Paris – Les sénateurs français ont adopté mardi le projet de loi immigration, nettement musclé par la droite après une semaine de débats. Suppression de l’aide médicale d’État, facilitation des expulsions d’étrangers délinquants, conditionnement des allocations familiales… le texte sera à nouveau discuté à l’Assemblée nationale à partir du 11 décembre, où le gouvernement tentera de trouver une majorité avec la droite.
Le Sénat a largement adopté (à 210 voix contre 115), mardi 14 novembre, une version durcie du projet de loi immigration qui n’a pas grand chose à voir avec le texte initial du gouvernement.
Les sénateurs lui ont appliqué un sérieux tour de vis la semaine dernière, avec la droite et ses alliés centristes à la manœuvre.
La réforme, qui reposait initialement sur deux « jambes » – contrôler l’immigration, améliorer l’intégration –, penche désormais nettement du côté du volet répressif, avec une quantité de mesures destinées à faciliter les expulsions d’étrangers « délinquants », simplifier les procédures d’éloignement et décourager les entrées sur le territoire.
« Le Sénat a redonné une cohérence au projet en le durcissant et en rejetant le ‘en même temps’ de la version gouvernementale », assure le président des sénateurs Les Républicains, Bruno Retailleau, artisan de ce durcissement en règle qui inquiète la gauche comme les associations.
« Pour l’immigration irrégulière, c’est la tolérance zéro », a assumé mardi le président LR de la commission des Lois, François-Noël Buffet. « Le volet intégration a totalement disparu du texte », s’est désolée la sénatrice socialiste Marie-Pierre de La Gontrie.
Désormais seul aux commandes de la réforme, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, n’a pas semblé désemparé par l’introduction de nombreux marqueurs de la droite au fil d’une semaine de débats parfois houleux.
Marqueurs de droite
« C’est un texte coconstruit », « enrichi par le Sénat », a-t-il souligné mardi sur CNews, maintenant son mot d’ordre : « fermeté ».
Le locataire de Beauvau tient au volet « expulsions », dans un contexte tendu par l’afflux migratoire à Lampedusa et l’attaque d’Arras impliquant un jeune Russe radicalisé.
Celle-ci aurait été évitée, selon lui, avec cette réforme qui permettra de lever l’essentiel des barrières aux expulsions d’étrangers menaçant l’ordre public, y compris lorsqu’ils sont arrivés en France avant l’âge de 13 ans.
Sur les régularisations de travailleurs sans-papiers dans les secteurs en pénurie de main d’œuvre – l’une des mesures emblématiques du projet de loi initial –, les sénateurs se sont positionnés pour des régularisations au cas par cas et « à titre exceptionnel ». Un dispositif éloigné du « droit » opposable à la régularisation, qui figurait dans le texte d’origine.
D’autres mesures très droitières ont été ajoutées : resserrement des critères du regroupement familial, durcissement du droit du sol, conditionnement des allocations familiales et de l’aide au logement (APL) à cinq ans de résidence pour les étrangers, politique de « quotas » migratoires annuels, et surtout suppression de l’aide médicale d’État (AME) pour les sans-papiers.
Quel détricotage à l’Assemblée nationale ?
Autant de mesures vivement dénoncées par la gauche, qui s’est opposée à un texte jugé « indigne » par le patron du Parti socialiste, Olivier Faure. « La macronie court après la droite qui court après l’extrême droite, et inversement », a dénoncé mardi la députée la France insoumise Andrée Taurinya.
La grande question est désormais le sort à venir de ce texte à l’Assemblée nationale, où le camp présidentiel n’est pas majoritaire.
Le gouvernement « va avec l’envie de discuter, l’envie de compromis, à l’Assemblée nationale », a assuré Gérald Darmanin mardi.
L’incertitude demeure sur les intentions et le poids réel de l’aile gauche macroniste, incarnée par le président Renaissance de la commission des Lois, Sacha Houlié.
Ce dernier a promis que l’Assemblée nationale rétablirait « tout le texte initial » du gouvernement, tandis que le porte-parole du groupe MoDem, Erwan Balanant, a considéré le texte comme « une provocation », le jugeant « complètement déséquilibré ».
Ces déclarations semblent incompatibles avec la position des députés LR : leur chef de file, Olivier Marleix, a affirmé mardi qu’il voulait « continuer à durcir le texte » à l’Assemblée nationale.
Si aucun compromis n’est trouvé, le gouvernement a toujours la possibilité d’activer le 49.3 pour adopter son texte sans vote, quitte à s’exposer à une motion de censure de la droite, qui a peu de chances d’aboutir sans le soutien de la gauche.
Au Sénat, en tout cas, le groupe macroniste (RDPI) et celui des Indépendants, où siègent des sénateurs Horizons, ont voté pour ce texte durci, certains appelant néanmoins à la réécriture de certains articles par l’Assemblée nationale.
AFP