Après le traumatisme de l’attaque du Hamas, le début de la fin pour Benjamin Netanyahu ?

Déjà fragilisé par une impopulaire réforme judiciaire, Benjamin Netanyahu, à la tête depuis mercredi d’un « gouvernement d’urgence », est directement mis en en cause dans l’attaque meurtrière du Hamas. Ses détracteurs lui reprochent d’avoir ignoré la menace terroriste et renforcé le mouvement contrôlant la bande de Gaza au détriment de l’Autorité palestinienne. Après avoir dominé la vie politique pendant deux décennies, le roi « Bibi » pourrait payer le prix politique de ce colossal échec.   

Après l’attaque choc menée samedi 7 octobre par le Hamas qui a fait plus de 1 200 morts, une nouvelle ère politique s’ouvre en Israël où certains évoquent un traumatisme national comparable à celui qui avait été ressenti aux États-Unis après les attentats du 11-Septembre.

Venus de la bande de Gaza voisine, des combattants palestiniens ont semé la terreur et la mort pendant plusieurs heures dans le sud de l’État hébreu, massacrant sans distinction hommes, femmes, enfants, personnes âgées, et kidnappant plusieurs dizaines de personnes. Côté palestinien, les représailles israéliennes ont déjà fait plus de 1 350 morts dans la bande de Gaza, où le Hamas est au pouvoir depuis 2007. Un lourd bilan humain qui semble voué à augmenter.

Au choc et à la terreur suscités par l’attentat de samedi s’ajoutent en Israël une « colère palpable », explique Clive Jones, professeur de sécurité régionale à l’université de Durham. Si la plus grande partie de la fureur est dirigée contre le Hamas, « il y a également une colère bouillonnante contre ce gouvernement – dirigé par Benjamin Netanyahu – qui a échoué sur la question de la sécurité ».

« Certains commentaires, même dans des journaux centristes ou de droite, affirment qu’il s’agit certainement du pire gouvernement qu’Israël ait eu et qu’il a porté atteinte à la sécurité nationale », ajoute l’expert.

Le pays divisé comme jamais

Benjamin Netanyahu a toujours été une figure clivante de la vie politique israélienne, en particulier depuis son retour au pouvoir en 2022. Mis en cause dans des affaires de corruption, il est soupçonné par certains observateurs d’avoir voulu redevenir Premier ministre afin d’échapper aux poursuites et mettre au pas le système judiciaire de son pays.

À la tête du gouvernement le plus à droite de l’histoire d’Israël, Benjamin Netanyahu cherche à imposer, avec l’aide de ses alliés religieux et suprémacistes juifs, une impopulaire réforme de la justice visant à soumettre la Cour suprême à l’autorité du Parlement.

Pendant plus de neuf mois, de gigantesques manifestations hebdomadaires ont fait descendre dans les rues des dizaines de milliers de personnes inquiètes pour les fondements de l’État de droit et de la démocratie israélienne. Parmi les protestataires, des milliers de réservistes ont menacé de ne plus servir dans l’armée si la réforme était adoptée, soulevant des inquiétudes sur les capacités militaires de l’État hébreu en cas d’attaque de grande envergure.

Sous le mandat de Benjamin Netanyahu, « le pays est profondément divisé, comme il ne l’a jamais été dans son histoire depuis la fondation de l’État en 1948 », analyse Clive Jones.

À l’exception d’une vidéo préenregistrée diffusée sur X (ex-Twitter) annonçant que le pays était désormais en guerre, le Premier ministre a semblé vouloir faire profil bas au lendemain de l’attaque du Hamas.

Un service minimum en matière de communication de la part de la coalition au pouvoir qui a interpellé la journaliste indépendante Noga Tarnopolsky interrogée par France 24.

« Les Israéliens n’ont pas encore vu un seul de leurs dirigeants se tenir devant les caméras et s’adresser à eux en direct », indiquait la journaliste samedi après-midi depuis Jérusalem. « Nous assistons à un manque surprenant, historique et presque incompréhensible de leadership. »

Depuis, « Monsieur Sécurité » a multiplié les déclarations martiales promettant du sang et des larmes au camp adverse. « Tout membre du Hamas est un homme mort », a notamment lancé mercredi le Premier ministre israélien lors d’une allocution solennelle du gouvernement d’urgence, formé un peu plus tôt avec Benny Gantz, un des principaux chefs de l’opposition.

« Carte blanche » aux colons

Six jours après l’attaque du Hamas, de nombreuses questions restent en suspens autour de la faillite des services de renseignement israéliens. En revanche, la lenteur de la réponse militaire est directement imputée à Benjamin Netanyahu et à sa coalition.

Prêt à tout pour revenir au pouvoir, Benjamin Netanyahu s’est appuyé pour sa réélection sur certaines des personnalités les plus controversées du paysage politique israélien, comme l’ultranationaliste Bezalel Smotrich ou encore Itamar Ben Gvir, un autre partisan radical de l’extension des colonies juives en Cisjordanie, qui a hérité du poste clé de ministre de la Sécurité nationale.

« Nombreux sont ceux qui affirment que les colons bénéficiaient d’un grand soutien au sein du cabinet et qu’ils avaient presque carte blanche pour faire ce qu’ils voulaient en Cisjordanie », affirme Clive Jones.

Les projets de construction de milliers de nouveaux logements ont provoqué une flambée de violence en Cisjordanie, qui a nécessité des renforts militaires de la bande de Gaza pour protéger les colons. « L’attention a été détournée pour gérer les situations en Cisjordanie causées par les programmes expansionnistes des colons », confirme Melanie Garson, professeure associée en sécurité internationale à l’University College de Londres.

Dans le même temps, l’armée israélienne « a mis en garde contre une attaque sur plusieurs fronts qui s’en prendrait à la population civile, et le gouvernement israélien a ignoré l’armée », déplore Noga Tarnopolsky.

Lundi, un haut responsable égyptien a déclaré que ses services de renseignement avaient également averti Israël que le Hamas préparait une opération de grande envergure, et que le ministre égyptien des Renseignements avait envoyé un message direct à Benjamin Netanyahu. Des avertissements que le Premier ministre a « ignorés ».

De son côté, Benjamin Netanyahu nie avoir été prévenu par Le Caire. « Aucun message préalable n’est arrivé d’Égypte et le Premier ministre n’a ni parlé, ni rencontré le chef des renseignements égyptiens depuis la formation du gouvernement (en novembre 2022, NDLR), ni directement, ni indirectement. Il s’agit totalement d’une fake news », indique son cabinet.

Contrat rompu sur la sécurité

Malgré la colère et l’incompréhension de l’opinion publique, l’heure n’est toutefois pas encore au règlement de comptes en Israël, où prévaut une forme d’union nationale après l’horreur de l’attaque du Hamas.

« Les gens et le gouvernement sont galvanisés derrière lui, et cela va créer une forte unité parce qu’on ne peut pas mener une guerre intérieure quand on doit en mener une extérieure », juge Melanie Garson.

Mercredi, Benjamin Netanyahu, en plus de la mise en place d’un gouvernement d’urgence, a annoncé la formation d’un cabinet de guerre visant à réintégrer dans des rôles clés des dirigeants politiques modérés ayant une expertise avérée en matière de sécurité.

Cependant, cette unité de circonstance a peu de chances de durer au-delà de la guerre sans merci déclenchée contre le Hamas, et les échecs colossaux de Benjamin Netanyahu ne seront pas facilement oubliés, assure Melanie Garson. « Il sera très difficile pour Benjamin Netanyahu d’échapper aux critiques pour ne pas avoir mis en place les mécanismes adéquats destinés à protéger les personnes qui vivent à la frontière avec Gaza. »

« L’offre politique de Netanyahu reposait sur la seule chose essentielle aux yeux de la plupart des Israéliens : la sécurité. Sur ce point, il a clairement échoué », ajoute Clive Jones.

L’attaque sidérante du Hamas devrait également donner lieu à des enquêtes officielles susceptibles de révéler des manquements en matière de sécurité, de stratégie et de leadership, qui pourraient rendre intenable la position de Benjamin Netanyahu. « Je serais surpris qu’il soit encore en poste dans un an », prédit Clive Jones. Après son départ, conclut-il, « je ne pense pas que le pays ressentira un vide […] car c’est une ère entièrement nouvelle qui va émerger ».

france24

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