Albert II de Monaco : « On ne peut pas accepter l’exploitation minière de l’océan »

Sciences et Avenir : Votre trisaïeul Albert Ier a mené des missions océanographiques ; aujourd’hui, notamment avec Tara, vous vous engagez sur des missions climatiques : c’est une sorte de continuité familiale ?

S.A.S. le Prince Albert II de Monaco : Bien sûr. Tout ce qu’a fait mon trisaïeul reste un modèle et une inspiration extraordinaire.

Cela l’a été pour mon père [le Prince Rainier III]. Il a beaucoup œuvré pour la protection de la Méditerranée avec différentes initiatives : pour les mammifères marins avec Pélagos [sanctuaire de 87.500 km2 sur les territoires de l’Italie, de la France et de Monaco pour protéger les mammifères marins en Méditerranée] et l’accord Accobams [Accord sur la Conservation des Cétacés de la Mer Noire, de la Méditerranée et de la zone Atlantique adjacente], pour la protection du littoral grâce à l’accord Ramoge [signé en 1976 contre la pollution maritime] entre la France, l’Italie et la Principauté.

Toutes ces premières actions liées à une meilleure connaissance et à une meilleure protection des mers, nous les lui devons.

« Mon trisaïeul pensait déjà à la problématique de la surpêche »
Mon action s’inscrit dans cette continuité. Ce que j’ai pu faire depuis avec ma fondation, mais aussi avec d’autres entités de la Principauté, notamment avec le musée dont je suis le président d’honneur, c’est de répondre aussi à des urgences.

Il y a de vraies questions liées au changement climatique et à ses conséquences pour l’océan : son acidification, la perte de biodiversité, les zones mortes, les pollutions, la surpêche, tous les grands maux qui affectent notre océan. Il fallait répondre à ces urgences en mettant tous les acteurs de la science en réseau. Les rassembler, les faire se concerter : ce n’est que comme cela que l’on va pouvoir avancer.

Revenons à votre trisaïeul, Albert Ier : lequel de ces travaux scientifiques va a le plus inspiré ?

Je peux en citer plusieurs. Bien sûr, il y a les travaux sur l’anaphylaxie dont il est à l’origine avec les scientifiques ayant participé à ses campagnes [en 1901, le Prince Albert Ier emmena Charles Richet et Paul Portier sur une expédition qui les conduira à étudier les réactions allergiques au contact du poison des physalies, et qui offriront à Charles Portier le Nobel de médecine en 1913].

Mais je retiendrai avant tout que dans différents courriers et récits, il s’inquiétait dès le début du XXe siècle des modes de pêche qui n’étaient pas durables. Notamment aux Açores où il décrit des journées durant lesquelles il voyait une pêche quasi-industrielle. Il pensait déjà à la problématique liée à la surpêche. On était en 1903-1904 et ce problème n’a toujours pas été résolu. Il était donc vraiment un précurseur et un visionnaire assez extraordinaire.

C’est donc dans sa continuité que vous vous êtes exprimé dans votre discours à Grand Océan le 29 septembre 2023 contre les exploitations minières de l’océan ?

Oui, mais je ne suis pas seul à prendre cette position, et j’espère que ceux qui l’ont adoptée sortiront victorieux de ce combat. C’est totalement irresponsable que d’envisager soutirer des ressources minières alors qu’il n’y a pas assez de données scientifiques sur ces milieux marins extrêmes, de conduire des exploitations sans avoir étudié leur impact. On ne peut pas accepter ça.

« L’Antarctique doit être un espace de science et de paix »

Vous soutenez depuis le début la mission Tara Arctic, ce projet de dérive dans la banquise arctique de la fondation Tara. Comment comptez-vous y participer ?

D’abord, être un aventurier au XXI siècle, c’est aussi accompagner une expédition scientifique qui est forcément une aventure. C’est extraordinaire de pouvoir accompagner ce projet pour faire avancer la science. Mais c’est aussi une aventure humaine extraordinaire, avec cette part de rêve et d’imprévu.

Il faut créer un rêve autour de cette nouvelle forme d’exploration. Romain Troublé [directeur général de la fondation Tara Océan] m’a invité à bord et à plonger : il faut que je prenne une combinaison qui soit assez épaisse, mais pourquoi pas ? (sourire)

Je serai très heureux de le faire, peut-être pas pendant les longues nuits polaires mais pendant l’été arctique. J’aimerais bien si cela n’a pas trop d’impact sur la logistique à bord. En tout cas, je n’aurai pas de rôle particulier à bord.

Pensez-vous que les États arriveront un jour à se mettre d’accord pour protéger les océans et l’Arctique en particulier ?

Parvenir à un accord sur la haute mer a nécessité près de deux décennies de négociation [les Etats membres de l’ONU ont adopté le 19 juin le premier traité international pour protéger la haute mer, avec un objectif de 30% d’aires marines protégées d’ici à 2030].

Si nous sommes arrivés à faire cela, nous arriverons à protéger d’autres grands espaces. Même si, comme l’a souligné Olivier Poivre d’Arvor [ambassadeur français des pôles depuis 2020] lors de sa conférence [le 29 septembre à Cherbourg lors du festival Grand Océan] ce sera plus difficile notamment sur l’Antarctique où les appétits de grandes nations commencent malheureusement à poindre leur nez.

Il faut s’assurer que la protection de l’Antarctique soit assurée à long terme comme un espace de science et de paix et qu’il n’y a pas d’autre d’autres velléités d’exploitation de minerais.

Et il faut se préserver aussi – n’ayons pas peur des mots – des idées d’une présence militaire. C’est un travail de diplomatie, de concertation, mais de volonté aussi avec, bien sûr, l’appui des scientifiques. Sans oublier que l’Arctique aussi est un objet de convoitise. Il faut s’assurer avec le conseil de l’Arctique que l’on puisse avoir toujours une bonne gouvernance pour protéger ces deux espaces que sont les deux pôles.

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