Près de trois semaines plus tard, la Cédéao n’a toujours pas réagi à l’annonce le 25 septembre de la prolongation de transition au Mali. Alors que l’organisation ouest-africaine avait âprement négocié le calendrier électoral de la transition pour imposer une durée « raisonnable » à la période de transition, comment comprendre, aujourd’hui, ce silence ? Des diplomates, des techniciens et des chercheurs maliens et ouest-africains, directement impliqués ou suivant de très près le dossier, l’expliquent.
Au Mali, la reprise de la guerre dans le Nord semble avoir éclipsé la discussion sur la prolongation de la transition. Après l’annonce du 25 septembre sur le report sine die de la présidentielle de février 2024, censée marquer le retour à l’ordre constitutionnel, la classe politique malienne a presque unanimement exprimé son inquiétude et déploré une décision unilatérale des autorités de Bamako. La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao), elle, n’a tout simplement pas réagi : aucune déclaration, aucun communiqué.
L’instance avait pourtant imposé de lourdes sanctions au Mali lors des négociations sur le calendrier électoral, et qui lui avaient d’ailleurs une valu une forte impopularité parmi la population malienne, y compris parmi les opposants au coup d’État. Comment donc comprendre que la Cédéao soit passée d’une posture si offensive à un tel silence ?
La « Cédéao n’a plus d’interlocuteur à Bamako »
« Les contacts sont totalement rompus. À quoi aurait-il servi de parler au monde entier et pas aux autorités maliennes de transition ? », résume un interlocuteur. Depuis que la Cédéao a imposé en février dernier une interdiction de voyager « aux membres du gouvernement et aux hauts fonctionnaires » du Mali, du Niger et du Burkina Faso, Bamako a totalement rompu le dialogue avec l’organisation ouest-africaine.
Le médiateur de la Cédéao pour le Mali et ancien président nigérian Goodluck Jonathan n’a plus mis les pieds dans le pays depuis huit mois. Et c’est dans les médias que les chefs d’État de la sous-région ont appris que la présidentielle malienne était reportée sine die. « La Cédéao est dans l’embarras car elle n’a plus d’interlocuteur à Bamako », affirme une source.
Des arguments « gardés au frais » ?
« La Cédéao pourrait accepter un glissement de trois ou quatre mois, détaille une autre, mais il n’y a eu aucun échange », poursuit la même source. Selon cet interlocuteur, « les raisons techniques invoquées par Bamako auraient pu être dépassées. Il y a donc des craintes que les arguments sécuritaires ou financiers soient gardés au frais pour justifier, plus tard, un allongement vraiment long de la transition. »
Le silence de la Cédéao est pourtant perçu par de nombreux observateurs non comme un signe d’inquiétude mais comme un aveu d’impuissance ou même comme une forme de blanc-seing.
Relancer le dialogue
« La priorité, c’est de relancer le dialogue », jugent plusieurs sources, qui estiment qu’une communication trop brutale de la Cédéao aurait été contre-productive. Celles-ci plaident pour « une politique plus souterraine, moins voyante et moins bruyante ».
Des projets de communiqués pour « prendre acte » ou affirmer « s’inquiéter » auraient bien été amorcés mais qui n’ont pas abouti, en raison des différences d’approches des États-membres.
« Il y a une faiblesse institutionnelle, pointe un interlocuteur, la commission est ferme mais elle n’a pas de poids. Lorsqu’il faut prendre une décision importante sur un pays, ce sont les chefs d’État qui la prennent. » Ce qui laisse plus de place aux divisions ou aux préoccupations de politique intérieur.
« Jeu trouble du Togo »
Plus qu’une divergence, le Togo est quant à lui directement mis en cause par plusieurs sources pour son « jeu trouble » et son « manque de solidarité » avec les autres pays de la Cédéao : « ils sont les seuls à parler encore avec le Mali, le Togo est devenu un émissaire informel des juntes », accuse un interlocuteur.
Selon plusieurs sources, la proximité affichée de Lomé avec Bamako, mais aussi avec Ouagadougou et Niamey, susciterait l’« agacement » de nombreux États ouest-africains, qui jugent cette attitude « négative » : « Ils jouent les parrains des putschistes, conclut une source, ce qui ne facilite pas les choses pour une Cédéao déjà affaiblie. » Sollicitée par RFI, la diplomatie togolaise n’a pas souhaité répondre à ces mises en cause.
Priorité Niger
Il y a aussi « le cas du Niger » qui « est venu tout bloquer », constatent également plusieurs sources. La Cédéao en ferait aujourd’hui une priorité et y consacrerait l’essentiel de son énergie. Au risque de donner l’impression d’un « laisser-faire » au Mali, mais dans le but de rétablir une forme d’autorité perdue vis-à-vis des pays putschistes.
« L’approche au cas par cas ne fonctionne plus », « la Cédéao s’est laissé dépasser au Mali et au Burkina Faso, elle veut se rattraper avec le Niger », « les trois crises sont interconnectées », expliquent aussi de fins techniciens. Ceux-ci estiment que ce qui se joue aujourd’hui à Niamey aura des conséquences sur les cas du Mali et du Burkina Faso. Et que c’est ce qui guide la stratégie actuelle de la Cédéao.
Sommet exceptionnel ?
La prochaine conférence des chefs d’État de la Cédéao est prévu en décembre 2023 à Abuja. Certains pays membres souhaiteraient l’organisation, avant cette date, d’un sommet exceptionnel sur le Mali, le Niger et le Burkina Faso. Pas sûr qu’ils obtiennent gain de cause. Sollicitée par RFI, la direction de la communication de la Cédéao n’a pas donné suite.
L’Union africaine n’a pas davantage réagi que la Cédéao. En vertu du principe de subsidiarité, l’organisation continentale s’aligne sur les positions de l’organisation régionale ouest-africaine sur un tel dossier.
RFI