Gaza, Yémen, Somalie… quand la guerre et le dérèglement climatique se rejoignent

Les personnes qui vivent dans des régions en conflit se retrouvent aussi souvent en première ligne face à la crise climatique car leur pays, du fait de leur instabilité, est mal préparé à faire face à ces défis. C’est le cas de la bande de Gaza, qui pourrait bientôt se retrouver prise dans un nœud gordien.

Cela ressemble fortement à une double peine. Les pays en guerre figurent également parmi les plus vulnérables face à la crise climatique. Parmi les vingt-cinq pays les plus exposés au changement climatique, selon la « Global Adaptation Initiative » de l’université américaine Notre Dame, en 2021, quatorze connaissent actuellement des conflits armés, dont le Yémen, l’Afghanistan, le Soudan et la République Démocratique du Congo.

Pour cause, s’il n’existe pas de corrélation directe entre le changement climatique et les conflits, les pays en guerre sont moins à même à faire face aux effets du réchauffement climatique car leur capacité d’adaptation est affaiblie par les divisions internes ou les violences en cours.

Le dérèglement climatique peut également attiser les tensions relatives à l’accès à des ressources de plus en plus limitées.

« Un problème en exacerbe un autre », explique Yvonne Su, experte en développement international et professeure adjointe à l’Université de York. « Si un endroit est exposé au réchauffement climatique, les gens peuvent être amenés à se battre pour les ressources. »

Alors que la guerre est de retour dans la bande de Gaza, les experts estiment que sa population est plus fragile que jamais.

Un rapport publié en 2020 par le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a montré que les effets en cascade de la guerre et du réchauffement climatique peuvent faire des ravages, notamment sur les terres et les ressources. Dans un entretien accordé au CICR en février 2021, l’ancien responsable des programmes de sécurité économique de l’organisation, Ibrahima Bah, met en lumière « le cas de la République centrafricaine [qui] montre à quel point les effets du changement climatique et de l’insécurité dans des pays limitrophes, et même au-delà, peuvent avoir des répercussions sur des communautés vivant à plusieurs centaines de kilomètres ».

L’instabilité dans les régions du Sahel et du lac Tchad a poussé de nombreux éleveurs et agriculteurs à se déplacer vers la République centrafricaine, à la recherche de pâturages plus verts pour leur bétail.

Mais dans un pays fragile depuis plus de 60 ans et où l’insécurité alimentaire est endémique, ces déplacements constituent une nouvelle source de tensions. Les éleveurs n’empruntent plus les couloirs traditionnels de transhumance en raison des conflits armés dans la région et finissent par s’installer à proximité des villages ou des champs, où ils convoitent le même espace et les mêmes ressources que les habitants s’y trouvant déjà. Les autorités, qui contribuaient d’ordinaire au règlement des conflits, n’interviennent plus dans certaines zones pour des raisons de sécurité. Des affrontements ont inévitablement fini par éclater.

Conflits armés et dérèglement climatique, principales menaces sur la sécurité alimentaire
« On observe une militarisation croissante de l’élevage, avec une implication renforcée des différents groupes armés qui commettent des exactions, car la transhumance est devenue une de leurs sources de revenus », explique Ibrahima Bah.

La Somalie, l’un des pays les plus exposés au dérèglement climatique, a connu des décennies de conflits. Ces années de violence ont été amplifiées par une série de graves sécheresses, exerçant une pression supplémentaire sur le processus de construction de cet État tout en provoquant un déplacement de population de plus en plus important.

En juillet 2023, l’ONU a rapporté que plus de 3,8 millions de personnes sont actuellement déplacées en Somalie en raison des conflits, des sécheresses et des inondations. Les différends liés aux terres et les litiges découlant de ces déplacements massifs ont aggravé les tensions, selon un rapport de la Banque mondiale. Dans le centre de la Somalie, par exemple, l’occupation des terres est un problème récurrent. À leur retour, les habitants ayant été déplacés pendant longtemps retrouvent bien souvent leurs terres occupées par d’autres, ce qui entraîne des affrontements.

Selon l’ONU, les conflits armés et le dérèglement climatique sont les deux principales menaces sur la sécurité alimentaire. La guerre peut avoir des effets dévastateurs, en particulier lorsque les pays impliqués sont des producteurs ou des exportateurs clés de matières premières. Grenier à blé de l’Europe, l’Ukraine représentait environ 15 % de la production mondiale de blé avant l’invasion russe. Ensemble, la Russie et l’Ukraine assuraient 80 % de la production mondiale de tournesol. La guerre a provoqué une pénurie de ces deux produits, contribuant ainsi à l’inflation des prix alimentaires à l’échelle mondiale.

La guerre peut également causer des ravages sur l’environnement d’un pays. Plus de 80 % des conflits se déroulent dans des points chauds de la biodiversité, qui abritent la moitié des plantes et espèces rares, selon le CICR. La dégradation de l’environnement est un cercle vicieux qui, non seulement contribue au réchauffement climatique, mais qui réduit aussi la capacité de la population à s’y adapter. La multiplication de sites industriels et la destruction d’espaces verts comme les forêts libèrent d’importantes quantités de gaz à effet de serre dans l’atmosphère tout en restreignant le potentiel de la planète à les réabsorber.

La situation à Gaza, « exemple de territoire vraiment pauvre en ressources », rappelle Yvonne Su. Les organisations internationales tirent la sonnette d’alarme depuis des années, pointant le grave manque d’infrastructures, problème bien antérieur à la guerre entre Israël et le Hamas. Abritant 2,2 millions de personnes, la bande de Gaza ne mesure que 41 km de long et 10 km de large, ce qui en fait l’un des territoires les plus densément peuplés au monde. Les habitants sont systématiquement confrontés à des pénuries de nourriture, d’eau, d’électricité et de services de santé.

Mais Gaza connaît aussi des températures en hausse, des précipitations en baisse, une montée du niveau de la mer et des événements météorologiques extrêmes de plus en plus fréquents, tous provoqués par le dérèglement climatique, selon une publication de juin 2022 de l’Institut d’études sur la sécurité nationale de l’Université de Tel Aviv.

« Les conséquences du conflit vont au-delà de ce que nous voyons »
En janvier 2022, de graves inondations à Gaza ont endommagé des centaines de bâtiments et mis hors service l’ensemble du réseau d’égouts, forçant les habitants à quitter leur domicile. Si un événement météorologique extrême venait à frapper la région maintenant, alors que l’accès aux services essentiels est impossible, la population locale n’aurait pas les moyens d’y faire face.

« L’occupation prolongée et le blocus signifient que les habitants de Gaza ont des moyens plus limités qu’ailleurs. Par exemple, l’une des stratégies d’adaptation consiste à déménager pour trouver des terres plus fertiles ou de l’eau, mais ce n’est pas une option pour les habitants de Gaza », explique Catherine-Lune Grayson, conseillère en politique humanitaire au CICR, spécialiste des questions liées au dérèglement climatique.

Même pour les pays les mieux lotis, s’adapter au dérèglement climatique nécessite une bifurcation majeure sur le plan social, économique et culturel. Mais en temps de guerre, les autorités sont trop concentrées sur la sécurité pour avoir le temps de s’occuper des défis climatiques.

« Les conséquences du conflit vont au-delà de ce que nous voyons, comme la mort et la destruction des infrastructures. Cela affecte les institutions elles-mêmes », explique Catherine-Lune Grayson. « Des services essentiels comme l’accès à l’eau, à l’éducation et aux centres de santé peuvent être détruits, ce qui aura un impact sur l’économie, et par ricochet sur la cohésion sociale, ce qui signifie qu’on se retrouve avec une société fragilisée et moins capable de répondre aux chocs, alors même que les chocs liés au climat augmentent. »

L’écart de financement pour l’action climatique entre les pays stables et les pays fragiles doit aussi être pris en compte, juge le CICR. De nombreux États, pourtant parmi les plus exposés, ne reçoivent pas d’aide financière suffisante.

« La raison pour laquelle les financements climatiques n’atteignent guère les pays en conflit est liée au conflit lui-même. Les institutions de ces pays ne sont pas suffisamment solides et capables de gérer facilement des aides financières, voire même de les demander », estime Catherine-Lune Grayson. « Un pays en guerre a tendance à se concentrer exclusivement – et c’est bien normal – sur le retour de la sécurité dans son territoire. Il n’a pas le temps de prêter attention aux impacts à long terme des risques climatiques. »

Un protocole additionnel a été ajouté aux Conventions de Genève en 1977 pour établir des règles en temps de guerre garantissant la protection de la nature. Le droit humanitaire international interdit les attaques contre ce qui est indispensable à la survie des civils, comme les zones agricoles et les infrastructures d’approvisionnement en eau potable.

Le CICR travaille actuellement au renforcement de la résilience de Gaza face aux défis actuels. « Nous examinons, par exemple, comment garantir qu’un point d’eau puisse continuer à fonctionner même s’il y a un impact sur la production d’électricité », déclare Catherine-Lune Grayson. « Nous devons renforcer la résilience face aux chocs résultant de la guerre, mais aussi face aux chocs liés au dérèglement climatique. »

france24

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