La grippe espagnole n’a pas tué en particulier les jeunes en bonne santé, contrairement à ce que l’on pensait

Contrairement à ce que l’on pensait, la grippe espagnole de 1918 n’aurait pas tué sans distinction les jeunes en bonne santé et les plus fragiles. Une nouvelle étude montre que les personnes déjà malades ou avec des conditions de vie difficiles ont été les principales victimes.

Durant l’hiver 1918, une épidémie de grippe A frappe de plein fouet l’Europe et le reste du monde. Bien que les premiers cas répertoriés apparaissent en France, on la surnomme « la grippe espagnole », l’Espagne étant le seul pays à publier librement les informations liées à cette épidémie. Ses deux vagues meurtrières en font la plus importante des pandémies mondiales. En tout, environ 50 millions de personnes en sont décédées à travers le monde.

Des facteurs de risque liés à la santé physique, mais pas seulement
A l’époque, la population tombe rapidement malade, à tel point que les médecins en concluent que tout le monde peut mourir de la pathologie, même les « bien-portants ». Toutefois, de nouvelles analyses révèlent qu’aucune preuve scientifique concrète n’a pu être apportée en ce sens. Au contraire, la grippe espagnole n’aurait que très peu touché les jeunes adultes en bonne santé, selon de récents travaux publiés dans PNAS.

C’est l’analyse des restes d’os de victimes de l’époque qui montre que les personnes les plus à risque montraient déjà des signes de fragilité. « Ceux qui souffraient déjà de maladies pré-existantes avaient plus de risques de mourir de la grippe espagnole. Parmi ces pathologies, on peut penser à la pneumonie, la tuberculose, des maladies cardiaques ou encore des infections à long terme », explique la bio-archéologue Amanda Wissler, professeure assistante au département d’anthropologie de l’Université McMaster aux Etats-Unis et première autrice de l’étude.

Au-delà de la santé physique, d’autres facteurs ont pu contribuer à un état de santé affaibli comme le stress chronique (lié à des facteurs environnementaux ou sociaux par exemple), la malnutrition, le manque d’accès aux soins médicaux ou encore le fait de vivre dans des logements insalubres.

« Dire tout bonnement qu’il s’agissait de gens pauvres, ce serait simplifier la chose à l’excès. Il ne s’agit pas que d’une problématique économique. Le stress lié à des facteurs sociaux par exemple peut être lié à des inégalités de santé, économiques, ou encore au racisme et au sexisme », précise la chercheuse.

L’os, témoin de toute une vie
L’essentiel de la recherche sur la pandémie de 1918 se base sur des documents historiques comme des dossiers d’assurances, des statistiques démographiques ou encore les données de recensement. Aucun d’eux n’inclut d’informations sur la santé ou les habitudes de vie des individus.

Cette fois, l’équipe d’Amanda Wissler s’est penchée sur les restes de squelettes de 369 individus conservés au Musée d’histoire naturelle de Cleveland. Ces derniers sont décédés entre 1910 et 1938. Les échantillons ont été divisés en deux groupes : ceux décédés pendant la pandémie et les autres.

En observant un os, on peut y trouver des indicateurs de différents stress. Des formations d’excroissances peuvent survenir en réponse à l’inflammation après un traumatisme physique ou une infection par exemple. On peut aussi constater si une lésion avait guéri ou pas tout à fait au moment de la mort de l’individu. « Regarder les os d’une personne nous permet de savoir comment elle a vécu. Lorsqu’une personne est soumise à rude épreuve, sur le plan nutritionnel, immunologique ou environnemental, le corps réagit pour rester en bonne santé.

Un peu comme la chair de poule qui vise à nous réchauffer quand on a froid. Dans le cas de la grippe espagnole, on a observé sur les échantillons des lésions semblables à de petits trous, qui donnaient un aspect spongieux à l’os. Elles sont dues à l’inflammation autour de l’os, qui finit par le faire changer d’aspect. Chez les personnes décédées de la grippe espagnole, ces lésions étaient bien plus importantes que chez les autres et elles semblaient ne jamais avoir guéri », explique la chercheuse.

Un parallèle avec le Covid-19
L’étude conclut que ce sont finalement nos conditions de vie, qu’elles soient immunologiques, culturelles ou sociales, qui façonnent notre santé. « On a vu durant l’épidémie de Covid-19 que certains groupes de personnes étaient plus à risques de mourir que d’autres, comme les minorités, ceux avec un statut socio-économique inférieur, ceux sans assurance maladie. Les journaux en parlaient comme si cela n’avait jamais existé auparavant.

Mais en observant les pandémies du passé, on voit bien que certains sont plus vulnérables face à la maladie que d’autres. Le message que chacun a autant de risque de tomber malade que son voisin masque le fait qu’en réalité, certains ont plus de faiblesses que d’autres et nécessitent plus d’aides », détaille Amanda Wissler.

Toutefois, impossible de brosser un tableau exact de la situation en 1918. Si ces travaux ont permis de montrer que les personnes jeunes et bien portantes ont été moins touchées, ils n’offrent pas de vision claire des conditions de vie des victimes de la grippe espagnole.

La chercheuse rappelle que seulement 300 restes ont été analysés, une « goutte d’eau » comparé aux millions de morts qu’a fait la grippe A à l’époque. L’équipe ne compte toutefois pas s’arrêter là et a déjà lancé de nouveaux travaux, dans l’espoir de réussir à brosser un tableau le plus précis possible des pathologies de l’époque.

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