Présidentielle en RD Congo : quelles sont les chances du prix Nobel de la paix Denis Mukwege ?

Surnommé « l’homme qui répare les femmes », le célèbre médecin congolais Denis Mukwege, prix Nobel de la paix 2018 pour son combat contre le fléau des violences sexuelles en République démocratique du Congo, a déposé mardi sa candidature à l’élection présidentielle.

Populaire auprès de la société civile mais sans parti structuré pour le soutenir, ce novice en politique peut-il créer la surprise en décembre prochain ? Eléments de réponse.

Au chevet du peuple congolais depuis plus de trois décennies, Denis Mukwege, célèbre dans le monde entier pour son combat contre les violences sexuelles en République démocratique du Congo, a officiellement déposé mardi 3 octobre sa candidature à l’élection présidentielle de décembre. De quoi soulever une vague d’espoir au sein de la société civile mais également des doutes sur les chances de ce prétendant atypique de l’emporter face aux ténors de la vie politique congolaise.

Lauréat du prix Sakharov en 2014 et du prix Nobel de la paix en 2018, le président-fondateur de la fondation Panzi – du nom de l’hôpital qu’il a fondé en 1999 à Bukavu dans l’est de la République démocratique du Congo pour soigner le corps meurtri des femmes violées –, Denis Mukwege jouit d’une aura incontestable dans son pays.

Réputé pour son courage et son intégrité, une rareté dans un pays miné par une corruption endémique, le militant des droits humains semble cocher toutes les cases du candidat idéal. Mais « l’homme qui répare les femmes » peut-il désormais réparer le pays tout entier ?

Au sein de la société civile, beaucoup veulent y croire. Sur le terrain, deux structures appuient sa démarche : un « Appel patriotique » et une plateforme politique, l’ACRN (Alliance des Congolais pour la refondation de la nation). Signe de la ferveur qui entoure sa candidature, Denis Mukwege a reçu le 16 septembre 100 000 dollars de la part de ses soutiens pour constituer la caution requise par la commission électorale.

« Dans un pays où 70 % de la population vit avec moins d’un dollar par jour, on voit là un signe d’engagement fort », assure à TV5 Monde le politologue Alphonse Maindo, professeur à l’université de Kisangani.

« Sans parler de ferveur populaire, on peut parler d’intérêt pour une candidature d’offre nouvelle », tempère l’analyste Christian Moleka, coordinateur national de la Dypol, la Dynamique des politologues de la République démocratique du Congo. « Tous les autres candidats ont été aux affaires par le passé et n’ont pas l’avantage de se présenter comme nouveaux.

Par ailleurs, la stature morale de Denis Mukwege dans un univers politique rempli de crocodiles lui permet d’incarner une forme de blancheur immaculée qui séduit et intéresse. »

« Cette expérience, je n’en veux pas »
Mais la tâche s’annonce colossale pour Denis Mukwege et son équipe. Sans parti ancré sur le territoire et sans aucune expérience politique, le gynécologue prête le flanc aux accusations d’amateurisme.

« Ici, l’expérience politique consiste à détourner les deniers publics et laisser la population dans la misère alors que notre pays est riche. Cette expérience, je n’en veux pas », cingle le médecin de 68 ans sur l’antenne de France 24, promettant « travail » et « discipline » pour restaurer la « dignité » du pays.

Au menu des priorités du candidat : la question de la « prédation » des ressources naturelles, dont les conditions d’extraction sont à l’origine de multiples violations des droits humains, et la lutte contre l’insécurité et les groupes armés dans l’est du pays.

Denis Mukwege a régulièrement reproché au gouvernement d’avoir fait appel à des armées d’Afrique de l’Est pour affronter la rébellion du M23 qui contrôle des pans entiers du Nord-Kivu, au risque de mettre en péril la souveraineté de la République démocratique du Congo.

À trois mois de l’élection, le prix Nobel de la paix aura également fort à faire pour espérer réunir une opposition morcelée face au favori du scrutin, le président sortant, Félix Tshisekedi.

Parmi les opposants en lice figurent notamment deux poids lourds de la vie politique congolaise : l’ancien gouverneur du Katanga (Sud-Est) et riche homme d’affaires Moïse Katumbi, et Martin Fayulu, candidat malheureux à l’élection de décembre 2018, qui a confirmé samedi sa candidature.

Le scrutin étant à un seul tour, cet éparpillement des candidatures augmente mécaniquement les chances de l’emporter pour Félix Tshisekedi, notent de nombreux observateurs de la vie politique congolaise en s’interrogeant sur les possibles alliances et regroupements qui pourraient s’opérer d’ici les élections.

« Félix Tshisekedi doit partir mais cette question n’est pas à l’ordre du jour. Aujourd’hui, on présente nos candidatures, on verra plus tard », affirme sur France 24 l’opposant Martin Fayulu, laissant la porte ouverte à un accord électoral.

« Dans un pays aussi vaste que la RDC, on ne gagne pas seul », note Christian Moleka. « Il faut des alliés régionaux. Or, l’ancrage partisan manque cruellement à Denis Mukwege. Sans coalition autour de lui, la séduction que génère sa candidature pourrait vite tourner à la désillusion. On verra également comment les autres acteurs vont gérer leurs égo », ajoute l’expert.

Un parcours semé d’embûches
Tandis que l’opposition avance en ordre dispersé, l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), le parti de Félix Tshisekedi, lui, est déjà prêt à enclencher le rouleau compresseur. Le président, au pouvoir depuis cinq ans, est actuellement en tournée dans le sud-est du pays, où il a lancé les travaux d’un pont à la frontière zambienne et devait inaugurer diverses infrastructures.

Le président sortant peut compter sur le soutien de plusieurs figures politiques emblématiques : Jean-Pierre Bemba et Vital Kamerhe, qui ont mis de côté leurs ambitions pour cette élection couplée à celle des députés nationaux et provinciaux ainsi qu’à celle des conseillers communaux.

Pour le docteur Mukwege s’ouvre un parcours semé d’embûches alors que le climat politique s’est considérablement tendu à l’approche de l’échéance : des manifestations de l’opposition ont été réprimées, des journalistes harcelés tandis que les violences dans l’Est continuent, rendant presque impossible la tenue d’une campagne.

Depuis plusieurs mois, le processus électoral est également vivement critiqué par des acteurs de la société civile, faisant planer un doute sur l’honnêteté du scrutin. En cause, le manque de fiabilité du fichier électoral et les compositions de la Commission électorale nationale indépendante (Céni) et de la Cour constitutionnelle, deux organes aux mains du pouvoir en place, dénonce l’opposition.

Dans ce contexte de défiance vis-à-vis du processus électoral et de la classe politique en général, les experts s’attendent à une forte abstention qui pourrait desservir la candidature de Denis Mukwege.

« Depuis 2006, le taux de participation ne fait que baisser. Il est très probable qu’avec ces problèmes logistiques, de cartes d’électeurs illisibles ou de personnes qui n’ont pas été enrôlés, nous ayons une faible participation. Par ailleurs, peu de réponses concrètes ont été apportées pour le moment sur les questions sécuritaires au Nord et au Sud-Kivu », indique Christian Moleka.

Mais il en faut plus pour décourager le prix Nobel de la paix. Malgré les risques de s’abîmer dans une course politique qui s’annonce aussi explosive qu’incertaine, Denis Mukwege affiche sa détermination.

« Le contexte est difficile » et « la fraude programmée de longue date », estime Denis Mukwege sur France 24, « mais il n’est pas question de laisser un boulevard à un pouvoir qui a échoué ».

france24

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