Cinéma : « Le Règne animal », des créatures plus vraies que nature

Pour cette histoire fantastique qui s’adresse à un grand public mais traitée avec un point de vue d’auteur, le réalisateur a associé images de synthèse et maquillage réel. Une réussite.

C’est une œuvre qui bouscule, perturbe, interroge. Dont l’histoire vous happe dès les premières secondes et dont les images vous hantent bien après la projection. En salle ce 4 octobre, Le Règne animal, de Thomas Cailley, projeté au dernier Festival de Cannes dans la section Un certain regard, devrait imprimer les mémoires.

Avec ce deuxième long-métrage, le réalisateur – à qui l’on doit Les Combattants (2014) – nous plonge dans un monde similaire au nôtre mais en proie à une étrange épidémie. Sans qu’on sache comment, des êtres humains subissent des mutations physiques les transformant progressivement en des créatures proches d’espèces animales – pour autant, ils ne deviennent pas de « véritables » animaux.

Ce phénomène, Lana, la femme de François (Romain Duris), en est atteinte. Lana et François sont les parents d’un ado, Émile (Paul Kircher), qui vit mal la situation. Prise en charge dans un hôpital, Lana est ensuite transférée dans un centre. Un jour, un camion qui transporte les créatures – appelées les « bestioles » par ceux qui les rejettent – et où se trouve Lana a un accident. Beaucoup ont survécu et se sont échappées dans la nature. Le père et le fils partent à la recherche de celle qui leur manque tant…

Un bestiaire aux multiples mutations

Dans un cinéma français qui valorise peu le film de genre, Le Règne animal porte une ambition folle : proposer une histoire fantastique au grand public, traitée avec un point de vue d’auteur. Quand l’entreprise est lancée, de nombreux défis se présentent, à commencer par la création d’un univers singulier et crédible. En ce sens, les créatures sont un des enjeux cruciaux.

Thomas Cailley et sa coscénariste, Pauline Munier, avaient tout de suite acté qu’elles devaient exister en pleine lumière à l’écran. « L’histoire ne fait pas de mystère autour de ce qu’elle raconte, sinon on aurait été dans un film d’angoisse. Les créatures sont montrées dès les premières minutes, en entier, de jour, etc. Il n’était pas question de les cacher », nous confie Thomas Cailley.

Partant d’une feuille blanche, comment le cinéaste a-t-il procédé ? « Il y a eu des phases successives. Lors de la première, fin 2020-début 2021, qui a accompagné la fin de l’écriture du script, j’ai collaboré avec Frederik Peeters, auteur de BD. Au fil des mois, il m’a proposé tout un bestiaire, avec des personnages à des étapes différentes de leur mutation. J’ai alors fait une sélection de créatures, en fonction de leur ordre d’apparition dans le film », explique Thomas Cailley.

« Puis, j’ai poursuivi avec plusieurs character designers [artistes concevant graphiquement des personnages, NDLR], dont Fabien Ouvrard et Stéphane Levallois, détaille-t-il. Avec eux, le but était de s’attaquer à l’approche réaliste de la mutation. En parallèle, j’ai démarré un casting d’acteurs car je tenais à ce que les créatures soient incarnées par des comédiens.

Une fois retenus, leurs portraits ont été transmis aux character designers pour nourrir leur travail sur les mutations. Également en parallèle, le story-board [le film dessiné plan par plan, NDLR] a été lancé. »

« Perdre l’œil du spectateur »

Environ un an avant le tournage, des réunions avec les chefs de poste se multiplient : autour de la table sont conviées les équipes « effets spéciaux maquillage » et « effets spéciaux numériques » puisque la conception des « bestioles » va panacher les deux techniques.

Pour un personnage tel que Fix, l’homme-oiseau aperçu dans la bande-annonce, joué par Tom Mercier (vu dans Synonymes,de Nadav Lapid, Ours d’or à Berlin en 2019), on applique à même la peau des MFX (les effets spéciaux maquillage), tandis que l’acteur porte des manchons bleus aux bras pour que, en postproduction, on puisse ajouter des ailes à la place de ces manchons, grâce aux effets spéciaux numériques (les VFX ou visual effects en anglais).

À lire aussi Ce que l’on doit à William Friedkin, génie indomptable du cinéma américainMais, parfois, de « vraies » ailes, élaborées par les équipes, lui sont aussi collées sur les bras, notamment quand il n’y a pas besoin qu’elles soient en mouvement. Plus globalement, dans le film, en plus des MFX et VFX, on compte des effets spéciaux réalisés en direct sur le tournage, comme pour une scène où il fallait que des objets voltigent dans le cadre. Des handballeurs ont été réquisitionnés à cet effet, particulièrement aptes à viser juste.

L’hybridation des technologies, entre image de synthèse et maquillage réel, est au cœur du Règne animal et s’est avérée capitale pour Thomas Cailley : « Cela permet de perdre l’œil du spectateur. Quand on utilise la même technologie sur plus de trois plans d’affilée, on ne voit qu’elle, justifie le réalisateur. Dans Le Règne animal, il y a autant des effets numériques pointus que des effets à la Méliès. »

« On n’a jamais été aussi loin »

Superviseur VFX chez MPC – l’un des deux studios ayant piloté les effets spéciaux numériques du film, l’autre étant Mac Guff –, Cyrille Bonjean salue le choix de Thomas Cailley : « Pour ma part, j’aime beaucoup travailler sur un film où les différentes technologies sont mélangées. Dans ce cas, le film tire toujours le meilleur de chacune d’elles et cela lui profite. » MPC a eu la charge d’environ 150 plans truqués et de plusieurs créatures, dont Fix.

Au sein de ce studio, 181 personnes ont été mobilisées pour Le Règne animal. « Techniquement, on n’a jamais été aussi loin. Mais il ne faut pas oublier que notre fonction, c’est de donner vie à un univers. Ce qui prime, ce sont l’histoire et les personnages », poursuit-il.À lire aussi La sorcière, de l’horreur au girl powerLe Règne animal a coûté plus de 15 millions d’euros, dont près de 4 millions attribués aux effets spéciaux : « J’espère que ce film montrera aux réalisateurs français qu’ils n’ont pas à se brider.

Il y a toujours une solution pour que leurs idées se concrétisent », ajoute Cyrille Bonjean. Et ce long métrage montrera aussi qu’une direction artistique originale, qui met les acteurs au centre du dispositif, s’avère d’une efficacité redoutable. Pour ce film singulier dans le paysage du cinéma français, Thomas Cailley et ses équipes ont, au final, créé des images saisissantes, tournées en décors réels : plus vraies que nature, indiscutablement.

LEPOINT

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