Alors que l’IRCAD Africa, une structure de formation destinée aux chirurgiens africains, vient tout juste d’ouvrir ses portes à Kigali, un projet de recherche mêlant intelligence artificielle et échographie appelé « Disrumpere » va démarrer ses essais auprès de 3000 Rwandaises. Il propose l’utilisation d’une sonde d’échographie spécialement conçue pour être utilisée par une personne non-radiologue, formée en quelques heures à son maniement.
Suivre échographiquement les grossesses en Afrique pour moins de 10 dollars. Bientôt, plus besoin d’échographistes dûment formés en obstétrique, ce seront les algorithmes qui prendront en moins de 5 minutes les mesures fœtales permettant de savoir si le développement est normal ou pathologique. Tel est l’un des objectifs visés par le programme de recherche franco-rwandais baptisé Disrumpere, en latin « innover ».
Le Rwanda compte moins de 10 radiologues pour 12 millions d’habitants
Lancé par l’IRCAD en 2020 pour une durée de 4 ans, Disrumpere est aussi un acronyme issu de « DemocratIzation of automaiIc diagnosis, Screening, biometRics and aUgMented Percutaneous surgEry assisted by aRtificial intelligencE » qui va enfin démarrer ses mesures dans la vraie vie.
Son responsable, Alexandre Hostettler et toute son équipe, une trentaine d’ingénieurs, d’informaticiens rwandais, quasiment tous issus de l’antenne rwandaise de la prestigieuse Carnegie Mellon University (Pittsburgh, Pensylvannie, Etats-Unis) peuvent souffler : le feu vert des essais tant attendus vient tout juste d’être donné, « magie » de l’inauguration officielle de l’IRCAD Africa par le président rwandais.
« Les trois quarts de la population du globe n’ont pas accès à l’imagerie médicale, explique le chef d’équipe. D’où la nécessité de développer des outils peu chers, non invasifs et nomades, en alternative à la machinerie médicale classique, plus lourde ».
Au Rwanda qui compte moins de 10 radiologues pour 12 millions d’habitants, les besoins sont évidemment énormes. « Mais la France n’est pas en reste, avec ses déserts médicaux et les établissements spécialisés comme les EHPAD », renchérit le Dr Benoît Sauer, radiologue strasbourgeois participant au projet.
Ici, évidemment pas de rayons X, mais des ultrasons, ceux d’une sonde d’échographie spécialement mise au point par l’équipe. Implémentée par plusieurs algorithmes, tous développés en interne, la sonde possède un avantage essentiel : pouvoir être utilisée par une personne non formée à la radiologie mais ayant suivi juste quelques heures de formation. Car la réalisation d’une échographie est en fait très « opérateur dépendant ». C’est-à-dire que tout dépend de la manière dont la sonde est positionnée, de son angle sur la peau, de la pression plus ou moins forte exercée par la main de l’échographiste.
Au Rwanda, les femmes ont en moyenne plus de 4 enfants au cours de leur vie
« Nous avons rajouté une fonction englobant la cinquantaine de réglages différents nécessaires au passage de la sonde ainsi qu’un capteur de positionnement et d’emplacement des organes », détaille Alexandre Hostettler. Au final, les différents plans de coupe d’abord obtenus en 2D sont ensuite aggrégés entre eux, l’IA sélectionnant automatiquement les meilleures images avant d’en construire une image en 3D. Le tout pour un coût inférieur (3.000 euros) à d’autres types de sondes.
« Nous visons plusieurs applications comme la détection de pathologies standards, localisées au niveau du rein et du foie, poursuit le chef d’équipe, ou le diagnostic de calculs biliaires et rénaux, de kystes, de tumeurs ». Avec idéalement, à terme, la possibilité de discriminer le caractère bénin ou malin d’une image. Les ingénieurs prévoient déjà une réalisation de biopsies via un bras robotisé.
« L’idée n’est en fait pas tant de pouvoir diagnostiquer ou pas mais plutôt de savoir avec certitude s’il y a quelque chose ou rien », résume le Dr Bauer. Les spécialistes parlent d’un outil à haute valeur prédictive négative, c’est-à-dire « un outil de triage », complète Alexandre Hostettler. Mais, dans un premier temps, l’équipe a choisi d’appliquer son outil au suivi des grossesses. La sonde est en effet aussi capable de calculer automatiquement les différentes mesures comme celles prises en obstétrique pour surveiller le développement normal ou pathologique du fœtus (longueur du fémur, circonférence crânienne, abdominale…).
Des données importantes car il s’agit ici de déterminer le plus précisément possible le moment prévu du terme et donc de l’accouchement. Pourquoi ? Pour anticiper et faire venir les femmes près d’un centre de santé, le tout avant le début du travail et éviter au mieux les complications.
Faire vite, bien (3 échographies au moins sur 9 mois) et à moindre coût (moins de 10 dollars), tel est le cap visé par ces travaux. L’essai va démarrer d’abord sur quelques centaines de femmes puis 3.000 au total, toujours en comparant les mesures de la sonde à celles obtenues avec un échographe classique. Les enjeux sont de taille. Ici, au Rwanda, les femmes ont en moyenne plus de 4 enfants au cours de leur vie et le taux de mortalité maternelle demeure très élevé. Deux fois plus qu’en France avec environ 468 décès maternels pour 100.000 naissances contre 233 dans l’Hexagone.
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