D’un gros trait bleu, la vétérinaire Cleopatra Gkika dessine une croix sur la carapace d’une tortue qu’elle vient d’examiner scrupuleusement.
Cette tortue, comme des dizaines d’autres brûlées ou blessées dans les feux, va être relâchée dans son habitat naturel après plusieurs semaines de soins dans un refuge pour animaux sauvages à Kalyvia Thorikou, à 60 km au sud-est d’Athènes.
Derrière la jeune bénévole qui ausculte d’autres tortues encore en convalescence, les flancs de la colline sont piqués d’arbres noirs et faméliques, de troncs calcinés.
En juillet, cette partie de l’Attique, la région qui entoure la capitale grecque, a été dévorée par les flammes.
En août, c’est le Mont Parnès, au nord d’Athènes, qui a brûlé ainsi que le parc naturel de Dadia dans l’Evros, une zone protégée par le réseau européen de Natura 2000.
Dans cette seule région frontalière de la Turquie, plus de 93.000 hectares ont été détruits durant cet été de calamités en cascade puisque la Grèce a également subi des inondations dévastatrices.
– Bout de charbon –
Alors que les flammes engloutissaient végétation et arbres près de la capitale, des bénévoles de l’ONG « Save your hood » sont allés porter secours à des tortues, des serpents, des chats et d’autres animaux coincés dans la fournaise.
« L’intensité des incendies était telle qu’il ne restait plus rien. Les arbustes ont été réduits à un bout de charbon. En voyant ça, on se dit que les animaux ne peuvent pas résister », soupire Céline Sissler-Bienvenu, en charge du programme secours d’urgence lors de catastrophes en Europe au sein de l’ONG Fonds international pour la Protection des animaux (IFAW).
Et ce d’autant plus que la lenteur des tortues restreint leur capacité de fuite.
Au total, autour d’Athènes et sur l’île proche d’Eubée, 400 tortues ont été acheminées vers le centre de secours et de premiers soins pour les animaux sauvages de l’ONG grecque Anima et dans un zoo proche d’Athènes.
Là des vétérinaires et soigneurs ont pris en charge les animaux blessés.
– carapaces brûlées –
« Certaines tortues avaient des brûlures aux pattes ou sur leur carapace, d’autres avaient des difficultés respiratoires à cause des fumées toxiques inhalées », souligne Vassilis Sfakianopoulos, le fondateur de « Save your hood ».
La vétérinaire Cleopatra Gkika applique une crème antiseptique sur la patte blessée d’une tortue
Toutes ont dû être plongées dans des bassines d’eau pour être réhydratées et les plus alertes ont été placées dans un enclos du refuge de Kalyvia Thorikou.
Depuis, elles font l’objet d’une surveillance minutieuse et régulière.
« Quand il n’y a pas de blessure apparente, l’examen (vétérinaire) se fait en sentant les tortues pour détecter si elles ont une infection interne », explique Cleopatra Gkika, tout en badigeonnant de crème la patte d’un animal.
La guérison de cette dernière est en bonne voie : la peau a mué à l’endroit où elle avait été brûlée.
La vétérinaire Cleopatra Gkika examine une tortue à la recherche d’une potentielle blessure, le 29 septembre 2023 à Kalyvia Thorikou, en Grèce (AFP – Spyros BAKALIS)
Bientôt le reptile pourra être relâché dans son habitat naturel comme une centaine d’autres au total ont pu l’être en septembre. Et peu importe s’il ne reste plus grand chose de leur environnement d’origine emporté par le brasier.
« Les tortues vont ralentir leur métabolisme, elles peuvent rester sans manger plusieurs semaines », assure Mme Sissler-Bienvenu. « Et aux premières pluies, elles vont sortir pour aller manger des brindilles » avant leur hibernation.
L’objectif des soigneurs est de leur faire « quitter la captivité le plus rapidement possible », poursuit l’experte. « Car c’est un stress supplémentaire pour ces animaux qui sont sauvages et pas sociaux du tout de les mettre tous ensemble dans un enclos ».
Les tortues sont également très attachées à leur lieu de vie, en connaissent tous les recoins, cachettes et points d’eau. Si elles en sont délogées, elles peuvent par réaction cesser de s’alimenter par exemple.
Devant le désarroi de certaines tortues, une rage sourde ronge Vassilis Sfakianopoulos.
« Je trouve cela extrêmement injuste que personne en Grèce ne s’occupe de la vie sauvage depuis la crise financière » qui a frappé le pays et mis de nombreux Grecs à genou, lâche cet ingénieur de formation de 38 ans.
Dans ces « incendies catastrophiques » qui provoquent des milliers d’évacuations d’habitants et des dégâts considérables, « les animaux sauvages sont très largement oubliés », juge aussi Mme Bienvenu-Sissler.
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