De nouvelles projections d’un institut de modélisation climatique estiment à 55 % le risque que les températures globales dépassent pour la première fois en 2023 une hausse de 1,5 °C par rapport à l’ère préindustrielle. Mais franchir ce seuil d’alarme, fixé lors de la COP21 en 2015, ne signe pas encore l’échec des accords de Paris.
L’année 2023 obligera-t-elle le monde à ranger aux oubliettes l’un des principaux engagements des accords de 2015 sur le climat ? Les températures mondiales pourraient dépasser pour la première fois le fameux seuil de 1,5 °C au-dessus des températures de l’ère préindustrielle, selon les dernières prévisions de l’ONG américaine Berkeley Earth, rapportées par la revue Nature, vendredi 22 septembre.
“Berkeley Earth fait partie de la poignée d’instituts internationaux dont les modélisations climatiques sont prises au sérieux par la communauté scientifique”, souligne Chris Smith, climatologue à l’université de Leeds.
La faute au mois d’août
Cette organisation, qui publie des prévisions climatiques depuis le début des années 2010, a conclu qu’il y avait “55 % de risque que les températures moyennes globales en 2023 soient supérieures de plus de 1,5 °C par rapport à l’ère préindustrielle”.
Berkeley Earth est devenu de plus en plus pessimiste au fil des mois. Avant le début de 2023, les experts de cette ONG pensaient qu’il y avait seulement un peu moins de 1 % de risque de franchir le seuil d’alarme qui avait été fixé en 2015 par les dirigeants mondiaux lors de la COP21. En juillet, ce dépassement n’avait encore qu’environ 20 % de risque de se produire.
Mais le mois d’août a fondamentalement changé la donne pour les prévisionnistes. “Le mois de juillet avait déjà été très anormal, août l’a été encore plus”, confirme Robert Vautard, climatologue et directeur de recherche à l’Institut Pierre-Simon -Laplace. Pour être précis : les températures moyennes globales ont dynamité l’ancien record de chaleur établi en août 2016 de plus de 0,3 °C, ce qui “représente une différence d’une ampleur plus que surprenante”, estiment les experts de Berkeley Earth.
La cause la plus probable à cette fin d’été étouffante tient en deux mots : El Niño. L’arrivée de ce phénomène climatique lié à des courants océaniques chauds ayant un impact sur les températures globales n’a pas pris les scientifiques par surprise, mais “il semble être plus puissant que ce qui avait été anticipé par les spécialistes”, affirme Joeri Rogelj, climatologue à l’Imperial College de Londres.
Il y a donc deux raisons expliquant l’affolement du thermomètre en 2023 : “D’une part, une tendance de fond liée au réchauffement climatique, et de l’autre des phénomènes exceptionnels comme El Niño qui accentuent la hausse des températures”, résume Stefan Hagemann, météorologue à l’Institut pour les systèmes côtiers Helmholtz-Zentrum Hereon, un centre de recherche pluridisciplinaire allemand.
Si les équipes de Berkeley Earth pensent dorénavant qu’il y a plus d’une chance sur deux pour que 2023 soit la première année avec une température moyenne au-delà de 1,5 °C, c’est aussi parce que “le plein développement d’El Niño se fera davantage sentir en fin d’année”, explique Robert Vautard.
Ce n’est (encore) qu’une année
Les experts interrogés par France 24 jugent les prévisions de Berkeley Earth “plausibles”, même s’ils sont plusieurs à souligner que cet institut formule généralement les hypothèses les plus chaudes en matière de prévisions de températures.
Et même si 2023 établissait un nouveau record supérieur à 1,5 °C au-dessus des températures de l’ère préindustrielle, “cela ne signifie pas que l’accord de Paris est à jeter à la poubelle”, tient à rassurer Chris Smith.
En effet, il ne s’agit que d’une seule année. “Les experts du Giec [Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, NDLR] estiment qu’il faut une moyenne de température mondiale supérieur à 1,5 °C sur une période d’environ 20 ans pour pouvoir conclure que le réchauffement climatique a passé ce seuil fixé en 2015”, note Stefan Hagemann.
Pour l’instant, la trajectoire du réchauffement climatique reste encore sous la barre d’une hausse de 1,2°C. Les prévisions de Berkeley Earth “ne remettent pas encore en cause les projections des experts du Giec qui estiment que la barre de 1,5 °C sera franchie entre 2030 et 2052”, estime Robert Vautard.
“Il faut ainsi s’attendre à ce qu’une fois El Niño passé [le phénomène dure généralement au moins un an, NDLR], les températures baissent”, affirme Joeri Rogelj.
Autrement dit, “il ne faut pas encore paniquer si les températures globales dépassent ce seuil de 1,5 °C, mais cela reste néanmoins un indicateur inquiétant de la tendance générale”, résume Chris Smith.
Surtout qu’il est possible que 2024 fasse encore pire. “Généralement, la seconde année, les effets d’El Niño sont encore forts sur les températures”, souligne Robert Vautard.
Cette poussée du thermomètre en territoire inconnu risque aussi de poser à nouveau la question des points de bascule. À partir de certaines hausses de température, le climat change d’ère et “on ne peut pas dire aujourd’hui avec certitude quand cela va se produire”, reconnaît Robert Vautard.
Autrement dit, les hausses de température peuvent entraîner des phénomènes ayant un effet boule de neige sur le réchauffement climatique. Ainsi, une tendance qui inquiète tout particulièrement les scientifiques actuellement est “la fonte de la glace de mer Arctique qui semble particulièrement forte cette année”, note Stefan Hagemann.
Si cette banquise ne se reforme pas suffisamment une fois passée la période des températures d’été en Arctique, cela “peut devenir l’un de ces points de bascule”, conclut Joeri Rogelj.
france24