Quel impact des nouvelles règles du fair-play financier sur les clubs français ?

Depuis un peu plus d’un an, les nouvelles règles du fair-play financier visent à limiter l’explosion des masses salariales dans le football européen. Ce qui oblige les dirigeants des clubs français à s’adapter et à creuser de nouvelles pistes pour générer encore plus de revenus.

Depuis sa mise en place en 2011, le fair-play financier, lancé à l’initiative de Michel Platini, fait partie du paysage dans le football européen. Parfois brandi comme une menace sérieuse pour les clubs coupables de mauvaise gestion, il reste pour certains un concept flou auquel les plus riches et les plus malins peuvent échapper à coups de stratagèmes.

 « Tout ce qui est contrôle de gestion, c’est nébuleux, c’est normal de ne pas tout comprendre », admet l’économiste du sport Jean-François Brocard. En une décennie, le FPF a contribué à limiter l’endettement des clubs ; il est en revanche resté spectateur devant l’escalade vertigineuse des salaires.

Dans ce contexte, l’UEFA présentait au printemps 2022 les nouvelles règles de son gendarme financier, autorisant aux clubs européens un déficit accru (un passage 30 à 60 millions d’euros, voire 90 pour un club en bonne santé financière, de déficit autorisé sur trois ans).

« La principale innovation va être l’introduction d’un contrôle du coût des équipes », prévenait alors Aleksander Čeferin. Derrière cette phrase, une idée, celle de limiter des masses salariales de plus en plus colossales. Une forme de salary cap, inspirée des sports américains, qui doit conduire les clubs à ne plus pouvoir dépenser plus de 70% de leurs revenus en salaires à l’horizon 2025 (ils ont le droit à 90% jusqu’à la fin de l’année et passeront à 80% en 2024 pour poursuivre leur adaptation). 

«  C‘est le principal levier de réduction des dépenses pour les clubsestime Jean-François Brocard. Cette solution de plafonner le pourcentage des revenus dépensé en salaires, ça paraît avoir du sens pour que les clubs ne fassent pas n‘importe quoi» 

La France face à « un désavantage compétitif indéniable » 

La problématique touche tout le monde, du Paris Saint-Germain au RC Lens, en passant par le Stade rennais, qui a organisé un point presse à ce sujet le mois dernier. « Je suis toujours partisan de respecter le législateur et les règles, pose de son côté Olivier Létang, président du LOSC, engagé en Ligue Europa Conférence cette saison. 

On doit se soumettre à ces nouvelles règles du FPF et on avance, mais il faut que tout le monde le fasse. » Face aux dépenses des plus grands et des plus forts, en Angleterre par exemple ou encore au PSG avec ses sommes records, il est possible de se poser des questions sur la bonne application des règles. Dans l’Hexagone, tout le monde se retrouve sur un point : les cotisations sociales sont largement plus importantes en France que chez certains voisins. 

« Parmi les grands championnats européens, le salarié qui coûte le plus cher, c’est en France, illustre Olivier Létang. Par exemple, en Espagne, le Barça et le Real Madrid vont payer environ 400 000 euros de charges patronales quand chez nous ce sera des dizaines, voire des centaines de millions d’euros quand cela concerne le PSG. C’est un problème de non-homogénéité fiscale et sociale. » 

Face aux nouvelles règles du FPF, plusieurs clubs français travaillent ensemble pour tenter de convaincre l’UEFA de procéder à un ajustement des sanctions en cas de dépassement du seuil imposé par l’instance.

Le coût d’un joueur in fine varie d’un pays à l’autre, il faut tenir compte si on veut être homogène dans la façon de traiter les clubs.

Olivier Létang, président du LOSC

« Le coût d’un joueur in fine varie d’un pays à l’autre, il faut tenir compte si on veut être homogène dans la façon de traiter les clubs », insiste Létang. Pour l’économiste Jean-François Brocard, le « désavantage compétitif est indéniable », mais celui-ci ne date pas d’hier. 

« Il y a d’autres avantages en France qu’on ne retrouve pas dans d’autres pays, comme le régime d’impatriation, poursuit-il. Chaque pays va vouloir plaider son propre cas, mais c’est toujours cet argument qui est utilisé dès qu’on parle d’homogénéisation des règles internationales. Si on commence à s’adapter à chaque fiscalité, chaque système social, c’est extrêmement compliqué.

Si la France fait une demande, pourquoi la Bulgarie, l’Italie ou un autre pays ne ferait pas de même ? » Lors des derniers mercatos, François Pinault, actionnaire du Stade rennais, a bien compris que le spectre du fair-play financier l’empêchait de viser plus haut et de frapper plus fort sur le marché.

Pour l’instant, les clubs français doivent s’adapter et, pour certains, penser à leur stratégie pour éviter de se noyer ou revoir leurs ambitions à la baisse.

La chasse aux revenus

À Rennes comme chez quasiment tous les clubs aux ambitions élevées, la masse salariale annuelle ne cesse de gonfler (68 millions d’euros en 2021-2022) sans que ce ne soit proportionnel à la croissance des revenus, alors qu’il a fallu faire le dos rond et bénéficier de nombreuses aides pour survivre à la crise sanitaire du début de la décennie. Tout est une question de modèle économique, aussi. « Une des difficultés pour les clubs, c’est qu’ils offrent des contrats pluriannuels à des joueurs et donc s’engagent sur plusieurs années au niveau de leur masse salariale, explique Jean-François Brocard. 

Et a contrario, ils ont parfois de grandes incertitudes sur les revenus qu’ils vont pouvoir générer dans les années qui viennent, car ça peut dépendre d’une qualification européenne, d’une relégation, d’un sponsor qui vous lâche ou encore des droits TV. » Après l’apport utile mais éphémère de l’argent de CVC, la Ligue et les clubs misaient beaucoup sur l’appel d’offres des droits télé pour la période 2024-2029 et sur les droits internationaux.

Le milliard paraît déjà lointain et l’avenir reste incertain après qu’aucun des cinq lots n’a trouvé preneur le mois dernier lors de la vente aux enchères.

C’est une critique faite : on donne le pouvoir aux grands clubs dans les grandes villes, mais c’est d’une logique économique implacable.

Jean-François Brocard, économiste du sport

Comment s’assurer un avenir radieux et serein ? Miser sur des grosses ventes, bien sûr, pour se retrouver avec une balance des transferts dans le positif, mais ce n’est pas simple quand on a de grandes ambitions. Quoi d’autre ? Viser une augmentation des revenus de sponsoring, de merchandising et de billetterie, ce qui motive les dirigeants du Stade rennais à réfléchir très sérieusement à un projet de nouveau stade, plus grand et dont il serait propriétaire. 

« Générer des revenus d’exploitation directe par la vente de joueurs ou un mécène qui accepte de libérer un chèque en fin d’année, ça ne correspond pas à un développement pérenne. Les clubs vont devoir se développer, sauf que les arbres ne montent pas jusqu’au ciel, image Jean-François Brocard. On sait qu’à Rennes, on n’aura pas les mêmes revenus qu’à Londres, Milan, Berlin ou même Marseille.

C’est une réalité. C’est une critique faite : on donne le pouvoir aux grands clubs dans les grandes villes, mais c’est d’une logique économique implacable. »

Il ne faut pas compter sur le FPF pour réduire des inégalités structurelles, ce n’est pas son rôle ; ni pour aider les clubs français à rattraper leur retard sportif et économique sur certains voisins. Jean-François Brocard : «  Ça n’empêche pas les clubs de faire un très bon coup sur le mercato, mais ça les empêche de faire n’importe quoi quand ils en ont l’opportunité ou l’envie de le faire.

En tant qu’économiste, on ne peut pas critiquer une réglementation qui va vers une bonne gestion. En ce qui concerne les modalités ou la façon de contrôler, on peut en discuter. » En cas de dépassement, l’UEFA a déployé un éventail de sanctions : une amende baptisée « taxe de luxe », des retraits de points, une exclusion des compétitions continentales, etc.

Les clubs savent ce qu’il leur reste à faire s’ils ne veulent pas tester l’applicabilité des règles du FPF nouvelle génération.

sofoot

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