Après l’opération Barkhane au Mali, force Sabre au Burkina Faso, l’expulsion des forces françaises du Niger, qui doit s’achever à la fin de l’année 2023, sonne le glas de la présence militaire française au Sahel. Le redéploiement des 1 500 soldats français qui pourraient se diriger vers le Tchad risque de se heurter à l’hostilité des populations locales. D’autant plus que la Mauritanie et le Bénin ont déjà fait savoir leur opposition à tout déploiement français sur leur sol.
Le 27 septembre dernier, le chef d’État français, Emmanuel Macron, avait annoncé la fin de la coopération militaire entre la France et le Niger, sonnant ainsi le glas de la présence des quelque 1 500 soldats français déployés au Niger, dans le cadre de la lutte contre le djihadisme. Le président français a affirmé que ce retrait signait la fin de la “coopération militaire avec les autorités de fait du Niger, car elles ne veulent plus lutter contre le terrorisme’’. Côté nigérien, la junte a exprimé sa satisfaction pour le départ définitif des troupes françaises d’ici fin 2023.
Ce départ programmé des troupes françaises s’est fait sous la pression de la rue, avec la multiplication des rassemblements anti-français à Niamey, Ayorou et Ouallam depuis le coup d’État du 26 juillet 2023 contre Mouhamed Bazoum. La France, qui s’est montrée peu prudente dans ce dossier nigérien, en indiquant sa volonté de soutenir une action des forces de la CEDEAO contre la junte, s’est attiré l’hostilité d’une partie de la société civile nigérienne.
Des groupes d’activistes comme le M64 ont été en pointe pour les manifestations anti-françaises. Déjà, le blocage du convoi militaire de Barkhane en route pour Gao en fin novembre 2021, dans la région de Téra, avait entraîné la mort de trois civils nigériens. L’enquête de Paris et de Niamey, qui n’a jamais pu aboutir, avait poussé la population à attribuer ces tirs aux soldats français. La présence des troupes françaises après la fin de l’opération Barkhane avait été validée par un vote à l’Assemblée nationale nigérienne sous une forte hostilité de la société civile nigérienne.
Ainsi, la fin du déploiement des troupes françaises au Niger suscite des interrogations sur le sort des 1 500 soldats français. Pour la France, le retrait du Niger est un camouflet, un échec cinglant de sa politique de lutte antiterroriste au Sahel, avec comme point d’orgue la fin de Barkhane (novembre 2022) au Mali et départ de la force Sabre (février 2023) au Burkina Faso.
Il s’agira donc pour l’Élysée de trouver un nouveau point de chute ou de repli pour le contingent français présent au Niger.
Pour l’heure, la Mauritanie refuse d’accueillir les 1 500 militaires français expulsés du Niger. ‘’La Mauritanie ne me paraît pas, ni stratégiquement ni géographiquement, le meilleur pays pour accueillir des soldats dédiés à la lutte contre le terrorisme au Sahel’’, a déclaré le président mauritanien Mohamed Ould Ghazouani.
Le niet de la Mauritanie et du Bénin à la France
Cette volte-face de la Mauritanie, très proche de Paris et qui avait assuré le commandement de la force G5, ne veut pas se mettre à dos son allié algérien qui ne voit pas d’un bon œil la présence de troupes françaises près de sa frontière.
Par ailleurs, la Mauritanie n’exclut pas un rapprochement avec son voisin malien qui vient d’intégrer la Charte du Liptako-Gourma. Cette nouvelle entité qui doit regrouper les armées maliennes, burkinabé et nigériennes au sein de l’Alliance des États du Sahel (AES) a pour but de créer des systèmes de défense collective et d’assistance mutuelle en cas d’attaques.
Le Bénin avait déjà annoncé qu’il n’accueillerait pas une nouvelle base militaire française. Selon plusieurs spécialistes, la zone de repli naturelle des forces françaises demeure toujours le Tchad. Le pays reçoit déjà un important contingent français installé dans la capitale Ndjamena. Les Éléments français au Tchad (EFT), forts d’un millier d’hommes, sont présents sur deux bases principales : la base aérienne 172 à Ndjamena et la base Capitaine Croci à Abéché, dans l’est du Tchad.
À Faya, dans le nord du pays, est stationné un détachement d’une cinquantaine d’hommes. Un déploiement français qui s’est impliqué à plusieurs reprises par l’intermédiaire du renseignement et de soutien logistique au régime tchadien en lutte contre les rebelles des Forces pour l’alternance et la concorde au Tchad (Fact) et le Conseil de commandement militaire pour le salut de la République (CCMSR).
Ainsi, en 2019, l’aviation française avait annoncé une colonne de rebelles en provenance de la frontière libyenne. Selon plusieurs spécialistes, la dernière victoire des troupes tchadiennes lors de l’offensive des Fact, qui a coûté la vie à l’ancien président Idriss Déby, n’a pu se faire qu’avec le soutien du renseignement français.
L’armée française au cœur du bourbier tchadien
Les Fact et le CCMRS, qui avaient refusé de participer au dialogue national, ont fait du départ de la junte et le retour à un pouvoir civil une des conditions pour mettre fin à la lutte armée. Les groupes rebelles chassés du Nord libyen risquent de mettre rapidement sous pression les forces tchadiennes dans le nord du pays et déclencher une nouvelle offensive vers Ndjamena en conjuguant leurs forces.
Une perspective qui pourrait rallier d’autres mouvements politico-militaires déçus des conclusions du dialogue national inclusif en septembre 2022. Un dialogue qui aura permis à la junte de s’arroger une certaine légitimité, dans la mesure où le chef de la junte, Mahamat Idriss Déby, pourrait se présenter à la prochaine élection présidentielle en 2024.
En outre, des troubles ont été signalés le 6 septembre dernier dans la ville de Faya-Largeau, en raison de la mort d’un soldat tchadien tué par son homologue français dans la base des forces françaises, le 5 septembre. Plusieurs blessés par balles ont été signalés devant l’entrée de la base française et un couvre-feu a été instauré dans la ville. Le gouvernement a appelé au calme et a promis une enquête pour faire la lumière sur cet incident.
La forte répression contre les manifestations de l’opposition en octobre 2022 a montré un durcissement du régime qui réprime toute contestation.
Ainsi, la France qui a apporté son soutien au régime, risque de s’attirer les foudres d’une bonne partie de la classe politique et de la société civile tchadiennes. De ce fait, le principal opposant au régime, Succès Masra, chef du parti des Transformateurs, a dit son hostilité à la présence militaire française au Tchad. ‘’La France ne doit pas devenir un SDF en Afrique en déménageant d’un pays à un autre.
La seule demeure des forces françaises est en France. La France a enterré une partie de sa crédibilité auprès des Africains au Tchad par son attitude et son double langage au Tchad (NDLR : adoubement de Mahamat Idriss Déby après son coup d’État en 2021 et condamnation des coups d’État au Mali et au Burkina Faso)’’, affirme-t-il.
Paris doit aussi réarticuler une nouvelle fois son dispositif militaire au Sahel. La plus grande menace pour la France serait l’expansion des groupes djihadistes vers le Golfe de Guinée où des incidents réguliers sont signalés dans le nord du Togo et du Bénin, avec des incursions des troupes du Jama’at Nusrat al Islam wal Muslimeen (JNIM). La présence des troupes du Tchad ne permet pas aux forces françaises de pouvoir frapper les groupes djihadistes liés à l’État islamique au Sahel (EIS) et le JNIM lié à Al-Qaeda au cœur du Sahel.
Les bases au Sénégal et en Côte d’Ivoire pourraient, suivant cette nouvelle architecture, gagner en importance sur le plan opérationnel sans pourtant permettre d’avoir un impact sur la lutte contre les djihadistes qui opèrent dans la région des trois frontières du Niger, du Mali et du Burkina Faso. La perte de la base nigérienne notamment celle de Niamey avec ses drones (renseignements, frappes) pourrait être fatale à la stratégie française dans sa lutte contre le djihadisme au Sahel.
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