Opération Nili : quand les espions israéliens partent à la chasse au commando du Hamas

Les médias israéliens assurent qu’une unité spéciale d’agents du Shin Beth et du Mossad, baptisée Nili, a été créée pour traquer et éliminer les membres du Hamas responsables de l’attaque du 7 octobre. Une opération qui n’est pas sans rappeler celle de 1972 contre les Palestiniens du groupe Septembre noir. Mais avec des différences notables.

C’est probablement l’un des aspects les plus secrets de la guerre d’Israël contre le Hamas. Tel Aviv a mis sur pied une opération spéciale pour traquer et tuer les membres du mouvement islamiste palestinien ayant mené et organisé l’attaque meurtrière du 7 octobre sur le territoire israélien, affirment plusieurs médias israéliens depuis le 23 octobre.

Les services de renseignement israéliens ont baptisé cette opération Nili. Un acronyme chargé de symboles : il signifie “Netzach Yisrael Lo Yeshaker”, une citation biblique qui pourrait se traduire par “L’éternité d’Israël ne mentira pas”, mais il fait aussi référence à un réseau d’espionnage juif qui a soutenu le Royaume-Uni dans sa lutte contre l’empire Ottoman en Palestine, de 1915 à 1917.

Œil pour œil, dent pour dent
Aucune confirmation officielle de l’existence de l’opération Nili n’a été apportée à ce jour. Mais “c’est une unité conjointe du Shin Beth [service de sécurité intérieur] et du Mossad [service de renseignement extérieur] dont la création a été actée peu après les massacres du Hamas du 7 octobre”, soutient Ahron Bregman, politologue israélien au King’s College London qui a écrit sur les services secrets israéliens. Il affirme avoir eu une confirmation de l’existence de Nili par une “source de confiance”.

De toute façon, une telle unité “est inéluctable”, soutient Shahin Modarres, spécialiste de l’Iran et des services israéliens de renseignement à l’International Team for the Study of Security (ITSS) Verona. “La charte du Mossad précise que ses missions sont notamment de neutraliser les menaces qui pèsent sur Israël et de se venger. Autrement dit, la traque des combattants du Hamas entre parfaitement dans les attributions de ces espions”, détaille ce spécialiste.

C’est d’autant plus vrai que l’assaut du 7 octobre résulte en partie d’un échec des services de renseignement. “C’est une illustration de ce qu’on appelle la ‘frustration de l’espion’, un phénomène connu qui affecte des agents en alerte constante depuis tellement longtemps qu’ils ont fini par être moins vigilants”, explique Shahin Modarres. Pour lui, cet échec ne laisse pas d’autre choix aux espions israéliens que de remettre les pendules à l’heure avec une opération décisive du type œil pour œil, dent pour dent.

“Nili” a d’ailleurs été comparé dans son ambition à l’opération Colère de dieu, débutée en 1973 et considérée comme l’exemple par excellence de la vengeance implacable du Mossad. “Après le massacre des athlètes israélien lors des Jeux olympiques de Munich en 1972 [par le groupe terroriste palestinien Septembre noir], le Mossad a traqué pendant vingt ans tous ceux qui ont participé à ce massacre pour les tuer les uns après les autres. C’est ce qu’on attend maintenant de Nili”, estime Ahron Bregman.

Le parallèle avec l’opération Colère de dieu permet aussi de se faire une idée des moyens que l’État israélien peut déployer pour ce genre de chasse aux terroristes. À l’époque, jusqu’à cinq équipes différentes d’espions et d’assassins ont été soutenues financièrement et logistiquement pendant deux décennies pour traquer et éliminer les membres de Septembre noir et ceux qui les ont aidés, où qu’ils se trouvent.

Des tueurs d’élite
À cette occasion, Israël a même mis en place une unité ultra-secrète au sein de la section des opérations en infiltration du Mossad – baptisée Kidon (harpon). Elle constitue le fer de lance des assassins des services secrets israéliens, responsable de la plupart des éliminations des membres de Septembre noir. Ce sont les agents de « Kidon » qui s’en sont aussi pris aux scientifiques qui ont collaboré au projet nucléaire iranien. “Il y en aura probablement qui participeront à l’opération Nili”, estime Shahin Modarres.

Leur modus operandi n’est pas de tuer le plus discrètement possible. “Ils sont chargés d’envoyer un signal aux autres groupes terroristes et mettent souvent leur assassinat en scène”, explique Shahin Modarres. Ainsi, en 2011, des agents du Kidon sont soupçonnés d’avoir éliminé Darioush Rezaeinejad, un ingénieur nucléaire iranien, pile au moment où il récupérait son enfant à l’école, en pleine rue à Téhéran.

En 1978, le décès du célèbre militant palestinien Wadie Haddad, qui est officiellement mort d’une leucémie, a été mis sur le compte des agents du Kidon. Ils auraient, selon les versions, empoisonné un chocolat qu’un ami lui a donné ou son dentifrice. Mais la méthode utilisée le plus souvent par ce groupe est le recours aux explosifs.

La comparaison avec l’opération Colère de dieu a aussi ses limites. “La principale différence réside dans le fait que Nili va avoir lieu alors qu’Israël est en guerre contre le Hamas”, souligne Shahin Modarres. La traque des combattants du Hamas reclus dans ou sous Gaza sera plus compliquée à organiser car elle risque d’avoir lieu en parallèle avec l’opération militaire au sol.

“Je ne pense pas que les agents de Nili vont entrer lors de la première phase de l’opération au sol car ce serait trop dangereux pour eux. Ils iront lorsque les objectifs purement militaires auront été atteints afin d’éliminer ceux qui auront réussi à y survivre”, estime Shahin Modarres.

Le politologue israélien Ahron Bregman estime, pour sa part, que “les agents du Shin Beth entreront avec l’armée israélienne afin de tenter de localiser au plus vite les otages et aussi les cibles à abattre. Ils décideront ensuite de la meilleure manière de procéder”.

À Gaza et ailleurs dans le monde
L’autre spécificité de Nili tient au fait qu’il s’agit d’une collaboration entre le Shin Beth et le Mossad. “Autrement dit, la chasse à ceux qui ont organisé et exécuté l’attaque du 7 octobre ne se limitera pas au territoire de Gaza”, explique Ahron Bregman.

Les cibles les plus évidentes des assassins israéliens sont les membres de la force Nukhba, c’est-à-dire le corps d’élite des combattants des Brigades Ezzedine al-Qassam, la branche armée du Hamas. Ils sont officiellement dans la ligne de mire de l’armée israélienne qui les considèrent comme les auteurs de l’attaque du 7 octobre. Les principaux commandants du Hamas à Gaza – le chef des Brigades Ezzedine al-Qassam, Mohammed Deif, son numéro 2 Marwan Isa et le chef du Hamas à Gaza, Yahya Sinwar – font aussi partie des cibles prioritaires.

Tous sont encore censés être dans la bande de Gaza donc, théoriquement, à portée du bras vengeur du Shin Beth, qui considère l’enclave palestinienne comme étant une question de sécurité intérieure.

L’implication du Mossad signifie “que les responsables du Hamas qu’Israël a identifiés comme les organisateurs du plan d’attaque seront pourchassés même à l’étranger, que ce soit en Turquie, au Qatar, par exemple”, précise Ahron Bregman.

Pour lui, “Khaled Mechaal [le toujours influent ancien chef du Hamas] et Ismaël Haniyeh [l’actuel chef du mouvement islamiste palestinien] vont dorénavant devoir toujours regarder au-dessus de leur épaule où qu’ils se trouvent”.

Et la liste des cibles à abattre n’est probablement pas définitive. À l’époque de l’opération Colère de dieu, elle avait évolué dans le temps. “Les membres de Nili vont dresser des listes d’individus à viser au fur et à mesure et elle devra être validée au plus haut niveau de l’État”, explique Shahin Modarres. Mais probablement pas par le Premier ministre Benjamin Netanyahu en personne, “afin de pouvoir plaider qu’il n’était pas au courant”, précise l’expert de l’ITSS Verona.

Ce qui peut être utile, car ce genre d’opération peut s’avérer politiquement très risqué. “Le Mossad va devoir faire attention, car la dernière fois que ses agents ont essayé d’éliminer Khaled Mechaal en Jordanie, en 1997, ils ont échoué et se sont faits arrêter. Un échec qui avait entraîné une crise diplomatique entre les deux pays”, conclut Ahron Bregman. Tel Aviv avait alors dû accepter de relâcher des prisonniers, dont le cheikh Yassine, le fondateur du Hamas, assassiné par l’armée israélienne dans la bande de Gaza en 2004.

france24

You may like