La Joconde de Léonard de Vinci : un composé insoupçonné dévoilé grâce aux rayons X

Grâce au synchrotron de Grenoble, des chercheurs ont pu analyser de manière extrêmement précise un fragment de la couche préparatoire de peinture ayant servi à réaliser La Joconde. Mesurant quelques dizaines de micromètres seulement, l’échantillon a permis de reconstituer certaines pratiques d’atelier de Léonard de Vinci. Et montre à quel point le maître expérimentait toutes sortes de techniques pour réaliser ses chefs-d’œuvre.

Le polymathe Léonard de Vinci n’était pas seulement un peintre, sculpteur, inventeur, architecte ou anatomiste de génie. « Il était aussi chimiste expérimentateur », souligne un communiqué du CNRS. Le plus célèbre de ses tableaux, chef-d’œuvre archétypal de la Renaissance italienne exposé au Musée du Louvre, a pu être analysé en effet avec des techniques de pointe au synchrotron de Grenoble (ESRF).

Elles montrent que la sous-couche de peinture contient notamment de la plumbonacrite, composé cristallin rare et instable constitué de plomb, de carbone, d’oxygène et d’hydrogène, qui n’était pas attendu dans cette couche de préparation. Or la présence de cette phase suggère que Léonard de Vinci a utilisé un mélange singulier d’huile au plomb, « très différent en composition de ceux habituellement observés dans les peintures à l’huile de cette époque », précise le communiqué.

Portrait de Monna Lisa, dite La Joconde, par Leonardo di ser Piero da Vinci dit Léonard de Vinci.  Crédit : Musée du Louvre

                                            Le portrait de Monna Lisa, dite La Joconde, est le plus célèbre du monde. 

« Dans les tableaux de Léonard de Vinci, aucune couche préparatoire n’est identique »

On ne retrouve pas de plombonacrite dans d’autres peintures du maître comme La Belle Ferronnière, où la sous-couche contient un pigment orange dénommé minium, forme minérale d’oxyde de plomb (tétroxyde de plomb). Ou encore dans Saint-Anne, la Vierge et l’Enfant Jésus, où la couche préparatoire est composée en particulier de sulfate de calcium.

« Dans les tableaux de Léonard de Vinci, aucune couche préparatoire n’est identique. Il a expérimenté ainsi de nombreuses techniques différentes », relève Victor Gonzalez, chimiste au CNRS et au Laboratoire de photophysique et photochimie supramoléculaires et macromoléculaires de l’université Paris-Saclay, premier auteur de l’étude publiée le 11 octobre 2023 dans la revue scientifique JACS.  

Une première étape importante

Les couches préparatoires sont celles qui sont étalées directement sur les supports servant aux peintures – un panneau en bois de peuplier pour ce qui concerne La Joconde. Elles permettent d’obtenir des surfaces blanches, lisses et homogènes sur lesquelles sont appliquées ensuite les couleurs. Si ces sous-couches ne sont pas visibles, elles constituent toutefois une première étape importante.

« Elles participent aussi au rendu optique d’un tableau, et pourraient aussi jouer un rôle dans les propriétés de séchage des couches de peintures surjacentes », précise Victor Gonzalez. L’ingrédient phare, pour réaliser ces couches, a été longtemps le blanc de plomb (un mélange de carbonates de plomb) : depuis l’Antiquité jusqu’au début du 20e siècle, moment où il a été proscrit en raison de sa toxicité. 

Des manuscrits ambigus

Avec ses collègues du Centre de recherche et de restauration des Musées de France (C2RMF), de l’Institut de recherche de chimie Paris et de l’ESRF, Victor Gonzalez voulait savoir si Léonard de Vinci avait eu recours, lui aussi, à ce pigment blanc pour réaliser La Joconde. Et, le cas échant, de quel type de blanc de plomb il pourrait s’agir.

Car les manuscrits de l’artiste ne présentaient que des informations ambigües. Seules des analyses très poussées, avec les faisceaux de rayons X produits par un synchrotron, pourraient permettre de trancher.

Un minuscule échantillon invisible à l’œil nu

L’équipe a pu exploiter un échantillon des couches préparatoires de La Joconde. Prélevé en 2007 par le Centre de recherche et de restauration des Musées de France (C2RMF), il ne mesure qu’une centaine de micromètres (millionième de mètre) – imperceptible par conséquent à l’œil nu.

Ce minuscule fragment n’a pas été récupéré au milieu du tableau mais sous le cadre et au niveau de la « barbe », agglomérat de matière picturale qui se constitue sur les bords d’un panneau en bois. Des analyses en microscopie optique et électronique avaient été effectuées dans un premier temps par le C2RMF à Paris.

Et pour celles réalisées plus récemment avec le synchrotron de Grenoble, une fraction encore plus petite, de quelques dizaines de micromètres seulement, a permis d’identifier ses plus infimes constituants.

Conditions chimiques très particulières

Résultats : Léonard de Vinci a bien utilisé du blanc de plomb, où des traces de plumbonacrite (13% en masse) ont donc été aussi retrouvées. « Ce minéral ne faisait pas partie des ingrédients de base, précise Victor Gonzalez. Il s’agit d’un sous-produit qui n’était pas présent au moment où La Joconde a été peinte et qui est apparu suite à des transformations chimiques. » 

La plumbonacrite ne se forme toutefois que dans des conditions chimiques très particulières : un milieu où le pH (potentiel hydrogène) est très élevé, basique. Grâce à cette information, les chercheurs ont pu reconstituer ainsi une recette possible de la couche de préparation : une huile alcaline cuite avec de la litharge de couleur rouge orangé (autrement dit du monoxyde de plomb). 

Structure de la plumbonacrite Crédit : V. Conzalez et al., JACS

                                                              Structure et formule chimique de la plumbonacrite. 

Une aide pour la conservation et la restauration

Cette huile devait être beaucoup plus pâteuse qu’une huile non traitée. Elle devait présenter une viscosité semblable au miel. Et permettre, une fois mélangée à un pigment, d’étaler une couche épaisse et bien uniforme sur le panneau de bois. Elle devait posséder, enfin, de très bonnes propriétés siccatives (liées au séchage). « Quand Léonard de Vinci s’est lancé dans La Joconde, il commença donc par appliquer cette sous-couche de peinture blanche.

On peut imaginer qu’il voulait se mettre rapidement à l’ouvrage grâce à cette huile au plomb qui séchait vite », avance Victor Gonzalez. Les résultats que son équipe a obtenus permettront « de mieux comprendre les techniques et matériaux utilisées par Léonard de Vinci », se réjouit le chercheur.

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