Manifestations pro-Palestine : qui sont ces militants aux drapeaux associés au djihadisme ?

En Europe, des bannières noires et blanches ont été brandies lors de manifestations en soutien à la Palestine. Sur les réseaux sociaux, de nombreuses publications affirment que ces drapeaux sont ceux d’Al Qaïda, des Talibans ou de l’Etat islamique.

Si cette bannière existait avant la création de ces organisations terroristes, elle a été brandie dans les manifestations européennes à l’initiative d’un groupe radical Hizb ut-Tahrir.

À Londres, Copenhague ou encore Essen et Hambourg en Allemagne, ces dernières semaines, des bannières blanches et noires ont été aperçues aux côtés des drapeaux palestiniens, dans les cortèges de soutien à la Palestine organisés depuis le début du conflit entre le Hamas et Israël. Vidéos à l’appui, beaucoup d’utilisateurs du réseau social X (anciennement Twitter) assurent que ces étendards sont ceux des groupes terroristes Al Qaïda ou État Islamique.

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Si aujourd’hui des groupes terroristes se sont approprié ce drapeau, comme les Talibans – inscriptions noires sur drapeau à fond blanc – ou Al Qaida – inscriptions blanches sur fond noir –, il est à l’origine un symbole neutre et historique de la religion musulmane.

Inscrite sur la bannière, on trouve la profession de foi de l’Islam (« Shahada ») : « La phrase dit ‘je reconnais qu’il n’y a pas d’autre dieu que Dieu et que Mohammed son prophète' », explique Aurélie Daher, chercheuse et enseignante en sociologie des conflits à l’université Dauphine-PSL. Cette phrase n’a pas de connotation politique et il est fréquent de la retrouver dans divers lieux et événements de la vie quotidienne dans les pays arabes.

« D’ailleurs, cette même profession de foi est écrite sur le drapeau saoudien, et ça ne veut pas dire que le pays s’apparente à l’État islamique », ajoute la chercheuse. L’organisation terroriste État islamique n’utilise d’ailleurs pas un drapeau avec cette graphie, mais un drapeau noir avec un sceau blanc sur lequel est inscrite, également, la profession de foi.

« Une provocation politique »

Cependant, Asiem El Difraoui, fondateur du think tank allemand Candid Foundation, estime qu’il est nécessaire de différencier l’utilisation de ce drapeau en Europe et dans les pays arabes : « Dans le contexte des manifestations actuelles en soutien à la Palestine, en Europe, ce drapeau est un symbole de l’islamisme, utilisé par des groupes radicaux », analyse-t-il.

Le journaliste de France 24 Wassim Nasr, spécialiste des mouvements djihadistes, précise que « les personnes qui brandissent ces bannières le font à dessein, c’est une provocation politique » qui a pour effet de brouiller le message de soutien à la Palestine.

Les personnes qui ont brandi ces bannières de la Shahada lors de rassemblements pro-Palestine en Europe ces dernières semaines sont des membres du groupe extrémiste Hizb ut-Tahrir, ou de mouvements issus de cette organisation.

Sur cette image de la manifestation d’Essen, en Allemagne, le 3 novembre dernier, on peut notamment voir des hommes en tête de cortège agiter ce drapeau noir et blanc, que le groupe Hizb ut-Tahrir utilise comme son emblème. Une séparation entre hommes et femmes est visible dans la manifestation, ce qui est un autre signe représentatif du mouvement Hizb ut-Tahrir, d’après la chaîne de télévision allemande WDR.

Cette configuration est aussi visible dans la manifestation organisée à Londres le 21 octobre dernier. Comme le montre cette publication X, les participants tenaient des banderoles sur lesquelles était écrit « Muslim armies ! Rescue the People of Palestine », un slogan revendiqué par le mouvement Hizb ut-Tahrir sur sa page internet « Hizb ut-Tahrir Britain ».

Sur le site web du groupe, il est également possible de trouver des communiqués qui revendiquent l’organisation de ces manifestations au Royaume-Uni, en Allemagne et dans d’autres pays d’Europe.

Présent dans plus de 40 pays, Hizb ut-Tahrir est né à Jérusalem au début des années 1950. Partisan d’un Islam politique, iI a construit son idéologie en militant pour la libération de la Palestine, niant le droit d’exister d’Israël. Ce groupe a été interdit dans une majorité de pays musulmans, ainsi qu’en Allemagne depuis 2003, après que le chef de la branche locale a tenu des propos antisémites lors d’un discours.

Les « Islamistes insta »

Mais le mouvement n’en a pas moins gardé une très forte activité en Europe, à travers ses sites internet et ses réseaux sociaux. Certains de ses membres ont créé des déclinaisons du mouvement, comme « Reality Islam » et « Génération Islam », des organisations très investies dans le recrutement de jeunes partisans.

« On a affaire à des réseaux très présents sur les réseaux sociaux, les Allemands les appellent les ‘islamistes insta' », explique Anne Maillet, correspondante pour France 24 en Allemagne. Ils s’adressent en allemand aux jeunes, y compris à ceux issus de l’immigration turque ou palestinienne qui ne peuvent pas lire le Coran en arabe.

Pour Asiem el Difraoui, en brandissant ce symbole de l’Islam lors des manifestations de soutien à la Palestine, le groupe cherche à amadouer de futurs adhérents : « En Europe les islamistes tentent d’utiliser ce conflit horrible pour mieux recruter des partisans dans leurs rangs », affirme-t-il.

À Essen, en Rhénanie-Westphalie – une région qui constitue un bassin de radicalisation depuis une dizaine d’années –, la manifestation initiée par les successeurs du Hizb ut-Tahrir a réuni 3 000 personnes le 3 novembre dernier.

Officiellement, elle a été organisée par un particulier et non par un groupe idéologique identifié, ce qui lui a permis d’être autorisée par les autorités allemandes, qui d’après Anne Maillet, « ne se sont pas rendu compte du groupe auquel elles avaient à faire et ont été dépassées par l’ampleur de l’événement ».

Enquête des autorités allemandes et britanniques

Après la polémique qu’a causé cette marche sur les réseaux sociaux, notamment à la vue d’une pancarte proclamant « Le califat c’est la solution », le parquet d’Essen a analysé les images du rassemblement pour vérifier que certains slogans scandés ne soient pas de nature antisémite ou illégale.

Selon le média allemand Tagesschau, la justice allemande examine aussi la déclaration de l’organisateur durant la manifestation. Il est soupçonné d’avoir tenu des propos ambigus et provocateurs, qui auraient pu être compris comme incitant à la haine des juifs.

Les autorités allemandes se penchent aussi sur les actions des groupes « Generation Islam », « Reality Islam » et « Muslim Interaktiv », issus du Hizb ut-Tahrir, pour potentiellement les interdire dans le pays.

D’autres rassemblements du même type ont été constatés à Hambourg le 28 octobre, mais aussi au Danemark le 15 octobre et à Londres, le 21 octobre.

Au Royaume-Uni, le groupe est autorisé mais fortement surveillé. Il a officiellement initié une manifestation en brandissant l’étendard noir et blanc symbolique de l’Islam, avec l’autorisation de la police.

D’ailleurs, à la suite de la publication de vidéos prétendant que le drapeau de Daesh ou des Talibans avait été brandi par les manifestants, la Metropolitan Police de Londres a même fait un démenti sur son compte X, expliquant la signification historique de ce symbole de l’Islam : « Les drapeaux de la photo en bas à gauche ne sont pas ceux de l’EI.

Ils représentent la ‘Shahada’, qui est une déclaration de foi en l’islam. Des officiers spécialisés dans la connaissance des drapeaux travaillent sur cette opération pour aider à l’évaluation des drapeaux », a déclaré la police.

La police de Londres a également déclaré dans un communiqué que des agents antiterroristes avaient évalué les photos et vidéos qui des manifestations, notamment celles où l’on entend des manifestants scander « Jihad » et où l’on aperçoit des pancartes sur lesquelles est écrit « Muslim armies ».

Après examen, « aucun panneau ou banderole illégal n’a été identifié », a déclaré la Metropolitan police, qui n’a finalement enregistré aucune infraction commise par le groupe Hizb ut-Tahrir au regard de la loi britannique.

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