Fan de Vladimir Poutine et de grosses voitures, l’ancien Premier ministre écarté du pouvoir il y a cinq ans après le meurtre d’un journaliste ayant dénoncé la corruption est donné favori par les sondages pour les législatives slovaques. Retour sur la carrière d’un politicien qui surfe sur le populisme et les infox pour reprendre la tête du gouvernement.
Les élections législatives anticipées de samedi 30 septembre en Slovaquie pourraient installer une figure prorusse et populiste à la tête de ce pays européen. Robert Fico, 59 ans, en embuscade depuis cinq ans, est en passe de reprendre son ancien poste de Premier ministre.
Malgré sa réputation ternie, les sondages donnent comme favori son parti, le Smer-Social démocratie (Smer-SD), dans une lutte serrée avec le parti libéral Slovaquie progressiste de son rival Michal Simecka, vice-président du Parlement européen et symbole de la nouvelle génération slovaque.
Deux fois Premier ministre de ce pays de 5,4 millions d’habitants, Robert Fico revient de loin. Il a été poussé vers la porte de sortie en 2018 à la suite de l’assassinat du journaliste d’investigation Jan Kuciak et de sa fiancée.
#Slovaquie : RSF condamne avec la plus grande fermeté le meurtre du journaliste d’investigation Ján Kuciak https://t.co/dz6ZhoBCTT pic.twitter.com/GJRmDbK5lB
— RSF (@RSF_inter) February 26, 2018
En 2019, un homme d’affaires, le milliardaire Marian Kocner, est inculpé pour avoir commandité ce meurtre avant d’être finalement acquitté l’année suivante. En revanche, d’autres suspects ont été condamnés après avoir admis leur culpabilité, dont le tireur, un ancien militaire qui s’est vu infliger une peine de 23 ans de réclusion criminelle.
Les journalistes traités de « prostitués »
À l’époque du meurtre, Robert Fico était déjà connu pour ses relations désastreuses avec la presse. Dans le viseur des journalistes slovaques qui accusaient régulièrement le pouvoir de corruption, il n’avait pas hésité à les qualifier publiquement de « hyènes idiotes » et de « sales prostitués anti-Slovaques ».
À la suite de sa démission, une coalition anticorruption a pris le pouvoir lors d’élections en 2020, mais Robert Fico a conservé son siège au Parlement.
La presse, Robert Fico préfère désormais s’en passer. Le candidat, qui surfe sur la vague des infox, communique essentiellement avec son électorat à l’aide de vidéos, postées sur Facebook, YouTube et Telegram – vidéos parmi les plus populaires en Slovaquie. Il fait même de la désinformation un outil de campagne.
Une enquête réalisée en 2022 par le groupe de réflexion Globsec a montré que 54 % des Slovaques sont réceptifs à ces infox puisqu’ils croient aux théories du complot selon lesquelles le monde est gouverné par des groupes secrets voulant établir un ordre mondial totalitaire.
Un homme musclé qui aime les grosses voitures
Dans les rues de Bratislava, les affiches du parti de Robert Fico promettent « la stabilité, l’ordre et le bien-être », dont il se veut le garant. Dans le monde qu’il propose, l’ancien Premier ministre ne veut pas des migrants, ni des personnes LGBT+, cibles de ses attaques les plus virulentes.
« Je ne serai certainement jamais favorable à ce qu’ils [les homosexuels] puissent se marier, comme c’est le cas dans d’autres pays », a-t-il récemment déclaré à la presse, après avoir qualifié de « perversion » l’adoption d’enfants par des couples de même sexe – adoption qui n’est pas autorisée en Slovaquie.
Lui est marié à une avocate avec laquelle il a un fils. Selon les médias slovaques, le couple est séparé. L’homme politique, qui aime les voitures rapides, le football et la musculation, ne cache pas son admiration pour l’autoritarisme de Vladimir Poutine, décrit le sociologue slovaque Michal Vasecka dans son livre intitulé « Fico : obsédé du pouvoir ».
Fan de Vladimir Poutine
Robert Fico a récemment déclaré qu’il n’autoriserait pas l’arrestation du président russe Vladimir Poutine, poursuivi par un mandat international, s’il venait un jour en Slovaquie. Quant à l’engagement de son pays en faveur de l’Ukraine, le candidat promet de mettre fin à l’aide militaire à Kiev.
« Sa relation avec la Russie est historiquement déterminée par la devise socialiste ‘Avec l’Union soviétique pour l’éternité’ », écrit Michal Vasecka. Robert Fico, qui a passé sa vie à naviguer sur l’échiquier politique, a entamé sa carrière au sein du Parti communiste alors qu’il était avocat de profession.
En 1999, il quitte le Parti de la gauche démocratique (SDL), héritier politique du Parti communiste, pour fonder le sien, le Smer-SD. En 2006, cette formation remporte une victoire écrasante au Parlement, catapultant Robert Fico au poste de Premier ministre, deux ans après l’adhésion de la Slovaquie à l’UE.
Robert Fico lance alors une coalition avec le Parti national slovaque (SNS) d’extrême droite, qui partage sa rhétorique antiréfugiés et ses penchants populistes, puis renforce sa popularité lors de la crise financière mondiale de 2008 et 2009 en refusant d’imposer des mesures d’austérité.
Lors de la crise migratoire de 2015 en Europe, il monte au créneau contre les migrants, refusant de « donner naissance à une communauté musulmane distincte en Slovaquie » et critiquant le programme européen de quotas visant à répartir les réfugiés.
Insultes misogynes
Pas à une contradiction près, Robert Fico s’est d’abord forgé une réputation européenne en tant que représentant de son pays auprès de la Cour européenne des droits de l’Homme à Strasbourg de 1994 à 2000.
Lui qui avait salué l’adoption de l’euro par la Slovaquie comme une « décision historique » s’en prend désormais ouvertement à l’UE, à l’Otan et à l’Ukraine ravagée par la guerre afin de séduire des électeurs d’extrême gauche et d’extrême droite.
Fidèle à lui-même, il s’y emploie avec provocation, vulgarité et misogynie, faisant de la présidente slovaque Zuzana Caputova son bouc émissaire depuis plusieurs années. Surnommée l' »Erin Brockovich » de Slovaquie, cette avocate anticorruption et écologiste a pris la tête du pays en 2019.
Dans un article, Le Monde décrit une scène riche de sens sur les provocations de Robert Fico. En mai 2022, durant les célébrations de la Fête du travail, il n’hésite pas à faire hurler à la foule le terme de « pute américaine » à l’adresse de Zuzana Caputova, avant d’ajouter lui-même au micro que « plus une personne est une pute, plus elle devient célèbre ».
AFP