Rétrospective du peintre congolais Chéri Samba: «Quand je peins, j’ai trois soucis»

De ses peintures jaillissent les couleurs d’un continent, et les rires et les rêves du peuple. Né en 1956, dans un village près de Kinshasa, fils d’un forgeron, le Congolais Chéri Samba est aujourd’hui l’un des plus célèbres peintres africains. Ses tableaux à messages se trouvent aussi bien au Museum of Modern Arts à New York qu’au Centre Pompidou à Paris.

Grâce à la collection Jean Pigozzi, la plus importante collection d’art africain contemporain au monde, le musée Maillol à Paris lui rend hommage avec la première grande rétrospective. Rencontre.

RFI : L’exposition réunit une soixantaine de vos tableaux grand format et elle est annoncée comme la première rétrospective de Chéri Samba. Comment est-ce possible ? A-t-on oublié l’un des peintres les plus connus de l’Afrique ?

Ce n’est pas la première, c’est la deuxième grande rétrospective de Chéri Samba. Il y en a déjà eu dans le passé, mais peut-être ce n’était pas si très bien organisé comme celle-ci, au musée Maillol.

L’affiche de cette exposition montre votre tableau J’aime la couleur. Un autoportrait en spirale où l’on vous voit avec un pinceau entre les dents et des gouttes de couleur qui tombent… Pourquoi a-t-il eu un tel impact qu’il est devenu l’image iconique de votre œuvre ?

Comme dit son nom : J’aime la couleur. Ça explique beaucoup de choses. Avant, j’entendais des gens dire qu’ils connaissaient des gens de couleur. À chaque fois quand j’entendais cela, je me demandais : qui sont ces gens qui disent qu’ils voient des gens de couleur et pour qui d’autres gens n’ont pas de couleur ? Alors moi, je me disais que tout ce qui nous entoure, c’est quand même la couleur. La couleur nous entoure. Le vent qu’on ne voit pas, là, on peut dire qu’il n’y a pas de couleur.

Vue d’un détail de « J’aime la couleur » (2003), exposé dans « Chérie Samba, dans la collection Jean Pigozzi » au musée Maillol de Paris.
Vue d’un détail de « J’aime la couleur » (2003), exposé dans « Chérie Samba, dans la collection Jean Pigozzi » au musée Maillol de Paris.

Dans Jaime la couleur, je voulais parler à ceux qui pensent qu’ils n’ont pas de couleur, les « Blancs ». Parce que, même si je regarde les « Blancs », ils ne sont pas blancs. Je trouvais qu’il faudrait obligatoirement redéfinir les notions de couleur. Voilà pourquoi j’aime ce tableau. Et les gouttes de peinture qui tombent, ça signifie simplement que ça m’a permis à manger, ça me permet de vivre. Et dans la peinture, je me sens moi-même.

Des fois, on m’a reproché d’avoir refait le même sujet. On dit, pour qu’une œuvre reste efficace, il faudrait qu’elle soit produite une seule fois. Parce que les gens qui aiment collectionner des œuvres sont très, très jaloux. Mais, avec J’aime la couleur, c’est une autre histoire. On m’a même reproché de ne pas avoir assez reproduit l’œuvre. Et on m’a conseillé : « Tu cherches des formules, des phrases à mettre sur chacun des tableaux… » Aujourd’hui, en vérité, je ne sais pas combien de fois j’ai produit J’aime la couleur.

L’exposition réunit des peintures des derniers 50 ans. Le peintre Chéri Samba en 1975Kinshasa ville d’ambianceAprès le 11 Sep 2001À qui la traite négrière a-t-elle réellement profité ?Le feu de femmesJe suis un rebelle… Même ceux qui croient connaître votre œuvre vont découvrir plein de choses. Vous-même, avez-vous eu des frissons en accrochant les œuvres de toute une vie ici ?

Mais oui. D’abord avec l’œuvre dont je venais de parler, J’aime la couleur. Et aussi avec l’œuvre derrière moi et dont je suis très fier : Petit poisson devenu grand. Parce que j’écoute les conseils. Je me suis toujours dit : un artiste peut être fameux, talentueux, mais s’il ne voit et s’il n’écoute que son propre cœur, il n’évoluera pas. Et on ne le comprendra jamais. Donc, il faudrait que l’artiste écoute des conseils, mais que son cœur décide.

Vue de l’exposition « Chérie Samba, dans la collection Jean Pigozzi » avec des scènes de rue à Kinshasa dans les années 1970 et 1980 avec l’atelier de Chérie Samba.
Vue de l’exposition « Chérie Samba, dans la collection Jean Pigozzi » avec des scènes de rue à Kinshasa dans les années 1970 et 1980 avec l’atelier de Chérie Samba.

Vous êtes né dans un village, Kinto M’Vuila, vous avez quitté l’école à l’âge de 16 ans, créé votre premier atelier à 19 ans. Vous vous êtes inventé tout seul, en dehors des codes occidentaux, comme un artiste-dessinateur de la « peinture populaire » à Kinshasa.  C’était comment pour vous, autodidacte, d’être peintre dans les années 1970 au Congo ?

Je ne fais pas de différence entre un académicien et un autodidacte. Je me suis toujours demandé pourquoi on doit être enseignant. Pour cela, j’ai peint un tableau, La sagesse du savoir. Pour moi, la sagesse du savoir n’est pas le produit de la science, mais le fruit de l’imaginaire. Les gens doivent imaginer pour qu’ils ne subissent pas les diktats. Pendant mon enfance, je griffonnais des choses dans le sable, mais bon, les choses dans le sable, on ne peut pas les conserver.

Après, j’imitais des revues de divertissement. Mes collègues l’aimaient beaucoup et je leur vendais ces cahiers. Alors, pourquoi continuer les études ? Il paraît qu’on étudie pour qu’on ait la capacité de faire quelque chose qui pourra te rapporter de l’argent. Mais moi, je gagnais déjà quelque chose avec mes cahiers.

Je n’ai pas grandi en ville, je suis quelqu’un de la campagne, mais je partais en ville pendant les vacances. Je me suis décidé à aller dans la capitale pour faire mon travail après avoir peint pour la première fois un tableau, une enseigne publicitaire. J’avais écrit le nom de mon village pour notre équipe de football.

Quand notre équipe allait jouer, on a placé ce tableau-là dans un angle de rue pour que les gens sachent qu’il y aura match tel jour. Cela me faisait plaisir et je me suis dit : maintenant, il faut que je descende dans la capitale, à Kinshasa. Je me suis présenté chez l’un des gens qui se sont installés à leur propre compte en disant : tout ce que je vois ici, je sais faire. C’était ça le début.

Vue d’un détail de « L’homme qui mange de la peinture » (2008), exposé dans « Chérie Samba, dans la collection Jean Pigozzi » au musée Maillol de Paris.
Vue d’un détail de « L’homme qui mange de la peinture » (2008), exposé dans « Chérie Samba, dans la collection Jean Pigozzi » au musée Maillol de Paris.

Vous étiez l’un des artistes sélectionnés en 1989 pour l’exposition culte Magiciens de la Terre qui présentait pour la première fois des artistes contemporains des cinq continents sur le même plan. Après, certains ont réussi, d’autres pas. Quel est le secret de votre succès ?

Quand je peins, j’ai trois soucis. D’abord, c’est d’être fidèle, me sentir fidèle à représenter la chose telle qu’elle est, telle qu’on peut la voir. Par exemple, si je dessine un pantalon, qu’on ne voie pas une chemise. Le deuxième souci est de dire la vérité, parce que beaucoup craignent de dire la vérité. C’est pour cela, d’ailleurs, que j’ajoute un peu de commentaires, parce que l’image, on peut la regarder d’un clin d’œil et on passe.

Mais s’il y a un petit texte, je pense que ça accroche. Il y aura beaucoup de gens devant mes tableaux. J’ai appelé cela la technique « sambaïenne ». Le troisième souci, c’est de faire un peu de l’humour, parce qu’avec humour, ça aussi accroche les gens. Voilà, ce sont mes trois soucis en peignant.

Dans votre rétrospective au musée Maillol, les spectateurs aperçoivent aussi les femmes voluptueuses sculptées par Aristide Maillol (1861-1944) aux côtés des femmes colorées peintes par Chéri Samba. Quel est le point commun entre les femmes de Maillol et les femmes de Chéri Samba ?

Pour moi, la femme est la première ch… – non, elle n’est pas une chose. Non. C’est la vie même de l’humanité. Donc, la femme doit être respectée.

Vos œuvres parlent beaucoup de la vie quotidienne, de la condition humaine, mais aussi de la guerre, de la politique, de la corruption… Qu’est-ce que vos œuvres ont concrètement changé au Congo ?

Il ne faut pas seulement que ça change quelque chose au Congo. Mon travail, c’est exactement comme ce que vous faites, vous les journalistes. Pour cela, au début, je me suis dit que je vais me prendre comme un journaliste peintre. Mon travail, c’est toujours le quotidien. On choisit les évènements, cela peut être ce qui choque ou touche les gens, selon l’actualité.

Visiteuse dans l’exposition « Chérie Samba, dans la collection Jean Pigozzi » au musée Maillol de Paris.

rfi

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