Du danger de se retenir d’éternuer

Sans doute vous est-il arrivé de vous retenir d’éternuer parce que vous pensez que cela ne se fait pas en public ou parce vous estimez que votre éternuement, dont vous savez qu’il est particulièrement sonore, peut déranger les personnes autour de vous. Eh bien, sachez que se retenir d’éternuer peut être la cause de complications sévères.

Plusieurs cas cliniques ont été rapportés dans la littérature médicale. Ils attestent qu’il est dangereux de réprimer un éternuement qui, comme chacun sait, est un réflexe involontaire durant lequel de l’air est expulsé à grande vitesse. Cette expulsion est consécutive à la contraction puissante des muscles intercostaux pour nous aider à nous débarrasser de particules ou de substances irritantes se trouvant dans la cavité nasale.

Plusieurs études ont cherché à évaluer la vitesse du flux d’air à la sortie de la bouche et du nez. Elles ont établi que la pression est d’autant plus élevée que l’on cherche à résister à l’expulsion de l’air lors d’un éternuement. Lors d’un éternuement normal, la pression de l’air expulsé atteint 0,43 à 7 KPa (kilopascal). Retenir un éternuement, en se pinçant les narines et en fermant la bouche, augmente de 5 à 24 fois la pression par rapport à un éternuement normal. On comprend dès lors qu’une brusque augmentation de pression et de vitesse du flux d’air généré par l’effort pour retenir un éternuement peut expliquer la survenue de divers types de lésions.

De telles complications peuvent d’ailleurs se produire en dehors de tout effort pour réfréner son envie d’éternuer. Des médecins urgentistes américains ont rapporté en août 2023 dans le Journal of the American College of Emergency Physicians Open (JACEP Open) la survenue d’un hémothorax après un éternuement. Cet homme âgé de 65 ans s’était plaint d’une douleur en coup de poignard après avoir éternué. Le scanner thoracique a révélé la présence d’une accumulation de sang dans la cavité pleurale (entre le poumon et la paroi thoracique), le patient présentant par ailleurs une importante ecchymose sur le flanc droit.

En 2022, dans la Revue Médicale de Liège, des médecins belges ont rapporté le cas d’un homme de 38 ans qui s’est présenté aux urgences après avoir été victime d’un accident de la route. Il présente alors une plaie au front, qui est désinfectée et suturée. Le lendemain, après un effort pour se retenir d’éternuer en se pinçant le nez et en maintenant la bouche fermée, un gonflement de la joue droite apparaît brusquement. Celui-ci s’accompagne d’une perte de sensibilité du visage, sur une zone s’étendant de la paupière supérieure à la commissure des lèvres.

Les médecins du CHU de Liège perçoivent à la palpation du patient un crépitement gazeux au niveau de la région temporale droite et de la joue. Ces crépitations témoignent de la diffusion accidentelle d’air sous la peau. Les spécialistes parlent d’emphysème sous-cutané. Un scanner est réalisé, qui montre une fracture du sinus maxillaire droit avec enfoncement de la paroi latérale et un emphysème sous-cutané diffus du côté droit de la face, depuis le sommet du crâne jusqu’à la base du cou.

En 2018, des chirurgiens ORL britanniques ont rapporté dans la revue en ligne BMJ Case Reports un cas de perforation spontanée du sinus piriforme, structure qui se situe au niveau de la portion inférieure du pharynx, conséquence d’un éternuement violent qui avait été réprimé.

Vue latérale du cou. Présence d’air (en noir sur une radiographie) dans la région rétropharyngée (flèche noire) et d’un emphysème étendu, en avant de la trachée 

Cette même lésion avait entraîné un emphysème sous-cutané au niveau du cou et du médiastin (région du thorax située entre les poumons). Après s’être pincé le nez et avoir maintenu la bouche fermée, ce patient, un homme de 34 ans en bonne santé, a perçu une sensation d’éclatement. Un gonflement bilatéral au niveau du cou est apparu.

En 2019, une équipe américaine a dénombré 52 cas, publiés entre 1945 et 2018, attestant des dangers liés à l’éternuement. Les complications sont variées, pouvant siéger au niveau intracrânien, intrathoracique, oculaire, ainsi qu’au niveau du larynx ou des oreilles. Elles peuvent également être vasculaires.

Thrombose veineuse cérébrale

Des médecins israéliens ont rapporté en juin 2023 dans la revue Case Reports in Neurology un cas rare de thrombose veineuse cérébrale chez une jeune fille de 19 ans après éternuement. Cette patiente, qui ne présentait aucun antécédent médical, a présenté un mal de tête dans la région temporale immédiatement après avoir éternué. La céphalée s’est aggravée le lendemain après un second éternuement.

Une thrombose d’un sinus veineux cérébral, caractérisée par l’obstruction par un caillot du système veineux drainant le sang du cerveau, peut parfois survenir dans un contexte de traumatisme par accélération. Dans un tel cas, le mécanisme exact à l’origine de l’obstruction du flux veineux n’est cependant pas clairement élucidé (lésion interne ou distorsion de veines cérébrales pouvant être responsable de la formation d’un caillot).

Les neurologues estiment que la pathologie neurovasculaire de leur patiente est sans doute la conséquence d’un traumatisme généré par une forte accélération de la tête lors d’un violent effort d’éternuement.

Fracture du cartilage thyroïde

Un éternuement violent, réprimé ou non, peut être responsable d’une fracture du cartilage thyroïde. Cette structure laryngée, palpable à la face antérieure du cou, est composée de deux lames latérales unies parleur bord antérieur. Elle est plus communément appelée « pomme d’Adam ».

Le patient éprouve alors une douleur à la déglutition (odynophagie), une sensation de blocage des aliments (dysphagie) et une altération de la voix (dysphonie). L’augmentation soudaine de pression, associée à un violent éternuement contre la glotte fermée, peut provoquer un barotraumatisme dans la région située sous les cordes vocales.

Le scanner permet d’établir le diagnostic de cette complication, qui est une rareté. Les cas rapportés dans la littérature concernent de jeunes hommes adultes (âgés de 29 à 47 ans). Une explication possible pourrait tenir à une faiblesse congénitale du cartilage thyroïde. Un autre facteur prédisposant serait le degré de minéralisation de cette structure laryngée. En effet, la minéralisation et l’ossification de ce cartilage diffèrent entre les hommes et les femmes et varient avec l’âge. Le traitement est le plus souvent conservateur, consistant à soulager la douleur.

Le traitement a été plus compliqué pour un homme de 31 ans dont le cas a été rapporté en 2021 par des chirurgiens ORL américains dans l’American Journal of Otolaryngology. Après un puissant éternuement, avec nez et bouche fermés, ce patient a ressenti un craquement sourd au niveau du cou. Les médecins notent à la palpation du cou une crépitation bilatérale, témoignant de la présence d’air dans les tissus sous-cutanés.

Cet homme, qui saigne du nez, présente les trois signes caractéristiques d’une fracture du cartilage thyroïde : odynophagie, dysphagie et dysphonie. La fracture laryngée est associée à la présence d’air dans le médiastin (pneumomédiastin) et à un emphysème sous-cutané diffus.

Compte tenu de la sévérité des symptômes (instabilité d’une lame du cartilage thyroïde à la palpation douce, lésion de la muqueuse laryngée et probable hémorragie de la corde vocale droite) et de l’absence d’amélioration après 36 heures d’observation, le patient a été opéré. Deux semaines après l’intervention, il ne présentait plus aucun symptôme.

Emphysème orbitaire

Autre complication possible d’un éternuement vigoureux : la survenue d’un emphysème orbitaire, défini par la pénétration d’air dans les tissus de l’orbite. Le plus souvent d’origine traumatique, l’emphysème orbitaire peut également survenir dans un contexte d’infection des sinus ou comme complication d’une intervention dentaire ou ORL. La très fine lame osseuse qui forme la paroi interne de l’orbite (appelée lamina papyracée) peut alors laisser passer de l’air en provenance des sinus paranasaux.

En 2010, des radiologues britanniques ont rapporté dans The Lancet le cas d’une femme de 84 ans, traitée à l’hôpital pour une fracture du bras, qui a éternué au moment même où elle allait quitter l’établissement. Elle a alors perdu un instant la vision de l’œil gauche. L’examen clinique a montré la présence d’un œdème des paupières supérieure et inférieure, ainsi qu’une crépitation gazeuse.

Emphysème orbitaire (œil gauche). A : ecchymose et tuméfaction des paupières. B : image scanner avec présence d’air (en noir) dans l’orbite gauche, mais sans fracture ouverte.

Le scanner a révélé la présence d’air dans l’orbite, mais pas de fracture. Il est possible qu’une infime brèche (déhiscence de la lamina papyracée), indétectable, ait été présente dans la paroi de la cavité orbitaire et que l’éternuement l’ait ouverte, avec pour conséquence de laisser l’air s’infiltrer dans le tissu orbitaire.

Dans de rares cas, l’emphysème orbitaire peut être grave dans la mesure il peut entraîner une souffrance du nerf optique ou une occlusion de l’artère centrale de la rétine. Chez cette patiente âgée, rien de tel ne s’est produit. Le traitement a simplement consisté en l’application de poches de glace et la prise de décongestionnants nasaux.

Il a été recommandé à la patiente d’éviter de se moucher et de faire l’objet d’un suivi sur les plans ophtalmologique et ORL. Un cas d’emphysème sous-cutané orbitaire après éternuement avait été rapporté par des ophtalmologistes de Taïwan en 2008 dans The American Journal of Emergency Medicine.

De l’air dans l’espace intracrânien

Toujours à Taïwan, des médecins urgentistes ont décrit en 2018 dans The American Journal of Emergency Medicine le cas d’un homme de 24 ans qui, après deux épisodes d’éternuement vigoureux, s’est plaint de maux de tête et de vertiges. Le scanner a révélé la présence d’air intracrânien (pneumocéphalie dans le lobe occipital) et d’un hématome sous-dural, c’est-à-dire une collection sanguine localisée entre la dure mère (méninge) et le cerveau.

De l’air était également présent près de la mastoïde gauche (région de l’os temporal, située derrière l’oreille). Le scanner réalisé quatre jours plus tard a montré la disparition de l’hémorragie. Le patient est sorti de l’hôpital six jours plus tard.

Plus récemment, en avril 2023, une équipe américaine a rapporté dans la revue Radiology Case Reports un cas de pneumocéphalie chez une femme de 72 ans qui s’était retenue d’éternuer. Cette complication était associée à une atteinte du bulbe olfactif, structure située à la base du cerveau qui achemine l’information olfactive. La patiente a été opérée en urgence, l’intervention consistant d’une part à créer un trou de trépan pour aspirer l’air à l’aiguille, d’autre part à tenter de réparer le bulbe olfactif.

De l’air dans l’oreille interne

L’oreille n’est pas non plus à l’abri en cas d’éternuement violent. En 2021, des chirurgiens ORL de Singapour ont rapporté dans la revue BMJ Case Reports le cas d’une femme de 69 ans qui avait subi en 2005 une stapédotomie car elle souffrait d’otospongiose, maladie de l’os de l’oreille dans laquelle l’os normal est remplacé par un os de mauvaise qualité. Cette intervention consiste à remplacer l’étrier, un des osselets de l’oreille interne, par une prothèse.

Quinze ans plus tard, cette femme a été prise d’une salve d’éternuements violents alors qu’elle avait une infection des voies respiratoires supérieures. Cela a provoqué la présence d’air dans l’oreille interne entraînant des signes et des symptômes cochléo-vestibulaires (surdité de perception, acouphènes, vertiges), ce que les spécialistes appellent un pneumolabyrinthe. La patiente a dû être opérée pour colmater la brèche.

Chylothorax

En 2021, dans les Archivos de Bronchoneumologia, des pneumologues espagnols ont décrit le cas d’un homme de 71 ans qui, après un éternuement violent, a subi une lésion du canal thoracique. Celui-ci renferme le chyle, liquide laiteux blanchâtre provenant des vaisseaux lymphatiques du péritoine et constitué de graisses résultant de la digestion. Cet homme a présenté ce que l’on appelle un chylothorax, un épanchement de chyle dans la cavité pleurale, sans doute la conséquence d’une brutale et soudaine augmentation de la pression thoracique durant l’éternuement ayant provoqué une micro-rupture du canal thoracique.

Pour venir à bout de cette complication, le patient a dû subir de multiples procédures pendant trois mois et demi. Jusqu’à présent, un seul cas de chylothorax dans ce même contexte avait été rapporté dans la littérature.

Déchirure du diaphragme

Le diaphragme et les muscles situés entre les côtes peuvent aussi être lésés après un violent éternuement. Un cas de brèche diaphragmatique et de déchirure de muscles intercostaux a été rapporté par des chirurgiens britanniques en 2013 dans The Annals of Thoracic Surgery. En 2019, une équipe américaine a décrit dans BMJ Case Reports la survenue dans les mêmes circonstances d’une déchirure complète intercostale associée à une hernie diaphragmatique (rupture du diaphragme sur 8 cm). Dans les deux cas, une prise en charge chirurgicale a été décidée.

Enfin, un cas de dissection aortique, c’est-à-dire de déchirure de la paroi de l’aorte, a même été rapporté par des médecins turcs en 2005 dans l’Emergency Medicine Journal. Il concerne un homme de 51 ans, souffrant d’hypertension artérielle, admis aux urgences pour une douleur thoracique sévère et soudaine, associée à une gêne respiratoire, à la suite d’un éternuement. À son arrivée à l’hôpital, la douleur avait diffusé dans le dos.

Pour conclure, laissez-moi vous dire que j’ai éternué à la fin de la rédaction de ce billet. C’est la stricte vérité. Eh bien, croyez-moi, l’idée de me retenir ne m’a pas effleuré un seul instant.

lemonde

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