé le chemin qui nous y emmène. Et donc, en fait, plus on avance, plus l’horizon semble s’éloigner.

Qu’est-ce qu’il faudrait faire ?

Il faut faire deux choses. Premièrement, il va falloir jeter toutes nos forces dans la bataille. Il ne va pas falloir s’en tenir au seul objectif, c’est la loi de l’économiste Charles Godard, lorsqu’une mesure devient un objectif elle cesse d’être une bonne mesure. Il faut maximiser nos efforts. 

« Quand les pompiers arrivent devant un immeuble en feu, ils ne se fixent pas pour objectif de sauver 55% des personnes qui sont à l’intérieur. »

Ils vont évidemment essayer de sauver tout le monde. Je pense qu’il faut maximiser nos efforts. Surtout, il faut dessiner une trajectoire avec des balises qui nous permettent de rectifier le tir si on s’éloigne de nos objectifs et qu’ils soient aussi autant de petites victoires qui nous motivent et qui nous convainquent qu’on va y arriver. On est tous pareils. Si vous me dites que je vais perdre dix kilos d’ici 2030, je sais très bien que je vais attendre 2029 avant de m’y mettre.

franceinfo

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