Après des années passées à produire les sons des plus grands, de Snoop Dog à Booba, le fils prodige de Manu Dibango dévoile le deuxième volet de « Wolves of Africa ». Un album à l’essence résolument hip-hop makossa.
« My brother, my brother », martèle, sourire aux lèvres, le rappeur camerounais Stanley Enow au moment de saluer d’une franche accolade son camarade James BKS, alors de passage dans sa maison d’édition musicale parisienne. Le musicien, qui vit dans la capitale française depuis 2013, attire la sympathie. Mais un lien fraternel unit de toute évidence les deux compatriotes, qui partageaient quelques jours plus tôt la scène du Théâtre du Châtelet.
James y défendait son deuxième album, Wolves of Africa, sorti en septembre, et invitait ainsi son camarade à fêter ses dix ans de carrière à ses côtés.
C’est que le zig de 40 ans tout ronds aime et sait s’entourer. Angélique Kidjo, Ibrahim Maalouf, Yemi Alade, Jock’air, Carlos Santana… La liste des stars qui l’accompagnent dans ce deuxième volet est longue.
« Je suis fan de tous ces artistes, que j’ai beaucoup étudiés. Lorsque je leur propose une musique, je sais qu’ils n’ont plus rien à prouver car, pour la plupart d’entre eux, ce sont des légendes. Il faut donc savoir les challenger et apporter, non pas quelque chose de nouveau, ce serait prétentieux, mais de frais », admet ce mélomane qui offre ici un voyage sonore à travers quatre continents.
Preuve de son irrésistible besoin de renouer avec l’essence même du hip-hop. Cette fusion des genres et des territoires est à l’image du parcours personnel de ce fils de parents camerounais ayant quitté le pays pour s’installer à Paris, avant de s’envoler pour les États-Unis dans l’espoir de vivre le rêve américain.
Snoop Dogg, Piddy Diddy, Ja Rule…
C’est là-bas que l’ex-beatmaker a travaillé, d’abord à l’ombre des projecteurs, pour quelques poids lourds du rap US (Snoop Dogg, Piddy Diddy, Ja Rule…) , et signé sur le label d’Akon. Il y a encore trois ans pourtant, il était qu’un inconnu du grand public en Europe. Si James a su bien garder son secret, en référence à son acronyme, qui signifie « Best Kept Secret », il n’a plus besoin de se cacher derrière de grands noms pour être légitime.
L’autodidacte est désormais son propre chef d’orchestre. D’un naturel autrefois réservé, chantant à l’arrière de la scène, capuche relevée sur la tête, Lee-James Edjouma – son vrai nom – a laissé sa timidité de côté et dévoile enfin son visage. Aujourd’hui décontracté, il ose mêmes quelques touches d’excentricité.
Crâne blond platine, solaires polarisées vertes vissées sur le nez, énorme chaînon doré duquel pendouille un masque africain sur un sweat également flanqué d’une carte humaine de l’Afrique… Le message est clair, le chanteur assume sa part d’africanité. Mais pas qu’en apparence.
Bikutsi, bend skin, soul makossa… Autant de courants musicaux typiquement camerounais qu’il infuse dans son mélange de drill, de pop et de hip-hop. Et qu’il a découverts, d’abord, grâce à sa culture du sample. À l’heure où l’autotune et les tendances afropop dominent les plateformes de streaming, le musicien fait figure d’exception. « C’est une bataille du quotidien. Le jeu des playlists est très contraignant.
Car lorsqu’on n’est pas dans les rangs, c’est compliqué pour notre musique de s’exporter et de toucher les gens. J’ai grandi avec de grands producteurs comme Timbaland ou Pharrell Williams, et chacun a réussi à imposer sa patte sans jamais essayer de copier un autre. J’aime à croire que je fais partie d’une génération qui a des choses à dire et à porter, et qui peut rassembler. Mais pour cela, il faut savoir qui on est. »
Son identité, James BKS semble l’avoir trouvée. Il ne jure aujourd’hui que par les instruments organiques et une bande de musiciens qui l’accompagne sur scène comme en studio. « Pour reproduire les sons de chez moi, du Cameroun, il faut de vrais instruments, de vraies rythmiques. Parce qu’il y a une chaleur, une cadence et un groove que la machine n’arrivera jamais à reproduire. C’est cette chaleur-là qui définit ma musique.
Je ne dénigre pas le synthétique ni la programmation pour autant, car c’est comme ça que j’ai commencé, avoue celui qui a « topliné » le premier titre autotuné de Booba, « King » (2008) en featuring avec Rock City. Mais le mariage des deux donne des choses géniales. »
Retrouvailles avec papa groove
Ce retour aux sonorités pures et traditionnelles, il le doit surtout à son papa groove, Manu Dibango. « J’ai eu la chance de renouer avec mon père biologique au bon moment. Quand j’ai réellement commencé à me mettre dans la musique, ma mère m’a révélé qui il était pour moi. Une réalité que j’ai niée pendant plusieurs années, jusqu’à ce que je ne puisse plus reculer. Le fait de voir cette personne à qui je ressemble face à moi a été un feeling que je n’avais jamais ressenti auparavant.
Cela a éveillé beaucoup de choses en moi », analyse-t-il. Si des disques de « papa Manu » traînent à la maison lorsqu’il n’est encore qu’un gamin fan de basket-ball, il n’en connaît que les tubes. « J’ai eu la chance d’apprendre son catalogue avec lui, avec ses histoires propres et ses anecdotes. »
Ces moments privilégiés avec son paternel l’amènent à le suivre en tournée, de l’Angleterre au Brésil, jusqu’à la mort de Manu Dibango, en 2020. « Le fait de côtoyer ses musiciens a ouvert tellement de choses en moi… C’est là que j’ai découvert tous ces rythmes, résume James qui invitera à son tour son père sur l’un des morceaux de la première partie de Wolves of Africa, sorti en juillet 2022.
Ça m’a rendu curieux, surtout à une époque où je me cherchais encore. J’avais un bon CV, mais il manquait de substance. Il me manquait l’Afrique pour me compléter, musicalement et psychologiquement. »
Construire au Cameroun
Retour au pays en 2021 pour l’enfant prodige. En pleine cérémonie de clôture de la Coupe d’Afrique des nations, James BKS a l’occasion de jouer certains de ses propres titres et de rendre hommage au répertoire de son père. « C’était mon retour, après plus de trente ans sans y avoir mis les pieds. Ma mère a eu un traumatisme quand elle a quitté le Cameroun et, sans le vouloir, elle l’a transmis à la fratrie.
On avait tous les yeux rivés sur les États-Unis. C’est seulement quand je me suis émancipé de mes parents que j’ai compris qu’il y avait des choses positives au Cameroun. En y retournant, j’ai réalisé que c’était le moment pour moi de tisser des liens sur place », glisse-t-il.
Déjà initiateur de master classes en France, James ambitionne de monter des projets dans l’éducation musicale au Cameroun, et de partager son expérience en tant que producteur et éditeur indépendant, à la tête de la structure Grown Kid, fondée avec sa compagne et associée il y a déjà seize ans. « Je veux m’investir auprès de la jeunesse et des talents, et créer des ponts.
C’est aussi ce qui m’a lié avec Idriss Elba, qui a participé au premier album. Lui aussi a reçu cet appel de ses racines, et il monte aujourd’hui un projet de studio de cinéma au Ghana. J’ai la même volonté d’inscrire mon travail correctement et durablement au Cameroun. Tout mon travail se concentre aujourd’hui sur ce retour-là. »
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