L’ex-président a côtoyé à de nombreuses reprises Jean-Pierre Elkabbach, disparu le 3 octobre. L’ancien chef de l’État se souvient d’un journaliste pugnace et très malin.
Depuis 1988, année de sa première élection comme député de la Corrèze, François Hollande est passé de nombreuses fois sur le gril Elkabbach. Il a eu droit aux questions affûtées et pugnaces de l’intervieweur disparu mardi 3 octobre, en tant que député, premier secrétaire du Parti socialiste, candidat à l’Élysée et chef de l’État.
Au début de sa carrière politique, il considérait ce passage comme une forme de consécration, un sentiment qui n’a jamais vraiment varié tant François Hollande appréciait cet homme qui, comme lui, était passionné par la politique. Ils étaient proches, à la manière dont Jean-Pierre Elkabbach pouvait être proche des leaders politiques, c’est-à-dire avec « l’impertinence », dit François Hollande, qui permet une certaine distance. Pour Le Point, l’ex-chef de l’État parle du journaliste qui savait faire parler les politiques.
Le Point : Vous avez été interviewé par de nombreux journalistes. Qu’est-ce qui distinguait Jean-Pierre Elkabbach des autres ?
François Hollande : Il avait une méthode bien à lui : avant l’interview, il discutait avec l’invité. C’était pour lui un moyen de savoir ce que voulait dire son interlocuteur durant l’interview et donc de passer directement à la question suivante ! Quand je parlais avec lui, avant les interviews, je prenais garde à ne pas trop en dire pour qu’il ne pose pas, ensuite, une question en connaissant déjà la réponse. La méthode pour éviter qu’il en connaisse trop sur votre état d’esprit, c’était de ne pas arriver trop en avance !
On a l’impression d’une intensité presque physique lors de ses interviews. L’avez-vous ressentie ?
Une interview avec Jean-Pierre Elkabbach, c’était effectivement physique. Je me souviens du petit studio d’Europe 1 où il officiait avec Maryse. Son frère était souvent là. Il y avait un peu de public, qui savait que l’interview tournait souvent en une sorte de petit match très intense. Il y avait une excitation, une mise en tension que Jean-Pierre Elkabbach voulait créer.
Il voulait toujours faire la démonstration qu’il ne lâcherait rien. Il avait d’ailleurs cette qualité assez rare d’écouter attentivement les réponses pour pouvoir rebondir ou débusquer les maladresses et les imprécisions. Avec lui, il ne fallait pas trop en dire avant l’interview, et être sur ses gardes pendant !
Comment abordiez-vous ces entretiens ? Avec la fierté d’être interviewé par une pointure du journalisme ou la crainte d’être bousculé ?
C’était plutôt un défi car on savait qu’une réussite à cette sorte de test valait quelques galons supplémentaires ! Ses émissions étaient d’ailleurs considérées comme une forme de consécration. Elles ont eu une grande importance dans la vie politique française. C’est par exemple à Cartes sur table, qu’il animait avec Alain Duhamel, que François Mitterrand a pour la première fois évoqué l’abolition de la peine de mort, avant 1981.
Plus tard, c’est encore avec Jean-Pierre Elkabbach que François Mitterrand a livré son testament télévisuel en évoquant, entre autres, son cancer.
Jean-Pierre Elkabbach avait une courtoisie et une intelligence rares. Il savait parler aux puissants avec un mélange de déférence – qui suscite la confiance – et d’impertinence – pour dénicher des informations.
Il avait beaucoup de talent, d’entregent, mais il travaillait aussi beaucoup. Il avait ses petites fiches cartonnées sur lesquelles il notait tout un tas d’informations. Il savait précisément comment il allait conduire l’interview !
LEPOINT