Les requins blancs juvéniles supportent beaucoup moins bien l’eau froide que les adultes. Ils recherchent donc les poches d’eau plus chaudes près des régions côtières.
En Californie, les jeunes requins blancs ne s’aventuraient jamais près des plages de la moitié nord de l’Etat. Mais avec le réchauffement des océans provoqué par le changement climatique, ils migrent hors de leur zone habituelle et menacent l’équilibre des écosystèmes marins.
« Cela a un impact réel sur la population » de cette espèce, ajoute le scientifique. De quoi entraîner des effets en cascade sur la foisonnante vie subaquatique de la région.
Un groupe de loutres de mer près de Pleasure Point, à Santa Cruz, en Californie,
Aussi majestueux que redoutés, les grands requins blancs peuvent atteindre 4,9 mètres. Ils parcourent les profondeurs des océans, parfois à des milliers de mètres sous l’eau, et se nourrissent de phoques, d’otaries et de dauphins.
Mais leur progéniture, très tôt livrée à elle-même, supporte beaucoup moins bien l’eau froide que les adultes, un peu comme les bébés humains. Les jeunes requins blancs recherchent donc les poches d’eau plus chaudes près des régions côtières.
Migration vers le nord
Salvador Jorgensen, professeur d’écologie marine à l’université d’État de Californie à Monterey Bay cherche du regard des requins blancs, près de Santa Cruz, en Californie,
Jusqu’à il y a une dizaine d’années, le terrain de jeu des jeunes spécimens s’étendait au maximum jusqu’au sud de la Californie, où la température de l’eau est historiquement clémente.
Mais avec le changement climatique, ils n’hésitent plus à remonter la côte, vers des zones auparavant réputées plus fraîches.
Dans la baie de Monterey, « nous avons constaté l’apparition soudaine de requins beaucoup plus petits que ce que l’on avait jamais vu auparavant », détaille M. Jorgensen. « Les températures des océans se sont réchauffées à la suite d’une série d’El Niño et de vagues de chaleur (marines). »
Le scientifique sort régulièrement en mer pour équiper les jeunes requins blancs d’émetteurs acoustiques, permettant de suivre leurs déplacements. Il est aux premières loges pour assister au bouleversement de l’écosystème local: les loutres de mer, qui fréquentent les forêts de varech (grandes algues), abondantes sur les côtes de Californie du Nord, subissent de plein fouet la migration des jeunes prédateurs.
En grandissant, « les jeunes requins passent de la consommation de poissons et de calamars à celle de mammifères marins », reprend-il. « Pour un requin inexpérimenté, une loutre peut sembler être la bonne cible, mais il s’avère qu’elles n’ont pas une riche couche de graisse. »
Un requin qui en attaque une finira donc par lâcher sa proie au lieu de s’en nourrir. « Mais souvent, ces interactions sont fatales pour la loutre », raconte M. Jorgensen.
Prolifération d’oursins
Les scientifiques de l’université d’Etat de Californie à Monterey Bay consignent leurs observations sur les requins
Et comme chaque écosystème est interconnecté, ces rencontres meurtrières ont des répercussions. Qui dit moins de loutres, dit moins d’animaux pour manger des oursins.
Or, si ces invertébrés friands de varech prolifèrent, les forêts d’algues peuvent être réduites à néant. Et sans elles, c’est tout un habitat crucial pour quantité de poissons, de mammifères et d’oiseaux qui disparaît.
Bref, sans les loutres, le varech meurt. Et sans le varech, des dizaines d’espèces marines voient leur vie bouleversée.
Exemple concret du changement climatique
La présence de jeunes requins près du rivage peut susciter l’inquiétude chez l’homme. Mais ces animaux sont loin d’être aussi dangereux pour lui que leur réputation le laisse croire, rappelle Eric Mailander.
« ‘Les Dents de la mer’ m’a complètement terrorisé », confie ce skipper qui participe aux expéditions pour marquer les prédateurs. « Mais je veux que les gens sachent qu’il ne faut pas les craindre. Ils devraient plutôt aller les voir. »
Pour Salvador Jorgensen, leur présence sur la côte nord de Californie est un exemple parlant des bouleversements subis par la planète à cause de la dépendance de l’humanité aux énergies fossiles.
« J’ai toujours pensé qu’il s’agissait d’un moyen très concret de faire comprendre aux gens le changement climatique », résume le scientifique. « Les gens qui vivent sur cette plage, qui y amènent leurs enfants, n’ont jamais vu une bande de requins nager à trois mètres d’eux, et maintenant c’est un spectacle régulier. »
AFP