La version soumise au vote interdit les détentions de journalistes liées à leur activité professionnelle, les fouilles de documents et perquisitions de leur bureau ou domicile.
Le Parlement européen se prononce mardi 3 octobre sur une loi destinée à défendre le pluralisme et l’indépendance des médias ainsi que le secret des sources, un sujet au cœur de l’actualité en France avec la récente garde à vue d’une journaliste.
Le vote, prévu à la mi-journée en séance plénière à Strasbourg, doit ouvrir la voie à des négociations avec les États membres, avant une adoption finale.
Cette «loi européenne sur la liberté des médias» a été présentée par la Commission en septembre 2022, face à la détérioration de la situation dans des pays de l’UE comme la Pologne et la Hongrie. Elle prévoit des garanties pour une indépendance éditoriale des rédactions vis-à-vis du pouvoir politique ou économique et fixe des obligations de transparence sur la propriété des médias.
«Mission impossible»
«Cela n’a pas été facile d’en arriver là. Les pressions contre cette loi ont été énormes, et au départ beaucoup pensaient que c’était mission impossible», a déclaré la vice-présidente de la Commission européenne Vera Jourova devant les eurodéputés.
La version soumise au vote interdit les détentions de journalistes liées à leur activité professionnelle, les fouilles de documents et perquisitions de leur bureau ou domicile «en particulier quand de telles actions peuvent conduire à l’accès à des sources journalistiques».
Les dérogations à ce principe sont strictement encadrées. «Ces garde-fous sont clairement plus protecteurs que la loi française et apportent un niveau de protection qui aurait empêché qu’un épisode comme celui d’Ariane Lavrilleux se produise», explique à l’AFP Julie Majerczak, directrice du bureau bruxellois de Reporters sans frontières (RSF).
La journaliste française, qui collabore avec le site d’investigation Disclose, a été placée en garde à vue pendant 39 heures les 19 et 20 septembre et vu son domicile perquisitionné, dans le cadre d’une information judiciaire pour compromission du secret de la défense nationale, à la suite d’articles sur des ventes d’armes françaises à l’étranger et sur une mission de renseignement française en Égypte que ce pays aurait détournée pour cibler et tuer des opposants.
«Interdire les logiciels espions»
Les dispositions de la loi destinées à protéger le travail journalistique promettent de difficiles discussions avec les États membres, qui ont adopté en juin dernier leur position sur ce texte. À la demande de la France notamment, ils ont insisté sur les dérogations possibles au nom de la «sécurité nationale».
Le texte en l’état prévoit que l’utilisation de logiciels espions de type Pegasus à l’encontre de journalistes puisse être autorisée sous certaines conditions : si elle est «justifiée au cas par cas» et si elle est ordonnée par une autorité judiciaire indépendante dans le cadre d’une enquête pour un «crime grave» tel que le terrorisme ou la traite des êtres humains.
«Si vous avez à cœur de défendre les journalistes, vous devez interdire les logiciels espions», a lancé l’eurodéputée irlandaise Clare Daly (GUE, gauche radicale) dans l’hémicycle, soulignant qu’«en aucune circonstance leur déploiement n’est conforme aux droits fondamentaux». Dans une lettre ouverte, 80 organisations et syndicats de journalistes ont aussi appelé les eurodéputés à voter pour une interdiction complète de ces «spywares» contre la presse.
Restriction de publications
Autre point crucial de la législation: la question de la modération des contenus journalistiques par les plateformes en ligne. Afin d’éviter que ces plateformes ne suppriment ou restreignent arbitrairement des articles ou des reportages vidéo par exemple, la loi prévoit un traitement à part pour les médias remplissant un certain nombre de conditions.
Ces médias doivent être transparents sur leurs propriétaires, être indépendants éditorialement, être soumis à la supervision d’une autorité nationale ou respecter des normes d’autorégulation, ne pas produire de contenus par un système d’intelligence artificielle sans que ce contenu n’ait été soumis à un contrôle humain.
Si une plateforme estime que le contenu d’un média ainsi reconnu enfreint ses règles d’utilisation, elle doit l’avertir 24 heures avant de procéder à une éventuelle suspension ou restriction, afin de lui laisser le temps de se défendre.
L’eurodéputé français Geoffroy Didier (PPE, droite) s’est félicité de voir la loi «consolider la liberté d’expression», estimant que «Twitter ne pourra plus, par exemple, supprimer les comptes de journalistes». «Nous ne sommes ni le modèle américain qui laisse tout dire et tout faire, ni le modèle chinois, qui ne laisse rien dire», a-t-il ajouté.
AFP