De notre envoyée spéciale à Ramallah – Depuis le début de la guerre, de nombreux Gazaouis, notamment ceux venus soigner leurs enfants malades, sont coincés à Ramallah, en Cisjordanie. Inquiets pour leurs proches bloqués dans l’enclave et la poursuite des soins, ils espèrent pouvoir rentrer chez eux.
Ahmed est là, assis les yeux dans le vide. Désespéré. Ce Gazaoui, père de six enfants, est à Ramallah, en Cisjordanie, depuis deux mois. « Ma fille est malade depuis trois ans. Elle était soignée à Gaza mais les médecins ont dit qu’il fallait l’emmener ailleurs pour qu’elle fasse des examens ». Égypte, Territoires occupés… Ahmed raconte comment, depuis deux ans, il remue ciel et terre pour soigner Ariam, 10 ans.
« Ariam devait passer un examen qu’elle ne pouvait faire qu’en Israël. On a diagnostiqué une mutation génétique rare. Il y a peut-être quatre cas similaires dans le monde mais évidemment il n’y a pas de traitement ici à Ramallah », regrette Ahmed Abu Asar en fumant cigarette sur cigarette. « Nous attendions des nouvelles du médecin pour savoir si elle devait aller aux États-Unis, en France ou en Israël pour obtenir une prise en charge adéquate. »
Ariam, 10 ans, souffre d’une mutation génétique rare. Elle a été transférée de Gaza vers Ramallah pour y recevoir des soins.
Ahmed appelle sa fille. Au bout de quelques minutes, Ariam apparaît. Telle un fantôme. Le teint blafard, l’air famélique, elle est loin de ressembler aux fillettes de son âge. Le regard est hagard, les mouvements ralentis. Ariam s’installe non loin de son père. Sans dire un mot.
Ahmed est confus. Il insiste pour donner son identité pour que sa fille reçoive de l’aide, des dons peut-être. Mais il a peur pour sa famille, restée à Gaza. Sa maison est située dans la zone la plus pilonnée par l’armée israélienne. « Je ne sais plus où je suis. Je suis très perturbé par ce qui se passe. Je dois m’occuper de ma fille mais je pense à mes enfants restés à la maison.
J’ai essayé d’appeler mon frère mais il a fui vers le nord. J’ai peur que ma femme et mes enfants soient allés se réfugier à l’hôpital qui a été bombardé . » Le quadragénaire semble perdu. « Je ne sais pas comment les joindre. La dernière fois que j’ai parlé à ma femme, elle m’a dit qu’elle voulait aller se réfugier à l’école de l’UNRWA. Je ne lui ai pas parlé depuis cinq jours. »
« J’espère un cessez-le-feu pour pouvoir rentrer à Gaza »
Yaara* a 20 ans. Originaire de Gaza, elle est désormais bloquée à Ramallah avec son bébé de 11 mois, malade lui aussi. « Je suis seule ici avec mon fils. Je devais repartir dimanche [8 octobre, NDLR] mais la guerre a éclaté. » La jeune femme sert son bébé contre elle. Elle sourit. Malgré les circonstances. « Mon mari et mon père ont fait l’impossible pour que l’on vienne ici.
Nous avons l’espoir qu’il aille mieux », raconte-t-elle en précisant qu’il souffre d’amyotrophie spinale infantile, une maladie neuromusculaire génétique rare qui se caractérise par une faiblesse musculaire progressive. « Il est malade depuis l’âge de deux mois. Aujourd’hui, il bouge à peine. Je prie pour que mon fils me sourie à nouveau, que je puisse interagir avec lui, qu’il soit en bonne santé. »
Lorsqu’on lui demande si elle a des contacts avec ses proches restés à Gaza, le regard pétillant de Yaara s’obscurcit légèrement. « Je les avais au téléphone presque tous les jours mais maintenant qu’il n’y a plus d’électricité, je n’arrive pas toujours à les joindre. Les téléphones restent éteints. Ils ont dû évacuer les écoles, les hôpitaux. Ils vont très mal. »
Yaara raconte les images de bombardements, les vidéos parfois crues diffusées en boucle à la télévision. « Nous ne voyons que des cadavres en miettes, des gens blessés. Nous pensons à nos familles et nous nous inquiétons pour elles. Nous ne savons pas ce qui va leur arriver. Personne ne peut imaginer cela. »
Pourtant, Yaara n’aspire qu’à rentrer chez elle. Auprès de son mari, de ses parents, de ses proches. « La vie est douce à Gaza. Les gens sont gentils. Il y a beaucoup d’amour. Le seul problème à Gaza, c’est le salaire. Mon mari ne gagne que 20 shekels [4,63 euros, NDLR] par jour. C’est quoi 20 shekels quand vous devez payer le loyer, la nourriture, les couches et maintenant les soins de notre bébé ?
J’espère que les choses vont s’arranger, que nous allons avoir un cessez-le-feu pour pouvoir rentrer. Inch Allah ! Inch Allah ! [locution arabe signifiant ‘Si Dieu le veut’, NDLR]. »
« Cette guerre est la plus difficile de toutes »
Ghadir* est moins optimiste. Elle accompagne son petit-fils. La mère du petit garçon est restée à Gaza pour s’occuper de ses autres enfants. « Il était hospitalisé pour des problèmes cardiaques et il était faible. On l’a transféré ici pour qu’il consulte un autre médecin mais la guerre a commencé. On attend le médecin désormais. »
La grand-mère réajuste son voile, l’enfant dans les bras. Elle ne souhaite pas que l’on donne son identité. Elle dit avoir peur des « représailles ». La quinquagénaire semble terrifiée. Elle évoque alors son mari qui avait un permis de travail en Israël. « Il m’a appelée pour me dire qu’il allait venir nous rejoindre et qu’il serait à nos côtés dans les deux heures. Il n’est jamais arrivé. Je n’ai plus eu de nouvelles. Ça fait douze jours. »
De mémoire de Gazaouie, elle n’a jamais connu une telle situation. « Cette guerre est différente. Dans les précédentes, il y avait des morts, des martyrs, mais c’est la plus difficile de toutes. Il n’y a aucune aide. Ils ont besoin d’aide d’urgence. Beaucoup de gens, beaucoup d’enfants, beaucoup d’innocents sont morts. » La voix serrée par l’émotion, Ghadir évoque les derniers mots entendus de sa belle-fille : « S’il te plaît, si nous mourons, prends soin de mon fils. »
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