Dans le camp de Mavrovouni, à Lesbos, « l’accès au soin est le point le plus critique »

Le 9 septembre 2020, le camp de Moria, sur l’île grecque de Lesbos, était ravagé par les flammes. Le site, qui hébergeait plus de 12 000 personnes, a été complétement détruit dans l’incendie. Pour reloger les occupants, les autorités ont alors construit à la hâte le centre de Mavrovouni, en attendant l’ouverture d’une structure fermée – sur le même modèle que le centre de Samos notamment.

Mais trois ans après, ce nouveau centre n’existe toujours pas et des milliers de migrants vivent encore à Mavrovouni.

InfoMigrants s’est entretenu avec Nihal Osman, coordinatrice de terrain pour Médecins sans frontières (MSF) à Lesbos, et Marion Bouchetel, avocate au Legal center Lesbos.

InfoMigrants : Les conditions de vie dans le camp de Mavrovouni sont-elles meilleures que dans celui de Moria ?

Nihal Osman : Moria c’était l’enfer, un camp sans aucune dignité humaine. Alors, dire que celui de Mavrovouni est mieux, qu’est-ce que cela peut signifier ?

Les ONG dénoncent les conditions de vie dans le camp de Mavrovouni, à Lesbos. Crédit : Agence de l'Union européenne pour l'asile
Les ONG dénoncent les conditions de vie dans le camp de Mavrovouni, à Lesbos. Crédit : Agence de l’Union européenne pour l’asile

Marion Bouchetel : Mavrovouni a été construit sur le même modèle que Moria. En apparence, le nouveau camp semble mieux en effet. Il est plus ordonné avec des tentes alignées, des sanitaires fonctionnels, une aire de jeux pour les enfants… Mais ça ne veut pas dire que les problèmes sont réglés. Il y a toujours un certain nombre de dysfonctionnements.

Il faut rappeler que les exilés sont bloqués dans cette structure pour des périodes très longues. Peu importe les infrastructures dans le camp, le fait est que les gens sont broyés dans un système qui ne respecte par leurs droits et qui les rejette.

Nihal Osman : Oui, on observe le même mécanisme qu’à Moria : une violence d’État qui écrase ces personnes, qui les maltraite et les humilie. La seule différence avec Moria est le nombre de personnes.

Environ 12 000 migrants vivaient à Moria avant l’incendie qui a ravagé le camp, contre plus de 5 000 actuellement à Mavrovouni.

IM : Environ 5 000 personnes vivent dans le camp d’une capacité maximale de 2 500 places. Quelles sont les conséquences de cette surpopulation ?

MB : Quand le centre n’est pas surpeuplé, la situation est plus ou moins gérable. Mais dès que la population augmente, les autorités ne gèrent pas du tout. C’est pourtant la même chose chaque été avec une hausse des arrivées et il n’y a aucune anticipation.

NO : En ce moment, environ 1 300 personnes sont réparties dans quatre grandes tentes [non adaptées à l’hébergement, ndlr]. Les gens sont placés là à leur arrivée à Lesbos. À l’intérieur, les femmes, les hommes et les enfants ne sont pas séparés, et il n’y a pas d’électricité.

MB : Le lieu est très précaire. Pour vous donner une idée, c’est un enchainement de lits de camp dans des tentes surpeuplées.

IM : Pendant combien de temps les migrants restent-ils dans ces tentes ?

MB : À leur arrivée dans le camp, les autorités placent les exilés en quarantaine. Officiellement pendant deux jours mais dans la réalité leur isolement peut durer plusieurs semaines. Certains nous ont raconté y être restés un mois.

Ils sont maintenus dans ces tentes en attendant d’être enregistrés. Mais avec l’augmentation des arrivées ces derniers mois, les autorités ne parviennent pas à effectuer cette procédure administrative rapidement et les personnes restent là longtemps.

NO : Ceux qui vivent dans ces tentes sont dans une situation chaotique : n’étant pas enregistrés comme demandeur d’asile, ils n’ont accès à rien. Ils sont nourris mais ils ne peuvent pas sortir du camp.

Une mère et son enfant marchent dans le camp de Mavrovouni, à Lesbos, le 12 janvier 2022. Crédit : InfoMigrants
Une mère et son enfant marchent dans le camp de Mavrovouni, à Lesbos, le 12 janvier 2022. Crédit : InfoMigrants

MB : C’est une détention illégale et arbitraire. Nous avons publié un rapport le mois dernier qui montre que les mesures de quarantaine ont été imposées aux migrants pendant trois ans de manière injustifiée, sous couvert de lutte contre le Covid.

Ces dispositions ont en réalité servi à enfermer les gens de manière illégale, et les autorités continuent à l’appliquer sans aucune justification d’ordre sanitaire.

Les gens se plaignent des restrictions de mouvements. Le camp de Moria était insalubre mais au moins les exilés étaient libres de bouger. À Mavrovouni, les entrées et les sorties sont contrôlées en permanence.

IM : L’accès à la santé s’est-il amélioré ?

NO : L’accès au soin est le point le plus critique pour nous. MSF reçoit des personnes dans notre clinique dont les pathologies, même chroniques, ne sont pas traitées : des diabétiques, des malades du sida…

MSF récupère les exilés à leur arrivée à Lesbos, on fait donc un premier examen à ce moment-là. On voit clairement une détérioration de leur état physique avec le temps. Il peut se passer sept semaines sans que les personnes, pourtant signalées comme malades, ne voient un médecin via notre clinique.

Nos patients se retrouvent donc dans des situations très critiques. Certains développent par exemple des hépatites, et les cas de gale se multiplient.

MB : Nous avons vu un homme de 85 ans atteint d’Alzheimer. Au vu de son état, il n’est pas du tout suivi dans le centre et ne reçoit aucun soin.

NO : En ce qui concerne l’état mental des exilés, c’est tout aussi catastrophique. Les tentatives de suicide ont considérablement augmenté dans le camp. On voit un plus grand nombre de personnes en état de détresse, qui nous disent vouloir mourir.

Les exilés sont déjà fragiles en raison de leur passé et de leur parcours migratoire. Mais l’élément qui a le plus d’impact sur leur santé mentale est le processus lié à la demande d’asile.

Contacté à plusieurs reprises par InfoMigrants, le ministère des Migrations et de l’Asile n’a pas répondu à nos sollicitations.

IM : Les demandes d’asile sont-elles mieux traitées ?

MB : Ce qui a changé depuis Moria, c’est la procédure pour déposer l’asile. Le traitement de leur dossier va tellement vite que les exilés n’ont pas accès à un avocat ou à leurs droits fondamentaux.

Il n’y a plus aucun respect du droit d’asile. La majorité des demandeurs n’ont pas d’entretien sur les persécutions dans leur pays d’origine mais sur leur séjour en Turquie, pays par lequel ils sont arrivés. Les Afghans, les Somaliens, les Syriens, les Bangladais et les Pakistanais ne sont soumis qu’à un entretien d’admissibilité.

Résultat : beaucoup de demandeurs d’asile sont déboutés. En clair, on part du principe que leur demande d’asile est irrecevable en Grèce car la Turquie est considérée comme un pays sûr. Ils se retrouvent ainsi sans-papiers. Ils sont coincés dans les camps, et doivent attendre un an pour refaire une nouvelle demande.

NO : Les personnes déboutées n’ont plus de numéro de sécurité sociale et se retrouve sans accès aux services de santé. Leurs enfants ne sont pas vaccinés, donc c’est MSF qui s’en occupe.

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