Pilonnée sans relâche par l’armée israélienne dans le sillage des massacres du 7 octobre perpétrés par le Hamas, la bande de Gaza fait l’objet de toutes les attentions de la part de la communauté internationale. Mais une autre flambée de violences, moins visible, touche aussi les Palestiniens de Cisjordanie, pris pour cible par des colons israéliens avec la bénédiction de l’armée.
Intimidations, menaces, vols, meurtres, villages vidés de leurs habitants… Le nombre d’incidents impliquant des colons israéliens s’envole en Cisjordanie occupée depuis l’attaque du Hamas du 7 octobre tandis que l’armée multiplie les frappes meurtrières sur la bande de Gaza.
Une flambée de violences qui a poussé ces dernières heures plusieurs capitales européennes à tirer la sonnette d’alarme. Berlin a appelé Israël, lundi 30 octobre, à « protéger » les Palestiniens des « colons extrémistes » tandis que la France avait condamné, la veille, des « violences inadmissibles » perpétrées contre des civils palestiniens.
« La France condamne fermement les attaques de colons qui ont conduit à la mort de plusieurs civils palestiniens au cours des derniers jours à Qusra et El-Sawiya, ainsi qu’au départ contraint de plusieurs communautés », est-il écrit dans un communiqué du ministère des Affaires étrangères.
Le Quai d’Orsay fait ici référence à l’attaque meurtrière du 11 octobre contre le village de Qusra ainsi qu’à l’assassinat de Bilal Abou Salah, 40 ans, un Palestinien abattu samedi par un colon israélien dans le village d’El-Sawiya.
Selon le maire de la ville, joint par l’AFP, Bilal Abou Salah a été tué alors qu’il cueillait des olives avec d’autres membres de sa famille sur leur terre située non loin de la clôture de sécurité d’une colonie israélienne.
« Ils ont été attaqués par quatre colons et l’un d’eux, armé d’un fusil M16, a ouvert le feu sur eux sans sommation. Abou Salah a été touché à la poitrine et il est tombé en martyr devant sa famille et ses enfants », a détaillé l’édile de cette petite localité située au sud de Naplouse.
Une accélération de la colonisation
Pour échapper à cette vague de violences alimentée par le désir de vengeance – depuis l’attaque du Hamas du 7 octobre – d’une partie de la population israélienne, certains Palestiniens n’ont plus d’autre choix que de plier bagages.
Plusieurs ONG de défense des droits humains ont rapporté ces derniers jours de nombreux cas de villages vidés de leurs habitants sous la pression des colons, comme à Susya, Khirbet Zanuta ou encore A’nizan près d’Hébron.
You can see the residents dismantling their village and packing away their property, to be carried on trucks away from their lands. pic.twitter.com/EiXhAYyHJf
— Yehuda Shaul (@YehudaShaul) October 29, 2023
Autre exemple à Wadi al-Seeq, où des dizaines de colons accompagnés de soldats israéliens ont procédé en moins d’une heure à l’expulsion de ses 200 habitants issus de la communauté bédouine.
« On ne dort plus, c’est un cauchemar », raconte à l’AFP Alia Mlihat, une habitante de Mu’arrajat, un autre hameau bédouin entre Ramallah et Jéricho, qui s’inquiète d’être le prochain sur la liste. « Avec la guerre, on voit que les colons ont plus d’armes. C’est très difficile, on se demande ce qui va se passer. »
Quelques jours après les attaques du Hamas, le ministre d’extrême droite de la Sécurité israélienne, Itamar Ben Gvir, a lancé une campagne de distribution de milliers de fusils d’assaut à des « unités de sécurité » civiles, notamment dans les colonies, faisant craindre un regain de violences en Cisjordanie.
Si les tensions ne sont pas nouvelles entre les trois millions de Palestiniens et les plus de 490 000 colons israéliens, dont l’installation est illégale au regard du droit international, les observateurs notent une volonté d’accélérer la colonisation depuis les attaques du Hamas.
« Les colons savent que toute l’attention est focalisée sur Gaza donc ils en profitent », estime Dror Sadot, porte-parole de B’Tselem, le centre israélien d’information pour les droits humains dans les Territoires occupés. « Il est impossible d’enregistrer toutes les attaques mais nous savons que depuis le 7 octobre, au moins 13 communautés ont été contraintes de fuir. Par ailleurs, nous évaluons à sept le nombre de personnes tuées par des colons israéliens. »
« Un nouveau front »
Selon le Bureau de coordination des affaires humanitaires de l’ONU (Ocha), 607 personnes ont dû quitter leurs terres en Cisjordanie depuis les attaques du Hamas. Dans bien des cas, ces opérations d’expulsion s’effectuent avec la bénédiction de l’armée israélienne, qui laisse faire ou prête main forte aux colons.
« Il est souvent difficile de faire la distinction entre les colons et l’armée car de nombreux colons sont partiellement vêtus avec des uniformes. Il y a également des soldats en permission qui sont eux-mêmes colons. Ils n’ont pas nécessairement d’uniformes mais portent des armes militaires », note Dror Sadot.
Les villages attaqués depuis le 7 octobre se trouvent tous en zone C de la Cisjordanie, sous contrôle sécuritaire et administratif exclusif de l’État hébreu en vertu des accords d’Oslo de 1993. L’extrême droite israélienne rêve depuis de nombreuses années d’annexer cette zone représentant 60 % du territoire de la Cisjordanie partagé en trois secteurs, car elle concentre la plus grande part des terres fertiles et des ressources naturelles.
Cette stratégie d’éviction des populations vivant dans les zones de Cisjordanie placées sous le contrôle de l’armée remonte à 2017. L’objectif affiché par les colons est d’accaparer les terres et les pâturages ainsi que d’empêcher toute nouvelle construction palestinienne dont une large majorité est financée par l’Union européenne.
L’arrivée au pouvoir de suprémacistes juifs au sein de la coalition formée l’an dernier par Benjamin Netanyahu a permis aux colons de bénéficier d’un appui politique inespéré. Les attaques du 7 octobre n’ont fait que renforcer leur détermination à poursuivre cette annexion de facto de la zone C.
« De nombreux Israéliens sont furieux de voir ce que font actuellement les colons. Alors que tout le monde a les yeux rivés sur Gaza et sur les otages, et alors que les gens sont en deuil, on a le sentiment qu’ils cherchent à ouvrir un nouveau front en Cisjordanie », déplore Dror Sadot.
120 Palestiniens tués en Cisjordanie
Parallèlement aux attaques menées par des colons, l’assaut israélien sur la bande de Gaza s’est accompagné d’une intensification des restrictions imposées aux Palestiniens en Cisjordanie occupée : fermetures des principaux checkpoints, multiplication des contrôles de sécurité, vagues d’arrestations…
Les déplacements entre les villes et les villages sont devenus de plus en plus périlleux selon Al-Jazira, qui rapporte le témoignage d’un chauffeur palestinien battu « sans raison » par des soldats israéliens avec ses deux passagers originaires de Gaza.
Déjà très tendue avant la guerre avec le Hamas, la situation apparaît de plus en plus explosive en Cisjordanie. Quatre Palestiniens ont été tués lundi à l’aube lors d’un raid de l’armée israélienne à Jénine, a indiqué le ministère de la Santé de l’Autorité palestinienne.
Selon cette même source, cinq autres personnes avaient été tuées dimanche lors d’opérations « antiterroristes » à Naplouse, Beit Rima (au nord-ouest de Ramallah), à Bethléem et à Tamoun, au nord de Jénine.
En tout, près de 120 Palestiniens ont été tués en Cisjordanie par des tirs de soldats ou de colons israéliens depuis le début de la guerre entre le Hamas et Israël.
france24