Slovaquie: la désinformation comme outil politique en période électorale

Les citoyens slovaques sont appelés aux urnes ce samedi 30 septembre 2023 pour les élections législatives anticipées. Un scrutin important pour l’avenir du pays, tiraillé entre politiques pro-occidentales et rapprochement avec la Russie. La présidente slovaque, Zuzana Caputova, a condamné un climat de « haine » avant le vote. Une colère notamment alimentée par une vague de fausses informations.

« L’écosystème de la désinformation en Slovaquie atteint aujourd’hui son apogée » à l’approche du vote. C’est le constat dressé par Peter Duboczi, rédacteur en chef de l’organisation slovaque Infosecurity, qui traque les manipulations en ligne. Sur Telegram, Facebook ou encore WhatsApp, les électeurs sont confrontés quotidiennement aux infox. L’organisation à but non lucratif Reset, basée à Londres, affirme avoir enregistré plus de 365 000 messages de désinformation liés aux élections sur les réseaux sociaux slovaques au cours des deux premières semaines de septembre. 

Une désinformation massive qui infuse depuis plusieurs années dans le pays, selon Jana Vargovčíková, chercheuse à l’Inalco et spécialiste de la Slovaquie : « La police slovaque alerte sur la diffusion d’informations fausses ou manipulées depuis au moins 2014-2015. On a donc aujourd’hui affaire à un écosystème de désinformation relativement robuste. »  

Les réseaux sociaux ne sont pas les seuls vecteurs de cette machine à infox. « Une bonne partie des formations politiques qui espèrent entrer au Parlement reprennent, pour des raisons tout à fait tactiques, des éléments de discours qui sont faux à des fins électorales », explique la chercheuse. 

Robert Fico, figure de la désinformation politique

Le symbole de cette utilisation politique des fausses informations, c’est notamment le favori de l’élection, Robert Fico. L’ancien Premier ministre de 2006 à 2010 et de 2012 à 2018, fin stratège, espère bien retrouver son siège à la tête du gouvernement. Pour accomplir sa mission, le leader du parti populiste Smer-SD n’hésite pas à agiter le spectre d’une élection truquée, sans apporter aucune preuve.

Un discours dangereux car « Robert Fico, par sa popularité, atteint un public important et participe donc grandement à l’amplification des infox », note Jana Vargovčíková. Une stratégie qui ne l’empêche pas pour autant de caracoler en tête des sondages avec 20% d’intention de votes, devant le parti social-libéral et pro-européen du vice-président du Parlement européen Michal Šimečka, Slovénie Progressiste (PS, RE) et ses 17%.

Un scénario vu et revu 

Le récit d’une élection truquée d’avance est devenu un discours à la mode à travers le monde, particulièrement chez les candidats populistes qui suivent les pas de Donald Trump aux États-Unis. On retrouve par la suite ce narratif propagé dans de nombreuses publications sur les réseaux sociaux. C’est par exemple le cas d’une publication partagée sur Facebook, qui affirme que les élections municipales slovaques de 2022 ont été manipulées, et que les législatives vont subir le même sort. L’auteur du post pointe du doigt une société, nommée ESET, spécialisée dans la sécurité informatique. 

Exemple d'infox circulant sur les réseaux sociaux slovaques pour discréditer l'intégrité du scrutin.
Exemple d’infox circulant sur les réseaux sociaux slovaques pour discréditer l’intégrité du scrutin. © Capture d’écran/ Montage RFI

Vérification faîte par nos confrères du média Demagog.sk, aucune preuve d’une manipulation à grande échelle des élections municipales de 2022 n’a été constatée.

De plus, l’Office national des statistiques slovaque, chargé de l’organisation des élections, n’utilise aucun des services de cette firme depuis au moins trois ans. Une infox similaireavait circulé en France lors de l’élection présidentielle avec comme bouc émissaire l’entreprise Dominion qui, en réalité, n’opérait pas en France.

Cette même société de machines à voter avait aussi été visée par des infox aux États-Unis. La chaîne de télévision conservatrice Fox News a même fini par verser 800 millions de dollars à Dominion pour éviter un procès en diffamation suite à des accusations fallacieuses répétées en direct.

L’ombre de la Russie

Les manipulations informationnelles en Slovaquie ne se limitent pas à la sphère politique locale. La désinformation, dans ce pays de 5,4 millions d’habitants, sert aussi les intérêts géopolitiques d’autres pays. « ​​​​​​​Les rapports de la police pointent la Russie comme une des sources de la désinformation diffusée en Slovaquie depuis 2014 et le début de l’occupation de la Crimée », explique Jana Vargovčíková.

Les analystes pointent du doigt trois partis qui avancent de fausses allégations anti-ukrainiennes et pro-russes : le parti Smer-SD de Robert Fico, le parti nationaliste Republika et le Parti national slovaque (SNS). Certaines infox sont également directement attribuées à l’ambassade de Russie en Slovaquie, très active sur les réseaux sociaux.

Cette désinformation est une façon pour la Russie d’essayer de polariser la société slovaque, de décrédibiliser les institutions en place et de pousser les électeurs dans les bras de candidats favorables à la politique de Vladimir Poutine et à son invasion de l’Ukraine.

rfi

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