L’Assurance maladie va lancer une campagne de contrôle sur 130 sociétés d’audioprothèses en France pour vérifier leurs pratiques, alors que ce secteur en pleine explosion est marqué par des fraudes importantes.
« Nous engageons un plan d’action concernant 130 sociétés d’audioprothèses, qu’on va aller voir sur place, pour regarder leurs dossiers, et engager des sanctions administratives et pénales s’il le faut », a déclaré Thomas Fatôme, le directeur général de la Caisse d’assurance maladie, qui présentait jeudi un bilan d’étape des efforts anti-fraudes de l’Assurance maladie.
Dans les fraudes liées à l’audioprothèse, des centres d’audioprothèses facturent à l’Assurance maladie des prothèses qui n’ont jamais été posées, facturent des équipements coûteux alors qu’ils ont posé un équipement simple ou équipent des gens qui n’en ont pas besoin…
Le marché de l’audioprothèse a été dopé par l’introduction à partir de 2019 du 100% santé (offre permettant une prise en charge complète de lunettes de vue, prothèses dentaires ou aides auditives), qui a permis à de nombreuses personnes de s’équiper alors qu’elles ne le pouvaient pas auparavant. De 2019 à 2022, les installations de prothèses ont doublé, passant de 400.000 personnes équipées par an à 800.000.
Les remboursements de l’Assurance maladie ont, de leur côté, atteint 420 millions d’euros en 2022, contre 180 millions en 2019, a rappelé M. Fatôme. Mais ce décollage du marché s’est accompagné de l’arrivée d’acteurs peu scrupuleux, qui parfois exhibent même des faux diplômes, selon l’Assurance maladie.
Au total, au vu des premiers contrôles et procédures anti-fraude lancées, la fraude liée aux audioprothèses « pourrait représenter quelques dizaines de millions d’euros », selon les estimations de M. Fatôme. Pour cette estimation, l’Assurance maladie se base notamment sur les résultats d’une campagne récente de contrôles en Seine-Saint-Denis, dont les chiffres sont édifiants.
Cyber-enquêteurs infiltrés
Selon la directrice de la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) de Seine-Saint-Denis Aurélie Combas-Richard, « 17% des factures qui arrivent actuellement sont frauduleuses ». La campagne de contrôle approfondis lancée par cette Caisse a permis d’éviter « 3,7 millions d’euros » de remboursements indus depuis janvier, a-t-elle indiqué.
Au total, 14 plaintes ont été déposées au pénal par la CPAM de Seine-Saint-Denis, a précisé Mme Combas-Richard. Deux sociétés aux pratiques frauduleuses ont été assignées en liquidation judiciaire, pour avoir touché 2,3 millions d’euros de manière indue.
L’une d’elle « a essayé de transférer des fonds à l’étranger », mais le transfert a été bloqué grâce à une action conjointe avec la police, a-t-elle également indiqué. Selon les chiffres de l’Assurance maladie , il existe aujourd’hui 6.700 sociétés installant des audioprothèses en France, alors qu’il y en avait 1.500 en 2020.
Un bilan global « à mi-année »
En dressant jeudi ce bilan global « à mi-année » de la lutte contre la fraude, elle estime être parvenue à détecter et stopper 150 millions d’euros de fraude au premier semestre et s’estime en bonne voie pour atteindre l’objectif de 380 millions au total en 2023, contre 315,9 millions en 2022.
Les deux tiers de ces fraudes stoppées au premier semestre portent sur des soins de ville, essentiellement sous la forme d’actes fictifs et de surfacturation par les professionnels de santé. Des chiffres à comparer aux dépenses totales de l’Assurance maladie, de l’ordre de 200 milliards d’euros par an.
L’Assurance maladie est en train de renforcer ses effectifs anti-fraudes, avec 300 embauches prévues pour arriver à un objectif total de 1.800 spécialistes en 2027, a-t-elle par ailleurs indiqué.
Elle a notamment prévu d’embaucher 60 cyber-enquêteurs. Ces limiers auront le droit de faire des enquêtes sous pseudonyme, pour infiltrer les forums et messageries où s’échangent les bons tuyaux de fraude, ainsi que les fausses ordonnances et les faux arrêts maladie.
AFP