« Les racistes prennent tout le club en otage »

Mike Tanzey est supporter de l’OL et noir. Excédé par les images des débordements racistes de certains Lyonnais présents en parcage ce dimanche à Marseille, il a décidé de raconter sur Twitter certaines mésaventures vécues en tribune à cause de sa couleur de peau. Entretien.

Qu’est ce qui t’a poussé à faire ce thread sur Twitter?

J’en avais marre. Les photos des nazis dans le parcage à Marseille ont fait que j’ai pété un plomb, avec tous les commentaires du genre « les supporters lyonnais sont vraiment tous pareils »« Il y a des noirs qui supportent ce club ? Vous n’avez même pas honte ! » Ça m’a saoulé.

Tu voulais en parler depuis un moment ?

Non, parce que j’estimais qu’il n’y avait pas besoin de le faire. J’ai jamais été dans une posture où il fallait que je le fasse. Il y a des fois où j’en ai parlé vite fait, où je faisais des sous-entendus, mais c’est tout.

Depuis quand suis-tu l’OL au stade ?

Quatre ans.

Tout de suite, tu as remarqué des comportements étranges, des regards ?

Tout de suite, non, mais au fur et à mesure, oui. Parfois, j’y allais avec ma famille, on nous regardait bizarrement. Ou sinon il y a toujours des petits regards genre « mais qu’est-ce qu’ils foutent là, eux ? » C’est à force de faire les déplacements que je m’en suis rendu compte.

Te souviens-tu de la première fois où tu as ressenti qu’on n’était pas bienveillant à ton égard ?

À domicile, je ne suis pas en virage, donc je n’entends pas ce qu’il se dit. La plupart du temps, les petites réflexions, les petits regards, je les ai vécus en déplacement. La première fois, je pense que c’était à Prague. C’est cette fois-là où je me suis dit : « Ah ouais, quand même. » Ce n’était pas un de mes premiers déplacements, mais c’était mon premier à l’étranger, si je ne dis pas de connerie.

Comme tu le racontes, certains t’appelaient Umtiti ?

Ouais, c’était ça. Ça commençait à être du chambrage, mais c’était super malsain. Il y avait une ambiance bizarre.

Trouves-tu qu’il y a une libération de l’extrémisme dans les tribunes ces derniers temps ?

Oui, mais c’est sociétal. Quand Éric Zemmour passe sur un plateau et dit que le racisme n’est pas un délit, que c’est une opinion… Quand tu as les Lyon 1950 (une des associations de supporters de l’OL, NDLR) qui font un communiqué pour dire « on ne fait pas de racisme chez nous, il n’y a pas de politique, chez nous »… C’est devenu sociétal. Maintenant, les gens sont bien plus à l’aise pour dire toute leur haine.

Quand tu parles des Lyon 1950, tu veux dire qu’ils banalisent l’affaire ?

Ce n’est pas qu’ils la banalisent, c’est que leurs propos sont super maladroits. J’ose espérer en tout cas qu’ils ne la banalisent pas. Et je pense qu’ils ne la banalisent pas. Même s’il y a des gens du (Virage) Sud qui sont racistes, ce n’est pas tout le Virage Sud qui est raciste.

En veux-tu à quelqu’un ? Au club ? Aux groupes de supporters ?

J’en veux aux personnes en tant qu’individus. Mais je ne peux pas en vouloir au club parce qu’il est en train de bosser dessus. Je ne peux pas en vouloir aux autres personnes parce qu’elles sont prises en otage. Et puis les gens n’ont pas envie de prendre des coups pour d’autres, ça se comprend. Il y a des gens qui ont peur de prendre des coups s‘ils interviennent. On ne se connaît pas, ils ne voient pas pourquoi ils prendraient des coups pour moi.

Des gens du club m’ont assuré que le ménage était en train d’être fait.

Parfois, on a l’impression que le club a tendance à laisser faire ce genre de comportements dans ses tribunes.

Je ne dirais pas ça parce que j’ai pu raconter mon expérience personnelle à des gens du club et ils m’ont assuré que le ménage était en train d’être fait. Donc non, moi ,ce n’est pas le retour que j’ai. Après, c’est un retour que j’ai entendu plusieurs fois.

Sur Twitter, tu disais qu’il y avait une prise d’otage du club par ces gens-là.

Il y a ce truc sur Twitter, et maintenant c’est parti pour ne plus s’arrêter, que les supporters lyonnais sont tous des racistes, sont tous des fachos. À un moment donné, il y avait « les supporters lyonnais sont tous misogynes » parce qu’il y avait eu la fameuse banderole lors d’un match face à Lille où des mecs avaient mis un pictogramme d’une femme avec écrit « cuisine ».

Dès qu’ils font un truc, ils prennent tout le club en otage. Là, c’est pareil. Quand le capo du Virage Nord a parlé aux joueurs, ce qui est ressorti, c’est que les supporters ont le plein pouvoir dans le club. Les ultras, selon l’opinion publique, ont une mainmise sur le club. Et quand tu as des gens de ces groupes-là qui se permettent ce genre d’agissements, ça ne facilite rien.

Après ton témoignage, tu as reçu des menaces ?

J’ai reçu quelques messages un peu violents. Mais sur les 800 citations de mon tweet, ils sont 10, peut-être.

As-tu peur de retourner au stade ?

Non, pas du tout. En plus, je me dis que si jamais il m’arrivait quelque chose, ce serait le pire truc à faire pour eux. Parce que maintenant, je suis exposé.

Je comprends que des personnes soient fatiguées de devoir se justifier et se battre.

Quelles actions aimerais-tu voir pour endiguer ce phénomène ?

La justice. Parce que le club peut les interdire, mais demain, ils rentrent avec la carte de quelqu’un, avec le billet de quelqu’un, on ne va pas le vérifier. Par contre, s’ils sont obligés de pointer tous les jours de match jusqu’à la fin de leur vie, alors on sait qu’ils ne sont pas là.

En Angleterre, il me semble qu’il y a cette dureté-là. La moindre connerie : interdiction de stade. Il faudrait aller là-dessus. Mais quand on voit le ministre de l’Intérieur qui dit : « Non, ce n’est pas de notre faute, ce n’est pas de notre ressort »

Est-ce que ça t’a donné envie d’arrêter les déplacements ?

Non, pas du tout. J’aime l’OL malgré ce qu’ils me font vivre tous les week-ends. J’aime l’OL plus que beaucoup de gens, plus que beaucoup de choses. Et ce ne sont pas eux qui vont me faire arrêter l’OL. C’est peut-être l’OL qui va me faire arrêter l’OL. (Rires.)

Comprends-tu qu’il y ait des gens qui ne veulent plus revenir en parcage parce qu’ils ne souhaitent pas être associés à ce genre de personnes ?

Ah oui, complètement. Pour 10 euros, on a une place pour un match, mais il faut payer l’essence, l’hébergement, le transport. Donc ça fait un budget. Et si c’est pour qu’il y ait des gens comme ça, c’est pourri. J’ai des amis qui sont dans des virages, que ce soit le Sud ou le Nord, et qui sont dégoûtés parce qu’ils aiment cette ville et chanter à s’en casser la voix. Et ils n’ont rien à voir avec ces mecs. Donc oui, je comprends que des personnes soient fatiguées de devoir se justifier et se battre.

sofoot

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