Les élus des Républicains ne s’en cachent plus : le jeune patron du RN séduit dans les rangs à droite, à huit mois des européennes.
« Il fait des ravages chez nos élus et chez nos militants… » confesse un sénateur des Républicains. « Lors de la réunion des chefs de parti autour d’Emmanuel Macron à Saint-Denis fin août, c’était le meilleur autour de la table », concède un autre dirigeant LR, sous le couvert de l’anonymat.
À 28 ans seulement, Jordan Bardella donne des sueurs froides à la droite républicaine, qui s’inquiète de son pouvoir d’attraction sur ses électeurs à huit mois des élections européennes et à trois ans et demi de la prochaine présidentielle.
Signe qui ne trompe pas : dans un sondage Ifop de septembre pour Paris Match et Sud Radio, le jeune patron du Rassemblement national récoltait 39 % de bonnes opinions auprès des Français interrogés, devant le président de LR Éric Ciotti (32 %) et à égalité avec Laurent Wauquiez.
Plus inquiétant encore pour LR, Bardella recueillait l’approbation de 64 % des sympathisants de droite (LR et RN inclus), soit plus que Marine Le Pen (51 %) et autant que le président de la région Auvergne Rhône-Alpes, candidat putatif des Républicains pour la prochaine course à l’Élysée.
Bardella, c’est le produit le plus achevé de la « stratégie de la cravate », la façade propre et avenante du RN, celle qui plaît à la droite. Les eurodéputés LR qui le croisent dans les couloirs du Parlement européen avouent volontiers le trouver « sympathique et agréable ». « Je suis souvent d’accord avec ce qu’il dit », avoue un cadre LR.
Il faut dire que le jeune homme n’hésite pas à reprendre à son compte les thèmes fétiches de la droite républicaine sur les taxes, le mérite ou le travail et se montrer plus nuancé que Marine Le Pen sur les retraites. Il n’est, du reste, pas anodin qu’il ait déclaré sa candidature aux européennes dans les colonnes du Figaro.
Jacques Chirac jeune
Jordan Bardella ne s’en cache pas, il veut s’adresser aux électeurs de droite, à cette « France qui se lève tôt », à celle qui ne croit plus aux chances de LR et est tétanisée par la figure de Jean-Luc Mélenchon. Bref, sortir du strict « bloc populaire », de la « France des oubliés » et des Gilets jaunes que choie Marine Le Pen. Sa grande ambition ? Rebâtir un jour l’UMP fondée par Jacques Chirac en 2002, en réalisant le fantasme de « l’union des droites ».
Il est d’ailleurs permis de se demander s’il ne cultive pas sciemment une ressemblance physique troublante avec le Jacques Chirac jeune des années 1980 avec ses costumes cintrés toujours bien repassés, sa taille haute et ses cheveux peignés en arrière. Hasard du calendrier, Jordan Bardella est né en 1995, année de l’entrée à l’Élysée de l’ancien président.
À ceci près qu’il est tout sauf un radical-socialiste. Jordan Bardella, c’est la ligne identitaire dure du RN sur les questions de sécurité et d’immigration. Il est d’ailleurs réputé proche de figures controversées comme Frédéric Chatillon, ancien du GUD.
Emmanuel Macron lui-même suit son parcours de près et l’a appelé avant la réunion de Saint-Denis. Le chef de l’État laisse volontiers dire qu’il lui trouve du talent, avec l’arrière-pensée évidente de handicaper les Républicains.
Le ministre de l’Éducation nationale Gabriel Attal, qui a comme lui de hautes ambitions, surveille du coin de l’œil celui qu’il pourrait un jour, qui sait, affronter. Les deux jeunes fauves parfois se croisent. Ils se toisent, se reniflent.
Il peut très bien attendre la présidentielle de 2032. Il est jeune, c’est un luxe énorme.
Le « cyborg »
Marine Le Pen a bien compris l’avantage qu’elle pouvait tirer de la popularité de son poulain et de leur complémentarité. À elle la prise de hauteur et la parole rare, à lui les punchlines et les interventions musclées. Elle a déjà fait savoir que, si elle était élue en 2027, elle le choisirait comme Premier ministre. « C’était une erreur, nuance un cadre RN.
Ça donne l’impression que l’on se répartit les postes trois ans avant. » Sans compter le risque de donner le sentiment que le RN manque cruellement de banc de touche. « Avec qui Marine Le Pen gouvernerait-elle si elle était élue ? Elle n’a personne, c’est le vrai sujet ! » tranche un ancien ministre de l’ère Sarkozy.
Dans les couloirs du RN, le jeune président, qui a gravi les échelons à vitesse éclair sous la protection de Marine Le Pen malgré des déconvenues électorales, ne compte pas que des amis. D’aucuns s’agacent qu’il veuille tout régenter du sol au plafond. « Il prépare tout comme une machine, il est intelligent, il apprend vite, mais il lui manque quelque chose. On dirait un cyborg ! » s’agace un cadre, qui le juge trop « control freak ».
Trop vite, trop haut ? Jordan Bardella va devoir d’abord passer l’épreuve des européennes de juin, pour lesquelles il se montre très confiant. « Nous, quand on se présente à une élection, c’est pour arriver premier », déclarait-il ce mardi sur France Télévisions. Or, il va devoir affronter cette fois la liste concurrente tirée par Marion Maréchal sous l’étiquette Reconquête !.
Le danger : s’il n’atteint pas la première place comme en 2019, quand sa liste avait récolté 23 %, ce sera nécessairement interprété comme un échec personnel. D’autant que Marine Le Pen lui a laissé carte blanche pour constituer sa liste.
La guerre avec Marine Le Pen est inéluctable
Reste que sa candidature a de quoi tracasser la droite, qui n’a toujours pas investi sa tête de liste François-Xavier Bellamy. « Il peut y avoir un effet domino. Bardella peut siphonner Maréchal au nom du vote utile et Maréchal peut siphonner les électeurs de la droite de LR qui aiment son côté catho », met en garde un bon connaisseur de la droite.
Le chef du RN prend d’ailleurs un malin plaisir à taquiner les élus de droite. Lorsqu’il a eu vent du fait que Vincent Jeanbrun, porte-parole de LR et maire martyr de L’Haÿ-les-Roses durant les émeutes, avait été pressenti sur la liste LR pour les européennes, il s’en est ouvert à des responsables du parti : « Si vous en êtes à aller chercher des victimes de faits divers, vous êtes tombés bien bas. Vous allez finir à 2,99 %… »
À huit mois du scrutin, le jeune homme, méthodique, a levé les hypothèques qui pouvaient peser sur sa campagne, à commencer par le prêt russe du RN, soldé. Et a pris ses distances avec Moscou en faisant applaudir Volodymyr Zelensky lors de sa venue au Parlement européen, contre l’avis de son propre groupe.
Jusqu’où ira celui qui, longtemps qualifié de « marionnette » de Marine Le Pen, a acheté son indépendance ? Les Cassandre mettent l’ex-patronne du RN en garde contre ses velléités. Des mises en garde entendues ? Il est frappant que Marine Le Pen ait ressenti le besoin de préciser qu’elle était la « candidate naturelle » de son camp, comme si cela n’allait pas de soi.
« La guerre est inéluctable. Elle commencera le jour où un sondage pour la présidentielle dira que Marine est battue et lui élu », pronostique un cadre du parti. Bardella répète qu’il sait « ce qu’il lui doit ». Il a, de fait, le temps pour lui. « Il peut très bien attendre la présidentielle de 2032.
Il est jeune, c’est un luxe énorme », constate un stratège LR. Il compte aussi un autre atout dans son jeu. Dans l’affaire des assistants parlementaires européens du FN, dans laquelle le parquet de Paris a requis un procès, lui n’est pas inquiété. Marine Le Pen, elle, encourt dix ans d’inéligibilité.
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