Une récente étude cohorte nous informe sur les associations existantes entre nos capacités motrices dans l’enfance et l’adolescence et des facteurs comme la pratique d’une activité physique et le niveau socio-économique.
Nos capacités motrices évoluent tout au long de notre vie. Pourtant, nous ne savons pas encore tout des facteurs « hors laboratoire » qui peuvent les influencer. Une récente étude transversale, parue dans Pulic Library of Science (Plos), met en exergue des associations entre la pratique d’une activité physique, le niveau socio-économique et le développement de nos capacités motrices mesurées à l’aide du test de Motorik-Modul.
Pour nous aider à y voir plus clair sur les résultats de cette enquête, nous avons interrogé Vincent Nougier, enseignant-chercheur en sciences du mouvement au laboratoire recherche translationnelle et innovation en médecine et complexité et directeur de l’unité santé plasticité et motricité à Grenoble, et Christine Assaiante, enseignante-chercheuse en neurodéveloppement de la cognition sociale et motrice du laboratoire de Neurosciences Cognitives, au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et à l’Université d’Aix-Marseille.
La première chose à mettre en exergue est que les résultats qui émanent de cette grande cohorte allemande rappellent l’absence de cohorte française dédiée à l’étude du développement de la sensori-motricité. « Cela fait plusieurs années que nous pointons du doigt cette absence de cohorte en militant pour sa création. Les constitutions de cohortes ne peuvent pas être réalisées à l’échelle d’un laboratoire, car trop coûteuses et typiquement pluridisciplinaires. Il faut donc un programme national pour le faire, déclare Christine Assaiante. La chercheuse développe : À l’instar des banques de données biologiques, les données de neuro-imagerie, de tests moteurs et cognitifs sont absolument indispensables et fondamentales pour la recherche qui s’intéresse au développement et à l’éducation. Cela pourrait nourrir le travail d’un nombre conséquent de disciplines, des neurosciences jusqu’aux sciences sociales. »
Comment se déroule le développement moteur ?
À l’image du développement cognitif, le développement moteur ne suit pas une progression linéaire. Il y a évidemment des périodes charnières, mais le tout reste semé d’embûches et de tremplins. « Tout au long du développement, il peut y avoir des progressions fulgurantes, des stagnations et des régressions, qui sont généralement le prélude de la mise en place d’un nouveau mode de contrôle », expliquent Vincent Nougier et Christine Assaiante. Vincent Nougier développe : « Il y a une ligne directrice qui va de pair avec le développement du cerveau et des capacités physiologiques, et des périodes charnières avec des changements brutaux dans la maîtrise de certaines facultés motrices. Ce développement et ces périodes ne sont pas les mêmes si on parle de motricité fine, d’aspects sensoriels ou de capacités strictement physiologiques. »
Christine Assaiante confirme ces propos et précise : « La puberté des filles se fait avant celle des garçons et que cela a des répercussions à la fois au niveau du développement sensori-moteur et au niveau de la maturation cérébrale. En effet, l’adolescence est une période du développement sensori-moteur où les résultats des filles diffèrent de ceux des garçons. Si la force musculaire est plus développée chez les garçons que chez les filles, en revanche les mécanismes de contrôle, notamment de coordination et d’anticipation motrice, sont plus précoces chez les adolescentes. On a bien mis cela en évidence à l’aide de protocoles expérimentaux de délestage bimanuel proposés à des groupes d’adolescentes et d’adolescents appariés pour la force musculaire. Les résultats expérimentaux montrent que la signature électrophysiologique de la réponse motrice révèle, de façon cohérente, une maturation cérébrale plus précoce chez les filles que chez les garçons. Évidemment, ces différences se gomment à l’âge adulte. »
Des associations bidirectionnelles ?
L’étude allemande dont nous parlons est intéressante. Ces données sont essentielles mais ne parviennent pas à nous renseigner en matière e causalité. Par exemple, est-ce le faible niveau d’activité physique ou le niveau socio-économique qui affecte le développement de nos capacités motrices ou est-ce le développement altéré de nos capacités motrices qui nous pousse à être moins actif physiquement ?
Peu d’études rigoureuses existent sur la question. « Quelques études rares chez des jumeaux suggèrent que l’influence psychosociale est considérable en matière de motricité. Mais ce sont des questions qui resteront sans réelles réponses précises sur des échantillons plus larges », déplore Vincent Nougier. Pour le spécialiste, la réponse à cette question n’est pas l’enjeu : ce qu’il faut réussir à faire intégrer à la société, c’est que le capital génétique ou les handicaps peuvent largement être compensés par l’entraînement. Il faut participer à améliorer les capacités méta-cognitives des individus qui se sentent incapables de réaliser telle ou telle activité physique », affirme Vincent Nougier. Pour Christine Assaiante, l’enjeu de ces études corrélationnelles est « d’attirer l’attention sur certaines variables d’intérêt afin que toutes les disciplines qui travaillent sur le sujet du développement puissent creuser, avec leurs méthodologies respectives, leur importance relative ».
Un enjeu majeur de santé publique
Les effets de l’activité physique sur la santé ne sont plus à démontrer. Elle prévient un nombre considérable de maladies en agissant sur pléthore de facteurs de risque et améliore considérablement notre qualité de vie. « Grâce à la pratique régulière d’une activité physique, on vit mieux et plus longtemps. Pratiquer une activité physique doit devenir aussi naturel que de prendre son petit déjeuner », lance Vincent Nougier.
Avant d’en arriver là, le chemin risque d’être encore long. En effet, l’accès à des activités physiques pour les minorités ou les endroits reculés des grandes villes est encore très restreint. En cause notamment, le manque de structures sportives et l’absence de culture de l’activité physique. Mais cela évolue, « en France il y a des initiatives concernant l’accès aux salles de sport spécifiquement équipées pour les personnes handicapées. Cela rentre progressivement dans les mœurs, si bien que voir une personne en situation de handicap s’entraîner dans une salle de sport dans 10 ans sera considéré comme normal », espère Vincent Nougier.
Christine Assaiante partage l’avis de Vincent Nougier, « en France, nous n’avons pas la culture du sport ». La spécialiste prend un exemple pour illustrer son propos. « À l’école, les parents vont être systématiquement alertés si les performances en lecture de leur enfant sont altérées et des consultations chez l’orthophoniste pour dépister et traiter une éventuelle dyslexie seront proposées. En revanche, si l’enfant a des difficultés motrices qui impactent la pratique sportive, ce qui peut suggérer une dyspraxie, les alertes seront quasiment inexistantes, si les résultats scolaires ne sont pas impactés ! Au Canada, en revanche, la dyspraxie est prise en charge depuis longtemps car il existe une forte culture d’inclusion par le sport. Par contre, le dépistage et la prise en charge de la dyslexie sont moins précoces. En France, c’est l’inverse. Nous observons ainsi le poids culturel du dépistage et du traitement des troubles, qui doit maintenant devenir pluridisciplinaire pour le bon développement de l’enfant. »
Enfin, bien que la pratique d’une activité physique réduise considérablement les coûts de santé, la Sécurité sociale ne la rembourse pas encore contrairement à certaines mutuelles. La prescription et les clubs d’activités physiques adaptées sont maintenant de plus en plus courants. Le remboursement par la Sécurité sociale est la dernière étape pour inciter les gens à pratiquer régulièrement une activité physique et les inviter à l’insérer dans leur mode de vie. « Il faut convaincre les individus de la nécessité de pratiquer une activité physique pour leur santé, en passant notamment par l’éducation », conclut Vincent Nougier.
Fin 2019, Christine Assaiante a participé à la rédaction d’une expertise collective qui milite pour le remboursement des séances de psychomotricité car « actuellement, l’orthophoniste est le seul spécialiste clinique remboursé par la Sécurité sociale pour les troubles des apprentissages et, par conséquent, il fait un peu office de couteau-suisse », déplore la chercheuse. Espérons que, dans les années à venir, la constitution d’une grande cohorte verra le jour et que la prise en charge des troubles sensori-moteurs sera remboursée, et que la sensori-motricité sera systématiquement évaluée dans tous les troubles des apprentissages.
Source: futura
1 Commentaire